[Derek] A mi-chemin des Enfers

Une bien fraîche soirée s'annonçait... Le soleil avait pourtant brillé toute la journée, réchauffant les terres parisiennes de ses rayons dorés; mais désormais qu'il déclinait, se noyant au milieu des buildings, l'air oubliait sa présence passée, et s'abandonnait à la fraîcheur de la nuit approchante.
Alessa n'avait pas vraiment trouvé de raison particulière à sa soudaine envie de sortir. Elle avait simplement laissé son instinct l'emporter, et ses pas la guider.
Ainsi s'était-elle retrouvée à marcher le long de la Seine, le regard vif et curieux des remous du fleuve et de la teinte orangée du ciel. Le soleil déclinait, et elle craignait de bien trop tôt regretter cette escapade de soirée.
Plongeant ses mains gantées de cuir dans les poches de son long manteau, elle continua cependant quelques longues minutes encore à se laisser aller au gré des pavés.
Le monde qui l'entourait, et dont elle ne se souciait que peu, reflétait bonheur, empressement, ou agacement. Les gens étaient si prompts à changer d'humeur lorsque le printemps faisait montre de sa tiédeur...
Alessa s'arrêta quelques instants, puis fixa l'Île qui, de l'autre côté de l'eau, en imposait de par sa prestance et ses légendes. Ainsi fixa-t-elle cet horizon incertain, qui peu à peu disparaissait sous le manteau sombre de la nuit.
La jeune femme connaissait les rumeurs disant que les Chasseurs se rassemblaient là-bas... C'était sans doute une excellente raison de la faire s'y rendre. Mais elle se savait incapable de sortir de là vivante si elle décidait d'y faire une descente... Quant au "mass murder" qui suintait à son oreille, l'invitant à déposer dieu seul savait quel système explosif sur chacun des bâtiments de l'Île, Alessa esquissa un sourire...

# Quelle délectation peut-il y avoir à tuer tant de personnes sans même pouvoir voir leurs regards angoissés et martyrs...? Un par un, c'est encore la meilleure solution, ma douce... Les observer, tandis que dans leur agonie sanglante et douloureuse ils comprennent avoir été trahis, et tué par un plus faible qu'eux. N'est-ce pas ainsi qu'ils nous voient ? Nous, les monstruosités de la nature, les abominations que Dieu renia... #

Rejetant une mèche de son visage sur le côté, elle avisa les environs avant de finalement s'avancer vers le pont Louis-Philippe. Enfant, déjà, elle était tombée amoureuse de son architecture, sans pourtant que celle-ci ne diffère réellement de certains autres.
Puis, tirant son zippo argenté de la poche de son manteau, elle s'alluma une cigarette, la baignant quelques longues secondes durant dans la flamme dorée qui saillait presque d'entre ses doigts.
Avec délectation, elle savoura cette sensation étouffante que lui procurait la fumée âcre pénétrant en son sein, brûlant sa gorge, puis ses poumons.

" Mmh... laissa-t-elle échapper tandis qu'elle refermait ses yeux et s'accoudait aux rebords du pont alors même qu'elle n'avait pas terminé de le traverser. C'est si bon... "

Presque une journée sans en fumer aucune. Ainsi, celle-ci était-elle déjà plus que jubilatoire...
D'où lui était venue cette sale manie, elle ne s'en souvenait plus. Mais elle voulait pouvoir mourir un jour... Peut-être était-ce là l'unique raison qui l'attachait encore à ces immondices de cigarettes transgéniques...
Longtemps elle avisa l'eau déferler sous le pont, attentive au moindre remous, au moindre frétillement, et au moindre navire.
Elle imaginait le goût savoureux d'un Chasseur noyé dans ces eaux sinueuses, et, comme si elle y était déjà, imaginait l'eau infiltrer ses poumons, les envahir pour de bon, et finalement mener aux portes de la mort. Il serait si dommage de laisser un de ces salopards crever d'une manière aussi banale...
Tirant son petit calepin de la poche intérieur de son manteau, elle guida sur l'une des pages encore vierge la mine de son crayon.
Si un Chasseur devait se noyer, elle le sortirait de l'eau avant qu'il ne sombre pour de bon.
Sur le papier, elle dessinait la silhouette sombre d'une femme, debout sur une des berges sauvages de la Seine.
A n'en pas douter, elle le tirerait sur la berge et atendrait qu'il ne se réveille pour lui rappeler les insanités qu'il aurait commises...
Sur le papier se tenait, au pied de la silhouette sombre, et encore à moitié dans l'eau, le corps presque inerte d'un homme arborant crucifix.

# Et au moment où je me pencherais sur toi, immondice humain, ce sont mes ongles qui gratteraient jusqu'à arracher ton cœur, et mon talon qui te transpercerait le crâne... #

Elle n'avait pas encore finalisé la silhouette du Chasseur sur son carnet, mais pourtant, elle savait comment l'esquisse se terminerait.
Elle voulait voir leur sang couler, leurs cris s'étouffer, et leurs regards se perdre dans le vague en faisant toujours montre de leur dernière expression : la terreur et l'effroi.

[Forme hybride]

« Crèves ordure ! Espèce de monstre ! Saloperie d’aberration ! Erreur de la nature ! »

L’homme tira une salve de coups sur la créature qui s’avançait dans l’ombre. Lorsqu’il constata enfin, non sans horreur, que son chargeur était vide et que les balles avaient comme ricoché sur la peau de la bête sans lui infliger la moindre blessure apparente, son visage devint presque aussi pâle que l’astre lunaire qui commençait à poindre en cette douce soirée de printemps.

#Sueur… l’odeur de sa transpiration est forte…
aussi forte que bruyante est sa respiration.
Accélère… son rythme systolique s’emballe ;
son palpitant bat à tout rompre comme s’il cognait directement sur mes tympans !
Peur…
il a peur…
à n’en pas douter…
le traqueur se sent…
traqué.#

Le chasseur poussa un hurlement lorsque l’hybride fondit sur lui.

A vrai dire ; humain, vampire, hybride ou même animaux, d’ordinaire, peu lui importait. Derek Jackowski tuait selon ses envies. Il chassait ce que son instinct de prédateur lui dictait sur le moment. Cependant, l’idée de lier l’utile à l’agréable ne lui étant pas totalement déplaisante, il tuait volontiers ceux qui pouvaient constituer un éventuelle menace pour un être de son espèce, surtout par les temps qui couraient. Ce n’était donc pas totalement par hasard qu’il rôdait près des quais de l’île Saint-Louis, ayant eut vent de la rumeur concernant l’éventuel QG des disciples de Xander. Comme pour les narguer, il s’était juste promené dans les parages sous sa forme hybride, et ça n’avait pas manqué : v’là que l’autre ahuri sort un pétoire et se met à le canarder. Aucun doute s’en est un !
Alors ce soir, chasseur au repas...

Comme dans une tentative désespérée d’échapper à cet effroyable cauchemar, l’homme plongea dans la Seine.

#Erreur fatale#

Aussitôt la monstrueuse silhouette s’élança dans les ondes noires et huileuses du fleuve pour y disparaître… mais pas pour longtemps. Gesticulant dans les eaux troubles pour se maintenir en surface, le nageur s’efforçait d’avancer en un pitoyable crawle. Vain effort. L’eau qu’il remuait était plus perceptible pour l’hybride aquatique que s’il avait émit une puissante source de lumière dans les plus profondes ténèbres.
Encore un cri, puis l’homme se retrouve englouti dans les flots noirâtres comme aspiré par le fond. Un horrible bouillonnement retentit, et en même tant que la surface du fleuve s’empourprait d’une large tâche de sang, on pouvait l’imaginer poursuivre sous les eaux troubles son cri d’agonie ainsi que sa lutte désespérée.

Enfin le sanguinaire requin humanoïde émergea de ce cours, trop pollué à son goût, et regagna une berge déserte pour savourer tranquillement sa proie. Déserte ? Pas tout à fait…
Il sent, Il entend, puis enfin il voit. Ses sens surdéveloppés ne le trompe presque jamais. Quelqu'un est là, et quelqu'un a vu… Une ombre gracile et un parfum de femme, aucun doute sur la nature de "cette" témoin qui continuait de l’observer du haut du pont.
La créature se dressa du haut de ses deux mètres, et fit fasse à l’intruse. Temps de réflexion.

#Les témoins sont si gênants. On ne sait jamais s’il faut fuir ou bien les supprimer…#

Témoin silencieux d'une scène exaltante de par sa violence.
Les coups de feu, les cris, les remous dans les eaux sinueuses, et, finalement, cette silhouette monstrueuse se hissant sur la berge aux devants du chasseur qu'il avait presque terminé d'abattre.
Il fallait avouer que ça avait été jubilatoire, oh ça oui...
Et déjà, sur son carnet, Alessa transformait la silhouette féminine en ce personnage étrange qui se tenait plus bas.
D'ici, elle imaginait la taille gigantesque que pouvait avoir ce requin - ? - en forme animale.
Elle imaginait sa férocité, ses rangées de dents, son regard affamé, et ses pulsions sanguinaires...
Elle avait presque peur, mais l'excitation, déjà, avait pris le dessus.
Elle jubilait de voir les chasseurs ainsi se faire chasser. Et quand bien même l'ex-chassé était monstrueusement effrayant, elle ne pouvait retenir ces suaves pulsations.
Lorsqu'elle eut terminé d'arranger la silhouette sombre du bord de la berge sur son carnet, elle déposa son crayon dessus, puis tira une longue et savoureuse bouffée de sa cigarette.
C'est à ce moment-là, sans doute, qu'elle se rendit compte qu'il l'avait remarquée. Et c'est aussi à ce moment-là qu'un fin sourire narquois naquit au coin de ses lèvres.
Recrachant avec suavité la fumée âcre qui jusqu'alors lui encrassait les poumons, elle fixa en silence cette silhouette silencieuse qui trônait plus bas sur la berge.
Et quelques secondes après, elle retira ses gants de cuir de ses mains fines, et applaudit avec lenteur à l'attention de cet hybride sanguinaire.

" Quel spectacle charmant... C'était tout à fait exquis... "

Elle avait presque murmuré ces mots, mais d'une certaine façon, elle se doutait qu'il entendrait tout de même. Ça n'était pas un pressentiment, mais simplement une constatation. Il réagissait comme elle aux sons, aux images, et au reste... Elle connaissait ce genre de choses... Et elle se doutait bien qu'il les ressentait de la même façon qu'elle. Autrement dit, beaucoup mieux que bon nombre d'autres.
Tirant une nouvelle fois sur sa cigarette, elle tourna alors le dos à la Seine et se hissa sur le rebord du pont, assise.
Tourner le dos à une créature capable de tant de choses en milieu marin, c'était sans doute de la pure folie. Mais d'une certaine façon, elle trouvait cela délectable, d'ainsi jouer avec le danger...

" Serais-tu capable de laisser dans la nature le témoin d'un acte à la fois sanguinaire et terriblement mortel ?
... C'est que les Chasseurs sont si près ... J'exalterais presque de voir leurs regards haineux et enragés lorsque je leur dirais ce que le requin a fait sous leur nez ... "

Un léger rire sarcastique s'échappa alors d'entre ses lèvres, tandis qu'elle menait une nouvelle fois sa cigarette entre elles.
Recrachant la fumée vers le ciel qui lentement s'assombrissait, elle guettait, aveuglément, les réactions qu'elle susciterait en ce personnage...

Il avait pensé qu’elle s’enfuirait en courant dès l’instant où elle se saurait repérée ; Mais pas d’un pouce elle ne bougea. Il pensa d’abord qu’elle était comme pétrifiée sous l’effet de la peur, puis ce qui suivi lui démontra qu’il se trompait.
Sous son regard intrigué, l’ombre de la femme joignit et sépara successivement deux mains fines, avec une élégance qui semblait tout à fait naturelle, et il lui sembla percevoir le bruit d’un faible claquement. Pas de doute, la spectatrice impromptue venait de l’applaudir.

Le monstrueux amphibie, toujours les sens rivés sur la silhouette menue, entendit un filet de voix fluette provenir de cette observatrice trop curieuse. Bien que prononcés comme dans un soupir, les mots de la femme arrivèrent aux ouïes de l’hybride avec la même netteté que s’ils avaient été prononcés à quelques centimètres de lui.

spectacle charmant... exquis...?

Le sourire carnassier du requin s’élargi d’une manière inquiétante. Il rétorqua d’une voix qui tenait plus du grognement que du parler humain, compte tenu de sa forme bestiale :

« M’selle a du goût… »

Elle lui tournait à présent le dos, et semblait le narguer du haut de ce pont.
Puis elle proféra ce qui ressemblait à des menaces. Etait-ce une sorte de chantage dont elle n’aurait pas encore achevée de poser les conditions, ou bien une simple bravade que cette effrontée lui avait lancé avant de lui ricaner au nez ? Il n’était pas certain d’avoir exactement saisi le sens de ces propos qui lui apparaissait un tantinet déplacés.
Si elle croyait lui faire peur…

« Folle »

La créature parti dans un rire (ou du moins ce qui y ressemblait) à glacer le sang.

« Les … Chasseurs…? Ils … savent pas…qui est… Requin.
hin… hin… in-sai-si-ssssable…
Si faut… un à un…

A ces mots il saisit sa victime par le col et planta sa puissante mâchoire sectionnant ainsi sa jugulaire (et pas que) dans un sinistre craquement. Il relâcha le corps qui tomba inerte sur le sol humide, et passa sa langue sur les contours de sa mâchoire souillée.

… Requin saignera »

D’un revers de bras-nageoire il acheva d’essuyer son menton.

Pis…
Toi… morte ne parles… »

Malgrès les grondements qui caractérisaient ce mode d’expression primitif auquel il était contraint sous cet aspect semi-animal, il n’éprouvait pas la moindre rage. Au contraire, il était même plutôt amusé de la situation.

Quel animal fascinant il faisait. Fascinant, et pourtant si effrayant à la fois.
Alessa sentait son coeur s'emballer rien qu'à cette idée nouvelle qui venait de germer dans son esprit.

# Et si nous jouions un peu avec... la nourriture ? #

Elle se sourit elle-même, tandis que cette pensée, inlassablement, se répétait dans sa tête. De la nourriture... Jamais elle ne pourrait considérer un requin comme tel, elle en avait bien peur, mais d'une certaine façon, le défi était de taille... Et ça pouvait s'avérer particulièrement intéressant.

« M’selle a du goût… », l'entendit-elle proférer du haut de son pont.

Et en effet, oui, elle avait du goût. Un goût particulièrement prononcé pour la mort et tout ce qui pouvait y avoir trait, d'ailleurs...
Car après tout, n'est-on pas toujours attiré par ce que l'on ne peut obtenir ? ()
C'est après qu'alors, elle décida de lui tourner le dos. Tous les chats faisaient cela, maintenant qu'elle y pensait, aimant narguer l'ennemi d'une hauteur, et faire montre de ses atouts, là où rien ni personne ne peut vous atteindre.
Mais ici, elle savait qu'elle n'était pas invincible, car après tout, s'il le voulait, il lui suffisait d'emprunter la route du pont pour simplement la rejoindre... Quoi de plus facile, surtout pour un bipède ?
Elle savait aussi que ses propos concernant les chasseurs pouvaient ne pas l'atteindre directement, mais il suffisait d'être patiente et, peut-être, au bout d'un certain temps, finirait-il par s'énerver un peu.

« Les … Chasseurs…? Ils … savent pas…qui est… Requin.
hin… hin… in-sai-si-ssssable…
Si faut… un à un…

N'étant pas sûre de bien comprendre sa dernière phrase, elle fut satisfaite lorsque, finalement, elle l'entendit déchiqueter à coup de mâchoire le corps de son chasseur.
Curieuse, elle se permit un quart de tour, étendant ses jambes sur la rambarde du pont de pierre. Observant ce spectacle langoureux, un sourire espiègle vint se dessiner sur ses lèvres fines, tandis que le requin terminait sa phrase, le menton tout ensanglanté.

… Requin saignera »

Il avait un bon sens de la répartie, et sa façon de démontrer sa puissance plaisait grandement à la féline personne qu'était Alessa. Quoiqu'un peu plus de subtilité aurait aussi pu être la bienvenue, la violence et la barbarie étaient aussi, parfois, de bons défouloirs.
Quoiqu'il en soit, s'il la laissait voir cet acte ignoble qu'il venait de faire en arrachant la gorge de ce type, c'est qu'il ne prévoyait pas de la laisser partir vivante.

" Excellent... ", se surprit-elle à murmurer à demi-mots.

L'observant s'essuyer le menton, elle conserva sa position à semi-allongée sur le pont, récupéra ses gants de cuir et les plongea dans la poche de son veston.

Pis…
Toi… morte ne parles… »

A ces mots, elle tira une profonde bouffée de sa cigarette, puis, recrachant la fumée, lança à l'attention du requin :

" Je t'attends, petit poisson. Viens donc m'arrêter, avant que je ne te balance... "

Son ton était suave et pourtant terriblement provocateur.
Elle semblait complètement insouciante, d'ainsi vouloir se mesurer à un hybride aussi sanguinaire et barbare que ce requin ne l'était, et elle laissait volontiers son coeur s'emballer... d'excitation.
Aux aguets, elle était prêt à esquiver n'importe quel coup. Elle avait la grâce du félin, et l'agilité du maître capoeiriste. Si elle ne pouvait le blesser - elle avait vu les balles rebondir sur lui - elle pourrait toujours... S'amuser à le faire courir.

" Je t'attends, petit poisson. Viens donc m'arrêter, avant que je ne te balance... "

Elle n’avait décidément pas froid aux yeux cette donzelle ! L’invitation était beaucoup trop alléchante pour qu’on la décline.

« Désirable… à… croquer… »

L’homme-requin laissa dernière lui le cadavre dont il comptait se repaître pour s’intéresser à cette nouvelle proie on ne peut plus appétissante. Il laissa encore son regard s’attarder sur l’agréable silhouette de la langoureuse provocatrice, et soudain, sans prévenir, il s’élança pour honorer la demande de cette insensée.
Faisant preuve d’une agilité et d’une rapidité hors norme, l’inconnue bondit aussitôt de son perchoir avec la souplesse des félins.
Bien que sous sa forme semi-animale Derek fut doté d’une meilleure condition physique qu’à l’ordinaire, l’hybride aquatique (comme son nom l’indiquait) n’était pas un as de la course à pieds et préférait de loin les flots sinueux des fleuves aux pavés des trottoirs.
Et c’est qu’elle courrait vite la garce ! Il se demanda même sérieusement s’il allait réussir à la rattraper, car question vitesse et endurance elle le battait sûrement à plate couture, en tout cas sous forme humaine. Il se surprit même à regretter de ne pas avoir une meilleure hygiène de vie ; il faut dire qu’a plus de 40 piges, avec tout ce qu’il fumait (et picolait), son capital santé était loin d’être celui d’une jouvencelle d’une vingtaine de printemps. Encore heureux, il avait des jambes et des bras plus longs qu’elle.
Il réussi enfin à saisir un pan du long manteau qui flottait derrière elle ; puis le reste vint après…
Mêlé à l’odeur de la cigarette qu’elle fumait quelques instants plus tôt, le délicat parfum qu’elle laissait dans son sillage lors de leur poursuite sembla alors se libérer pleinement pour exhaler son enivrante emprise.
Il agrippa un de ses bras menus pour la tirer brutalement à lui. Il emprisonna ensuite la tête de la fugitive dans ses deux mains puissantes. Il voulait absolument voir à quoi elle ressemblait avant de la tuer.
Et il ne fut pas déçu.
Une bouche sensuelle, de magnifiques yeux sombres légèrement en amande ; Elle était vraiment très belle, d’après ce qu’il put en juger par l’obscurité qui les enveloppait. Une chevelure brune éparse, dont quelques mèches soyeuses lui glissaient entre les doigts, encadrait ce visage aux traits si fins. Il se promit de ne pas trop l’abîmer ; Quel charmant cadavre elle ferait !
Alors qu’il laissait descendre ses mains palmées jusqu’au tendre cou de sa captive et ressaieraient de plus en plus ses doigts fermes sur sa gorge, quelque chose d’étrange se produisit. L’effroi ne se lisait toujours pas sur le minois serein et fier de la victime, et une étincelle de défi luisait dans le bleu nuit de son regard provocateur. Plus intriguant encore, le prédateur pouvait sentir les pulsations du cœur de la jeune femme, percevoir au toucher le frémissement de cette peau délicate, et la pression du sang qui coulait dans ses artères… Tout d’abord, il avait cru que c’était la peur qui était la cause de cet état de « trouble », mais à présent il en était certain : Ce qu’elle ressentait c’était… de l’excitation ?
C’était bien la première fois qu’il suscitait une telle émotion chez une de ses proies ! Même sous sa forme humaine il n’aurait jamais pu espérer leur faire un pareil effet. ( )

« Folle… »

Murmura-t-il dans un autre grondement, avant de découvrir ses trois rangées de dents en un menaçant sourire qui s’élargit jusqu’à ouvrir entièrement sa gueule béante.

« Désirable… à… croquer… »

# Presque trop facile... #

Un sourire satisfait vint s'apposer sur ses lèvres, tandis qu'elle guettait l'instant où, sans qu'il ne puisse vraiment s'y attendre, elle prendrait la fuite.
Elle l'observa de la rambarde du pont se détourner de son cadavre, et tira la dernière latte que pouvait lui offrir sa cigarette avant d'en recracher la fumée avec suavité.

# Trois... Deux... Un #

Elle laissa son mégot se dérober par delà les flots, et s'échappa de l'étreinte brutale que tentait de lui imposer ce requin, enfin venu lui faire ravaler ses paroles.
Ça y était enfin : la course avait commencé. Et pour dire, Alessa trouvait cela... Exaltant. Elle sentait son cœur s'emballer à cette idée nouvelle, et ses jambes la porter vite, et loin, avec toute l'endurance qui leur était due.
Mais l'homme qui la poursuivait n'était pas du même genre qu'elle, et déjà, elle craignait de le semer. Un aquatique sur de l'asphalte poreux, rien d'étonnant.
Peut-être devrait-elle alors ralentir... Rien qu'un peu... Juste assez pour...
Et en un rien de temps, il se saisit de son manteau, puis de son bras. Quelques secondes à peine se passent avant qu'elle ne réalise que si elle ne se sort pas de cette fatale étreinte, elle en mourra. Mais finalement, que craint-elle réellement ? Elle n'a ni peur, ni inquiétudes. Tout cela n'est qu'un jeu.
Trop confiant, il libère ses membres pour tenir fermement entre ses "mains" son petit minois de bout de femme.
Quelques longues secondes, ou minutes peut-être, dura le face à face. Avec insistance, elle soutint son regard, lui assurant de la sorte qu'elle n'avait aucune appréhension ni peur face à l'étrange personnage qu'il était.
Ainsi, de si près, elle observa chacun des détails qui faisait de lui à la fois un monstre et un être humain. Elle savait que lui aussi, à sa manière, l'auscultait pour mieux apprécier son dîner.
Et lorsqu'enfin, il décréta en avoir assez vu, elle sentit ses larges "mains" glisser jusqu'à sa gorge, et la serrer avec puissance.
L'instant aurait pu être critique si elle n'avait pas su quoi faire. Pourtant, encore, elle se délectait de cette sensation savoureuse d'excitation, à l'état brut.
Elle l'entendit la traiter de Folle, une fois de plus, et tandis que de son sourire carnassier elle devina sa puissante mâchoire prête à la dévorer, elle se confortait dans l'idée que ce requin faisait un excellent jouet.
Étirant à son tour ses lèvres en un sourire machiavélique et confiant, elle attendit de voir sa gueule béante devant lui pour enfin passer à la partie offensive.

# Tu n'aurais jamais dû laisser mes mains libres, pauvre idiot... #

Et dans un élan de rapidité, elle lança dans cette gueule béante un petit canif à lame déployée, sans nécessité de force en vue de la distance qui les séparait.
Elle savait qu'il aurait tôt fait de le recracher, et elle savait que si elle se faisait à nouveau attraper il ne se ferait plus avoir par les mains fouineuses de cette jeune femme impétueuse qu'elle était, et qui n'avaient pas hésité à fouiller dans ses poches tandis que leur regard se toisaient.
Elle se disait aussi qu'avec de la chance, elle n'aurait pas trop abîmé l'intérieur de ce gosier monstrueux. Mais si tel était le cas, alors il faudrait arrêter là le jeu et penser à chercher un refuge assez en hauteur pour échapper à ce carnivore.
Mais l'heure n'était pas encore à ce genre de pensées.
A peine avait-elle glissé sa lame dans la gueule du requin que déjà elle posait un pied sur son torse et profitait de la faible diversion pour repousser le poisson et s'enfuir en beauté.
Derrière elle, elle laissa son manteau sans regret puis, adressa un regard vif à son assaillant, tandis qu'elle courait vers les bâtiments de l'Île, et lui laissa entrevoir un sourire railleur et amusé.

#Le jeu est divertissant... Reste plus qu'à...#

Son idée était toute simple. Elle ne souhaitait que le jeu, et, d'une certaine façon, elle savait que ce gros poisson qui la poursuivait se délecterait, au final, de son repas.
Tandis qu'elle courait, elle aperçut une porte s'ouvrir au rez-de-chaussée d'une maison de l'île, et un homme en sortir.
De là où elle était - encore une bonne centaine de mètres - elle arrivait à percevoir son visage, et cette croix de Jésus tatouée à l'orée de son cou.
Jetant un rapide coup d'oeil derrière elle, elle se surprit à sourire encore lorsque, regardant à nouveau devant elle, elle aperçut le fusil dans la main de l'homme tatoué.

" Exactement ce que j'attendais... ", s'entendit-elle proférer à demi-mots, sachant très bien que le poisson l'entendrait.

Et, se ruant encore et toujours vers cet homme armé qui s'avançait, elle changea d'attitude, pour laisser apparaître sur son visage une forte expression de terreur, et sur son corps, la crispation d'un instant terrible d'effroi.

" A l'aide !!, s'entendit-elle hurler à l'attention de l'homme tatoué. A l'aide, il veut me tuer !!! "

# Trop facile... #
Arrivant enfin à hauteur de l'inconnu qui s'était avancé dans la rue, elle se laissa tomber à terre, sur ses genoux, juste après l'avoir dépassé.
Celui-ci, déjà, pointait son fusil de chasse chargé sur le requin et visait, proférant des menaces insensées avant de tirer.
Alessa n'eut pas à se poser la question : elle savait que le requin était assez loin derrière puisqu'elle avait pris la peine de courir à son rythme, pour être sûr d'avoir le temps de réaliser ses projets avant qu'il n'arrive.
Et alors même que le premier coup de feu retentissait, elle était à nouveau debout, derrière l'homme.
Sur son visage, une lueur carnassière brillait tandis qu'un sourire sadique s'étirait sur ses lèvres.
Et dans un mouvement à la fois rapide et concis, elle rejeta avec violence le fusil de l'homme d'un coup de pied, tandis que dans un même temps elle se saisissait de son bras et le tordait avec assez de puissance et de rapidité pour entendre ses ligaments se déchirer, puis, après un coup sec, ses os se briser.
Elle ne s'inquiétait déjà presque plus de ce que faisait son ancien assaillant. Seul son plaisir pervers la satisfaisait, et déjà, elle se saisissait de son couteau fétiche, accroché à son jean.
L'homme, à terre, n'eut pas vraiment le temps de réaliser ce qu'il se passait lorsque sans vergogne ni pitié elle se saisit de ses cheveux, lui tira la tête en arrière, et le saigna comme un porc, laissant le liquide rouge s'échapper de sa gorge et couler sur le trottoir tel le témoin d'un acte abominable.
Sur Alessa, pas une seule goutte de sang n'avait giclé, tout s'en étant allé par le devant, tandis qu'elle se tenait sur l'arrière.
Elle savoura avec plaisir ce délicieux cadavre du regard, puis, se tenant droite, avisa le requin sans trop savoir ce qu'il avait fait lors de ce court laps de temps où elle avait pris malin plaisir à briser os et vie.
Elle toisa l'hybride qui l'accompagnait d'un regard presque complice, puis esquissa un sourire avant de se baisser à nouveau sur le cadavre du type et de détacher de son cou, d'un coup de lame précis, le bout de chair sur lequel était tatoué sa croix.
Se saisissant de ce bout de peau loin d'être anodin, elle se dirigea vers la porte d'où le type était sorti, la referma, et y punaisa ce fragment de chair signant son appartenance aux Chasseurs - ou du moins, à ceux qui les vénéraient - et la raison de son meurtre.
Puis, d'une voix suave elle laissa échapper quelques mots:

" Vraiment trop facile... "

Et quelques secondes plus tard, après un nouveau petit silence, elle se tourna vers le requin et, ce sourire étrangement complice aux lèvres, ajouta :

" Deux cadavres pour le prix d'un... Quelle chance tu as là, petit poisson ! Bon appétit... "

#Oh la… La garce !#

Il ne l’avait pas vu venir celle-là. Froid et pointu, il senti le canif s’engouffrer dans sa gueule. Il ôta presque immédiatement ses mains de la gorge de la jeune femme pour les porter à la sienne. Par chance, la cuirasse que lui procurait son pouvoir d’hybride était aussi étendue à l’intérieur de son gosier. Plié en deux il toussait furieusement, tentant, à force de successives contractions du pharynx, de recracher l’objet métallique qui menaçait de l’étouffer.
Il senti une faible pression sur son abdomen : Sa proie venait de le repousser du pied et s’apprêtait à fuir. Par reflexe, entre deux quintes, il tendit une de ses pattes et agrippa de nouveau l’encombrant manteau de la fugitive. Il ne fallait pas qu’elle lui échappe.
Le vêtement féminin lui resta dans les mains tandis que sa rusée propriétaire avait pris la poudre d’escampette.
Après une dernière expectoration, l’engin obstruant ses voies aéro-digestives jailli enfin de sa gueule, et produisit un bref cliquetis en retombant sur le sol. Il était étrange de penser combien quelque chose de si petit, d’apparence inoffensive pour l’être qu’il était, avait faillit causer sa perte.
A peine reprenait-il une respiration normale, qu’il entendit le faible murmure de la miss fuyarde.

"Exactement ce que j'attendais..."

De quoi pouvait-elle bien encore parler ? Il dirigea son regard en direction de la voix et se lança sans plus attendre à sa poursuite.

" A l'aide !! … A l'aide, il veut me tuer !!!

Ce n’est qu’à ce moment que le prédateur remarqua l’homme au fusil, qui venait de sortir d’une des maisons bordant la rue face au quai, et à qui elle criait ses supplications absurdes. Lorsque, naturellement, le pauvre nigaud braqua sur lui le canon de son joujou, l’hybride émit un soupir blasé.

#Encore ? Ça en devient presque lassant…#

Une détonation retentie, et il senti comme un désagréable choc le percuter entre deux côtes, mais dont l’ampleur ne dépassait guère une piqure d’insecte sur l’échelle de la douleur.

#Pan ! Et d’un ! Voilà mon gros…T’es content ? Si avec ça t’as toujours pas saisi qu’il en fallait plus pour trouer la peau du vieux Jack ! Tu comprendras ton erreur une fois qu’on sera face à face tous les deux…#

Mais ce face à face ne devait jamais arriver, et pour cause…
Ce qui suivit défila devant les yeux du requin à une vitesse phénoménale.
La fatale demoiselle s’était glissée dans le dos de sa dupe et venait de le désarmer d’un fulgurant coup de pied. D’un geste preste et savant, elle lui brisa un membre, avant de sortir un autre coutelas avec lequel elle lui trancha le cou, et le laissa se vider de son sang sur le bitume.
Il était déjà parvenu à une distance plus que menaçante, mais elle continua son petit manège sans se préoccuper de sa présence. Elle l’avait pourtant remarqué puisqu’elle lui adressa un étrange sourire avant de se pencher sur le corps du chasseur (car s’en était un) et d’y prélever un morceau d’épiderme sur lequel était tatoué sa marque d’appartenance au clan ennemi. Puis, lui tournant une nouvelle fois le dos, elle épingla son trophée à la porte du mort.
La créature s’aperçut qu’elle tenait toujours, serré dans son poing, le manteau de la belle effrontée. Il enfoui son rostre dans l’étoffe et en respira les effluves enivrantes. Propre, rapide, elle ne s’était pas même tachée…
Enfin elle se tourna vers lui, toujours son curieux sourire aux les lèvres, et le railla avec l’insolence suffisante dont elle ne cessait de faire preuve.
Elle venait de tuer un homme, et alors ?
Bon, d’accord… En la voyant comme ça, d’apparence si frêle et délicate, il n’aurait pas forcement pensé qu’elle puisse être une tueuse potentielle.
[Bien qu’après ce qu’elle lui avait fait subir (je parle bien sûre de l’épisode du canif) il eût quand même quelques doutes.]
Mais si elle croyait l’impressionner avec un simple cadavre, elle se mettait le doigt dans l’œil !

« Petite joueuse… » ricana l’animal personnage.

Nan mais pour qui se prenait-elle ? « Deux pour le prix d’un », « petit poisson » ?! Ah ces jeunes d’aujourd’hui, quel manque de respect…
Des types il en avait dézingué des centaines, alors des cadavres, c’est pas ça qui allait lui faire défaut! Et celui dont il avait décidé de se repaître ce soir, c’était le sien à elle.

« T’fiches pas d’ma gueule. » grogna-t-il d’une voix sourde.

De son avant-bras, il donna un violent coup d’aileron en sa direction. Il se doutait qu’elle aurait assez de reflexe et de vivacité pour l’esquiver, mais ce n’était pas elle qu’il visait. En tout cas pas directement. La redoutable nageoire déchira littéralement le corps ensanglanté qui gisait à ses pieds et le funèbre liquide gicla à profusion, aspergeant ainsi la meurtrière.

#Alors comme ça madame aime le sang, mais pas se salir ?#

Bénéficiant de ce court effet de surprise, il envoya vivement sa longue nageoire caudale pour exécuter un magistral balayage qui embarqua les fines jambes de la demoiselle. Cette dernière fut projetée à terre et se heurta contre la façade de la résidence du feu chasseur. A peine eut-elle touchée le sol que d’un bond, il se retrouva presque allongé sur elle, lui entravant bras et jambes. Son cuir rugueux devait certainement égratigner cette peau délicate.
Pourtant il s’était promis de ne pas l’abimer.
Il posa un de ses genoux osseux sur la poitrine de la jeune insolente et l’écrasa rudement.

« Pas trop lourd, le p’tit poisson ? »

(( Désolée pour l'attente, mais examens obligent, j'ai pas trop eu ni temps ni motivation pour répondre avant aujourd'hui ))

« Petite joueuse… »

Alessa profita du fait qu'il ricane pour jeter un oeil à sa superbe dentition. A n'en pas douter, mieux valait pas se frotter de trop près à ce type. La vigilance devait absolument être de mise... Car elle ne savait pas ce dont il était capable, mais du peu qu'elle en avait vu, il pourrait très certainement lui faire dire une bonne fois pour toute "Bonjour" à la mort. Et ça, c'était bien peu recommandable... Elle avait encore certaines choses à régler.
Alors quand il envisagea de s'en prendre à elle à coup d'aileron, son premier réflexe fut d'esquiver, ce qui fut fait sans bien trop de difficultés. Mais alors qu'elle commença à esquisser un sourire moqueur, elle réalisa que le but de son assaillant était tout autre que de la blesser lorsqu'elle reçut sur elle une bonne giclée de sang des plus écœurantes.
Alessa fut bien surprise de se retrouver ainsi souillée, elle qui espérait pouvoir rentrer chez elle sans avoir à susciter d'interrogations de la part des passants. Mais visiblement, les choses, cette fois-ci, ne seraient pas aussi aisée.

# Sale saumon, tu vas m'le... #

Mais elle n'eut pas même le temps de terminer de penser qu'elle se retrouvait déjà les quatre fers en l'air. Ce qu'il s'était passé ? Le requin avait tout simplement profité de l'effet de surprise pour tenter de renverser la gosse avec sa foutue nageoire caudale. Alessa avait eu le temps de le voir mais... Pas assez tôt, hélas. Et en un rien de temps, elle s'était retrouvée par terre, après avoir lourdement cogné le mur avec sa tête.
Jamais elle ne s'était sentie aussi humiliée. Elle qui était si douée en matière de prévoyance et d'esquive, elle faisait bien grise mine face à cet assassin incapable de la suivre à la course.
Humiliée, c'était le mot. Et c'était loin d'être terminé.
En un rien de temps, elle sentit le poids lourd et pesant de l'animal l'écraser, et sa peau rugueuse et rêche irriter la sienne.
Lorsqu'il vint poser son genou sur sa poitrine, elle ne put retenir un certain hoquet, sa respiration coupée l'espace de quelques secondes.
Ce type était imprévisible, en fin de compte. Et elle commençait à regretter de s'y être frottée.
Le jeu était terminé, et désormais, seule la réalité comptait : ce sanguinaire avait bien décidé de se délecter de sa chair fraîche en cette sombre soirée, et il fallait envisager le pire, et prendre les précautions nécessaires.

« Pas trop lourd, le p’tit poisson ? »

Elle sentait son visage grimacer sous l'âpreté de cette peau marine, sans parler de son poids qui, peu à peu, lui coupait un peu plus la respiration.
Si elle restait comme ça, à sa merci, il finirait par l'achever. Et il était hors de question qu'elle laisse s'échapper une vie aussi futilement.
Pourtant, il valait mieux en perdre une, que la perdre tout court.
Alors, après un regard mesquin à l'animal, elle se transforma, non sans douleur, prenant ainsi sa forme hybride. Elle aurait pu prendre forme animale, tout simplement, cela aurait été plus pratique pour fuir... Mais elle ne pouvait risquer de se faire complètement écraser par cette abomination.
Alors... Hybride, c'était parfait. Et puis... C'était aussi sa meilleure chance de survie.
En un rien de temps, son apparence avait changé, et de son regard bleu-nuit, pigmenté ça et là de touches de vert-jaune, elle rassembla ses forces et tenta tant bien que mal de déstabiliser son adversaire pour enfin se retrouver libre de ses actes. Mais il était bien plus coriace qu'il n'en laissait paraître, et tant qu'il entravait ses mouvements, elle ne pouvait envisager de se défendre.

Elle n'avait pas peur. Elle était simplement furieuse. Furieuse d'avoir ainsi été humiliée.

" Que ce soit ce soir ou un autre jour, j'te l'f'rai payer, sale friture ! "

Rassemblant à nouveau ses forces, elle tenta au moins de se libérer un membre, et finalement, réussit. Cependant, elle voyait déjà son assaillant revenir sur elle pour à nouveau l'entraver complètement. Et dans le laps de temps où elle libéra son bras, elle sortit ses griffes et s'offrit le plaisir de chercher la profonde entaille au niveau de l'oeil de ce salopiaud qui la maîtrisait. Elle voulait voir le sang gicler et souiller son visage... Mais savait d'une certaine façon qu'il était possible qu'il soit résistant de partout, et par conséquent, invincible.
Elle n'eut pas tôt fait de le griffer au visage que déjà il s'emparait à nouveau de ce bras rebelle qui avait tenté l'échappatoire.
Elle sentait la défaite approcher sans pour autant l'accepter.
Et ce corps lourd, qui, toujours sur elle, irritait sa peau délicate...

# J'te crèverai, poisson... Je te jure que je le ferai #

Jamais semblable créature n’avait osé lui tenir tête de la sorte.
Alors qu’il pensait l’avoir entièrement à sa merci, entre ses propres mains, l’hybride requin vit s’opérer la métamorphose de son irréductible captive. Deux oreilles pointues percèrent la chevelure de cette farouche brunette. Ses membres inférieurs ainsi que l’extrémité de ses supérieurs se muèrent en pattes animales tandis que sa taille diminuait légèrement et qu’une longue queue flexible lui avait poussé au bas du dos. Son parfum aussi changea ; il lui trouva quelque chose de plus animal, de félin même, si son odorat ne le trompait pas.

#Une hybride ?#

Ça surprise ne fut que partielle. Après tout, qu’est-ce que cela changeait ? Quelque part il s’était douté qu’elle ne pouvait être une simple humaine. Cela venait juste confirmer la raison pour laquelle elle avait tué le chasseur au fusil et c’était réjouit du meurtre du premier. Peut-être même avait-elle crue une seconde qu’eux deux auraient put être dans le même camp ?
C’était sans compter le jeu dangereux qu’elle avait décidé d’entreprendre avec lui.

" Que ce soit ce soir ou un autre jour, j'te l'f'rai payer, sale friture ! "

Essuyer de telles impertinences commençait à être lassant. Puis c’est qu’elle continuait de lutter, et de se débattre comme une vraie furie !

« Causes toujours… »

Il ne vit que trop tard le coup de griffe qui lui arriva en pleine face. Ce satané brin de fauve avait réussi à libérer une de ses pattes de velours aux serres affilés. D’une vivacité et d’une précision redoutable, elle aurait put lui crever un œil ! C’est d’ailleurs surement ce qu’elle avait eu l’intention de faire. Il n’avait déclenché son pouvoir d’hybride qu’une fraction de seconde trop tard, et son armure n’avait put lui épargner la profonde entaille qu’un des ongles acérés réussi à percer juste sous son œil droit. Cette garce allait lui laisser un cuisant souvenir. Le genre de souvenir qui lui restera gravé sur le cuir peut-être jusque dans sa tombe.

« Sale peste ! »

Ses poings serrèrent le cou de cette pimbêche à le briser, et il appuya d’avantage son poids sur sa cage thoracique comme s’il avait voulu lui rompre les côtes. Resserrant son étreinte mortelle, il approcha sa gueule du visage de la féline.

« A ton tour…de saigner ! »

Ce n’est qu’à ce moment là qu’il remarqua les étranges iris constellés aux pupilles en fentes qui le toisaient d’un regard haineux. Il se fit alors la réflexion qu’elle était d’autant plus belle sous sa forme hybride. Elle lui faisait penser à un sphinx : fière, superbe, et cruelle à l’image de cet infernal être de légende.
Il saisit, aussi délicatement que possible, l’une des majestueuses oreilles en pointe dans sa mâchoire et y planta ses crocs. Il ne comptait pas la lui arracher, seulement la faire saigner, histoire d’y goûter un peu … du moins pour le moment. Une proie de cette valeur ça se dégustait doucement, petit à petit, afin de bien en apprécier toute l’infinie saveur. Tandis que le sang s’écoulant de la plaie se répandait dans sa bouche, charmant ainsi sa langue, le carnassier se délectait. Veillant bien à ne pas en perdre une goutte, il lapa avidement le savoureux liquide qui ruisselait bientôt sur la figure et jusque dans le cou de sa délicieuse prise.

« Tout à fait… exquis. »

Pendant tout le temps qu’avait duré son petit manège, le meurtrier carnivore n’avait relâché à aucun instant l’étouffante pression que le fatal étau de ses doigts robustes exerçait sur le cou de la jeune prisonnière.

# Comment... Comment en suis-je arrivée là ? #

Elle se débattait, encore et encore, n'ayant de cesse de tenter de se sortir de cette étreinte qu'elle savait fatale. Elle avait voulu jouer à un jeu dangereux, et désormais, elle se savait entre les mains seules de ce monstre, incapable de se hisser hors de ce piège mortel.
Elle sentait encore sa peau rêche râper la sienne, et plus encore lorsqu'elle essayait tant bien que mal de se débattre...
Elle gardait comme espoir de fuite cet instant où elle avait été capable de libérer son bras et avait tailladé le visage de son agresseur. Mais il était avertit désormais... Et il ne baisserait certainement plus sa garde.
Elle observait le sang s'écouler de la plaie qu'elle lui avait ouverte sous l'oeil, un léger sourire mesquin aux lèvres.

# Pas complètement invincible, le poisson, on dirait... #

Elle l'avait eu pas surprise. Et si les balles ricochaient sur sa peau, pourquoi cette simple griffure l'avait-elle atteint ?

# Parce que ton pouvoir n'opère pas instinctivement ni machinalement comme le mien... Mais volontairement. #

Elle souriait dans sa tête. Elle savait qu'elle risquait fort de laisser une de ses vies entre les mains de ce salaud. Mais elle connaissait le point faible de sa carapace, et elle était bien décidée à l'exploiter lorsque... elle viendrait se venger.
Cependant, si elle savait qu'elle avait peu de chance de s'en tirer, elle gardait en tête le compteur de ses vies, le regardant s'amenuiser encore et toujours jusqu'à arriver à zéro. Aucune vie ne devait être laissée au hasard, elle ne devait en sacrifier aucune, sauf si c'était pour au contraire les préserver. Et cette vie-là, qu'elle savait fébrile et sur le point d'éclater, elle pouvait encore la protéger. Elle le devait. Car sa perte serait inutile, et ne ferait que rapprocher encore plus vite son compteur du zéro.

Elle sentait les mains rêches du requin venir se placer sur sa gorge avec colère. Lorsqu'elle plongea son regard dans le sien, elle put y lire la rage qu'il semblait ne plus contenir. C'était inévitable de toute façon. Elle se jouait de lui, se montrait arrogante, et refusait de mourir. Avait-il connu victime plus divertissante ?
Sans compter qu'elle souriait... Sans relâche... Comme si pour elle, le jeu ne s'arrêtait pas aux menaces de mort.
Cependant, la violence de ses gestes menaçait de lui faire perdre pied. Déjà, elle sentait l'étau se resserrer autour de sa gorge, désormais comme sur le point de craquer ; et ce poids, si pesant qui écrasait sa cage thoracique, offrant une douleur presque atroce à Alessa qui sentait ses poumons comme éclater sous la pression et de ce corps rugueux et face à la fermeture quasi complète de sa gorge, seule issue vers la sortie.
Elle soutint le regard du requin quelques instants tandis que de ses bras désormais libérés elle essayait en vain de repousser l'animal. Mais c'était impossible désormais, aucune griffure, aucune pression ne le ferait céder. Car il était prévenu, et se protégeait.

« A ton tour…de saigner ! »

"... Va t'faire ... "

Elle était presque incapable de parler, les mots peinaient à sortir, tout autant que l'air qui restait prisonnier de ses poumons.
L'espace d'un instant, elle se surprit à éteindre le sourire qui flottait jusqu'alors sur ses lèvres, tandis que le requin se penchait sur son visage, puis venait se saisir d'une de ses oreilles entre ses mâchoires.
Alessa grimaça de douleur lorsqu'il mordit à l'intérieur, retenant les gémissements qui en témoigneraient. Elle refusait de se soumettre à ce monstre, elle refusait de lui donner satisfaction. Pourtant, il était sur le point de lui ôter la vie... Depuis combien de temps déjà ne respirait-elle plus ? Elle avait cessé de se débattre pour économiser son énergie et donc le peu d'air qu'il lui restait. Mais la situation devenait délicate et bien malgré elle oppressante.
Elle savait son visage se teinter de rouge par manque d'oxygène. C'est alors qu'elle sentit le liquide chaud de son propre sang se déverser sur elle, puis les lapements insupportables du requin venu n'en perdre aucune goutte.
Elle sentit alors des semblants de larmes lui monter aux yeux... Mais elle refusait. Elle refusait de les montrer, d'offrir telle satisfaction à ce monstre qui s'emparait d'elle. Elle ne devait pas se montrer si faible !

# Réveille-toi, chaton, il va te tuer !! #

Mais elle avait beau dire, elle était incapable de faire quoi que ce soit. Il entravait tous ses mouvements, et l'empêchait de respirer. Elle n'avait même plus la force de se débattre, déjà, elle sentait comme un voile d'ombre s'imposer devant ses yeux.

# Ne t'endors pas !! #

Mais pourquoi lutter plus ? Elle était incapable de se sortir de cette mauvaise passe. Elle ne pouvait qu'y rester... Et si elle avait eu assez de force pour le faire, elle se serait ôtée la vie d'elle-même, pour ne pas avoir à faire flancher sa fierté.
Mais que pouvait-elle faire désormais ? A part subir, et tenter de ne jamais oublier le visage hybride de celui qui avait voulu lui ôter la vie... ?

"... Dis... Dis-moi... Qu... "

Elle peinait à parler, et pourtant, si c'étaient là ses dernières paroles à cet homme, elle devait réussir. Elle voulut ravaler sa salive, mais l'étreinte qu'opéraient les mains du requin sur elle l'en empêchait. Comment serait-elle capable d'aligner trois mots de la sorte ?
Elle plongea alors ses iris dans les siens, soutenant son regard avec une insistance que nulle personne sur le point de mourir ne devrait arborer.
Et après un léger silence où elle tentait de contenir sa douleur, elle lâcha finalement dans un souffle qui n'était plus très loin d'être le dernier :

" Dis-moi... Le nom de l'ho...mme... Qui s'apprê-te à... me tuer. "


Elle voulait entendre sa réponse. Elle en avait besoin... Pour après.
Pourtant, le simple fait d'avoir posé la question fut comme un soulagement pour elle... A bout de force... Au bord du gouffre... Elle laissa sa tête tomber en arrière définitivement. Elle ne pouvait plus lutter, elle n'en avait plus la force, bien que le courage soit encore là...
Elle savait que s'il s'en tenait à cela, elle se réveillerait dans quelques temps.

Elle ne sentait plus son corps. C'était comme s'il s'était défait de son esprit et que désormais, elle n'était plus rien qu'un débris d'âme flottant au-dessus du néant.
C'était la sensation la plus désagréable et la plus exaltante à la fois qu'elle connaissait. Elle savait son regard encore plongé dans celui de l'homme qui sans jamais relâcher prise l'étrangler avec rage et satisfaction. Allait-il abîmer son corps un peu plus après cela ? Allait-il... S'en délecter et le faire disparaître à jamais dans son estomac ?
Elle sentait cette dernière douleur qui était sienne, plus puissante et prononcée que jamais. C'était le point de chute. Celui dont elle ne se relèverait que quelques heures plus tard ou quelques jours, qui sait...
Elle avait mal. En un instant, elle senti comme une décharge élèctrique dans chacun des membres de son corps, un long instant qui n'en finissait plus d'être. Elle voulait crier, mais c'était impossible. Elle voulait respirer... Mais à la place, elle souffrait, et se sentait s'endormir.
Son cerveau ne semblait déjà plus interpréter quoique ce soit. LE voile d'ombre était devenu plus oppressant et opaque et déjà, elle ne percevait plus rien, ses sens, auparavant si aiguisés, ne ressentaient déjà plus rien du monde dans lequel elle était censée vivre. Seule sa gorge subissait un point de pression, et semblait se briser. C'était la fin. Enfin... La fin d'un instant trop long de souffrance et de douleur dont elle préfèrerait se passer...

Décidément... Elle détestait cela... Mourir.

" Dis-moi... Le nom de l'ho...mme... Qui s'apprê-te à... me tuer. "

« Walker… »
Avait-il lâché machinalement, tout en soutenant le regard perçant de sa victime.
« Jack Walker. »

Il ne savait pas pourquoi il lui avait répondu… Et de surcroît par son vrai nom.
Après tout, Derek Jackowski n’était qu’un nom d’emprunt, la pâle couverture qu’il s’efforçait de garder dans ce monde régit par les lois humaines. C’était le nom de l’humain, du dessinateur, pas de l’homme qui tuait. D’ailleurs Jack n’était pas un homme, il était une créature avide de sang, et considérait sa forme hybride comme sa forme véritable. C’était bien lui, Jack, et non Derek, qui à ce moment là était en train de lui ôter la vie.

Le battement dans ses artères s’arrêta.
Elle cessa de s’agiter et ses membres retombèrent mollement de part et d’autre de son corps silencieux.
Silencieux…
Plus de pouls, plus de pulsation cardiaque, plus de respiration, plus l’horrible gargouillis de cette gorge étranglée, ni plainte, ni soupir… C’était le silence complet dans son être. Le doux mutisme de la mort s’était enfin emparé d’elle.
Il lâcha prise, et contempla un moment le corps inerte de la féline créature.
Ses lèvres entrouvertes avaient perdu leur vif carmin pour une teinte violacée, laquelle, il fallait l’avouer, lui allait à ravir. Les marques de la strangulation avaient laissé sur son cou d’albâtres des ecchymoses. Ses yeux aux étranges pupilles de félidé étaient restés grand ouvert… Jusqu’à la fin.
C’était sans conteste le plus beau cadavre qu’il avait vu dans toute sa carrière de meurtrier.
Il demeura encore une interminable minute, comme captivé par cette macabre splendeur. Ces yeux… Les yeux de la trépassée semblaient encore le fixer, comme si elle avait voulu soutenir son regard par-delà même sa propre mort.
Non… Finalement, il ne la mangerait pas.

Une idée lui effleura soudain l’esprit ; et s’il jetait un coup d’œil à ses affaires ?
Une part de lui répétait, intraitable :
#Qu’importe puisqu’elle est morte ?#
Mais toujours au fond de son être, une question le taraudait :
#Qui était-elle ? Celle qui a osé me tenir tête jusqu’à son dernier souffle…#

D’ordinaire, il se contentait juste de dessiner les cadavres de ses victimes, puis, à la limite, de les dévorer. Bien qu’il lui arrivât parfois de planquer les restes, dès lors qu’ il s’agissait de chasseurs, il les laissait bien évidence : Provocation ou exemple, il était nécessaire qu’on les retrouve. Et ce soir c’est ce qu’il allait faire… La police conclurait à un affrontement chasseurs/anti-chasseurs ; c’était exactement ce qu’il voulait. Seulement cette mystérieuse chatte avait piqué sa curiosité, et avant que de laisser les corps, il brûlait d’en apprendre plus sur elle.
En fouillant son manteau il tomba sur un bloc de dessin qu’il feuilleta. Elle était douée. Des croquis d’une rare qualité qui auraient bien pu constituer de véritables œuvres d’art à part entière. Elle devait être une artiste de talent. Il s’arrêta un instant sur un dessin dans lequel il reconnût une silhouette qui lui était bien familière. Un sourire ravi apparu sur la mâchoire du requin.

"Très ressemblant… Mieux que ça, même : C’est tout à fait moi."

Il poursuivit ses recherches et trouva le portefeuille de la mystérieuse victime. En l’ouvrant il trouva d’abord une carte d’identité au nom de…

« Mlle Alessa Van Henn. »

Mais en vidant bien toutes les petites poches, il tomba sur d’autres papiers venant contredire ce qu’affirmait sa première trouvaille quant au patronyme de l’énigmatique demoiselle :
Une carte d'accès au Louvre attribuant le titre de maître de conférences à Mlle Sofia d'Arlis, puis une seconde carte d'identité venant attester que notre belle brune était bien Mlle d’Arlis. Enfin, pour ne pas faire mentir ce vieil adage du « Jamais deux sans trois », une troisième carte d’identité au joli nom de Leona Gary, plus une Gold Master Card où y étaient inscrit les mêmes caractères.
Sofia, Alessa ou Leona ? Il faillit éclater de rire. Décidément, avec cette fille, il allait de surprise en surprise ! D’abord il avait noté qu’elle semblait dotée de sens aussi aiguisés que les siens, puis elle lui avait ensuite montré ses talents de tueuse qu’il n’avait pu s’empêcher de reconnaître, étant lui-même un meurtrier émérite… Après ça il avait découvert que comme lui, elle était une hybride et, ô étrange coïncidence, comme lui, elle était une dessinatrice de géni. Et voilà maintenant, que, toujours comme lui, elle usait aussi d’une fausse identité, à la différence qu’elle ne se bornait à n’utiliser qu’un seul faux nom.
Avec tout ça, il ne saurait jamais son véritable nom. Peut-être même qu’il n’était inscrit sur aucune de ces cartes qu’il avait en main. Résigné, il remit tous les papiers à leurs places et rangea le portefeuille là où il l’avait trouvé.

Il s’empara du crayon qui était encore attaché au bloc et reprit une apparence humaine, plus adaptée pour manier l’ustensile.

« Laisses-moi un peu te tirer le portrait aussi. Tu l’as fait pour moi, il est juste que je te rende la pareille… »

Il dessina la scène aussi vite qu'il le put. Tout en imprimant au possible le sublime spectacle que lui offrait cette morte, il se promettait, quand il serait au calme d’en faire la plus belle œuvre de toute sa collection.
Une fois le croquis achevé, il se pencha sur la défunte beauté et caressa une dernière fois son visage livide. Il n'était pas bon de rester trop longtemps dans les parages.
Pour la première fois de sa vie, alors qu’il s’éloignait de la dépouille, une étrange sensation sembla naître en lui.

"Au fond, c’est presque dommage…"

Oui, pour la première fois, Jack éprouvait ce qui semblait être une infime particule d’un vague sentiment de remord. D’un revers de la main il essuya le sang qui, semblable à une larme écarlate, s’écoulait de l’entaille dessous son œil droit.

"Garce…"

Dans un dernier ricanement, la silhouette de l’homme s’allongea et se trouva de nouveau pourvu d’ailerons. Après avoir délicatement placé le carnet à croquis de la belle défunte dans sa gueule, (qu’il tint bien fermée afin que l’eau ne vienne pas en gâter le précieux contenu), il s’avança vers la bordure des quais, puis plongea dans le fleuve où il disparu dans les aqueuses ténèbres.