Juste avant ... [Angeline]

Comme souvent le midi, Maximilien descendait de sa tour pour aller manger à l'extérieur. C'est là qu'il avait croisé Julie Vaugan qui n'était autre que son ancienne assistante, qui avait posé sa démission pour s'occuper de son futur enfant. Futur enfant qu'elle tenait d'ailleurs dans ses bras… Petit bambin de quelque mois, aux cheveux déjà sombres du nom de Thomas.
Après de chaleureuse salutation, la discutions avait tout naturellement commencé.


-Je suis venue voir Isabelle et les autres. Elle me pressait pour que je leur montre Thomas.
Expliqua Julie.

-Cela peut ce comprendre. Il est adorable. La complimenta Maximilien avec un sourire. Il y avait certes une part de simple courtoisie dans cette réponse, mais aussi une part de sincérité.
Il aimait les enfants. Il aimait le simple fait qu'ils représentent l'union de deux vies pour en bâtir une troisième et la métaphore du renouveau qu'ils incarnaient…
La vision ho combien simple de Julie tenant son Thomas avec tant d'amour était la plus belle que Maximilien avait pu voir ces dernier temps. Il y avait de l'amour et du bonheur dans les yeux de la jeune femme, un rayon de soleil sur la mort et la tristesse qui s'était abattu sur la sienne.

-Et comment cela se passe-t-il avec Katheleen ? Embraya-t-elle.

-Bien, très bien même… Elle est très efficace. Mentit Maximilien, du moins en partie. Il ne mentait pas sur l'efficacité de Katheleen, mais plutôt sur le "très bien". Car si on considérait les derniers propos que la jeune écossaise avait eut pour lui, on pouvait aisément démentir ce "très bien". Si évidemment ces même propos n'avaient rien à voir avec leur relation professionnelle mais plutôt avec leur nature clandestine cela n'empêchait pas de rendre l'ambiance tendu entre les deux depuis ce fameux soir.
Julie jeta un regard franc à son ancien patron.

-Vraiment ? Isabelle disait pourtant que vous sembliez plutôt distant l'un l'autre.

Elle n'était jamais passée par quatre chemins, et il la reconnaissait bien : Elle avait une idée derrière la tête et s'arrangerait pour le menait à en parler. Inutile de lutter.

-Disons qu'elle a un franc parlé plus prononcé que le votre, et j'ai mon caractère aussi alors ils nous arrivent d'avoir quelque accros… Rien de bien méchant. Elle est juste ..; Différente de vous. Eluda-t-il avec un sourire. Il ne tenait pas particulièrement à ce que ce sujet vienne sur la table, et il s'inquiétait que le froid qui le séparait avec Katheleen avait été ressentit par les autres employés…

Julie l'observa et finit par pousse un soupir.

-Maximilien, je vous connais surement mieux que personne… Vous n'êtes pas le genre à laisser une mauvaise relation s'établir avec vos employés. Encore plus avec votre assistante… Et je ne pense pas que votre écart de caractère est la véritable raison de vos tensions. Si cela était le cas, elle serait la seule à être contrarié. Si vous l'êtes aussi c'est que la cause est plus personnelle…

Evidemment, il avait presque oublié a quel point elle arrivait à cerner la façon dont il abordait les autres. Il devait avouer que son analyse n'était pas fausse. Il ne s'était jamais braquer face à un refus d'ordre, ou en voyant la mauvaise humeur qu'il pouvait faire naitre chez quelqu'un.
.
-Ou voulez vous en venir Julie ? Demanda-t-il avec une innocence feinte, car en réalité son cœur tambourinait à l'idée qu'on ait pu se rendre compte de la véritable nature de sa relation avec l'aquatique.

-Là où l'on m'a mené quand j'ai parlé avec Isabelle. Beaucoup pense que votre relation n'est pas simplement … Professionnelle.

Elle posa un regard pensant sur lui. Soulagé mais à la fois piqué à vif il répondit :

-Je ne suis pas ce genre de patron Julie, je pense que vous êtes la mieux placé pour le savoir.

Alors comme ça on pensait vraiment qu'il existait une amourette entre lui et Katheleen ? Et dire qu'il avait craint qu'on les perce vraiment à jour …

-J'étais une assistante marié. Katheleen est célibataire, et c'est différent… Je n'ai pas dit croire en ces ragots Maximilien… Mais sachez que c'est ce qu'il se dit… Parce que vous ne casseriez pas le nez de n'importe quel ivrogne de géniteur qui viendrait ennuyer sa fille dans vos bureaux.

Cette fois la surprise de Maximilien ne fut pas feinte. Il était non seulement surpris de la voir aborder ce genre de sujet qu'ils n'avaient jamais abordé, mais aussi de voir qu'elle était aussi au courant pour l'incident qu'il s'était produit entre lui et Marvin le père de Katheleen.
Il l'a vit baisser un peu les yeux pour ajouter timidement.

-Isabelle m'a rapporté que vous étiez rentré dans la salle ou Katheleen s'entretenait avec son père et que lorsque il a été mit à la porte il portait des blessures qu'une femme ne peut pas donner… Et puis ce n'était pas Katheleen qui avait du sang sur l'une de ses manches… Ecoutez, je vous rapporte juste ce qu'il se dit. Cela ne me regarde plus… Et je sais que vous vous fichez bien de ce que l'on peut dire ou prétendre sur vous, mais je tenais à vous faire part des doutes qui planent sur vous...

L'esprit de Maximilien analysait la situation. Cette pseudo histoire entre lui et Katheleen était la parfaite couverture pour eux. On ne soupçonnerait pas qu'ils étaient en fait : Maximus l'ancien et Katheleen l'aquatique de son peuple, mais on imaginerait une histoire romantico-tragique comme les femmes les aiment !
Cela ne tombait pas si mal. Evidemment tant que cela ne remontait pas jusqu'aux oreilles de l'écossaise il pouvait espérait "entretenir le mythe", car si elle venait à le savoir il ne doutait qu'elle ne se priverait pas pour broyer les espoirs de tout le monde dans le cylindre de son franc parlé.

Il se composa une fausse mine coupable avant de répondre :

-Bien, je comprends votre démarche…

Il ne démentait pas, il n'encourageait pas. L'imaginaire des gens suffisait bien souvent à faire le travail seul.

-Bon, il va falloir que j'y aille… Prenez soin de vous Maximilien.

-J'ai été ravis de vous revoir. Ainsi que Thomas. Repassez quand vous voudrez… Vous nous manquez beaucoup à tous vous savez ?

Il se permit de lui faire la bise, ainsi qu'à son fils avant de la laisser s'éloigner encore surpris de la conversation qu'ils venaient d'avoir.

Angeline venait de passer l'une des matinées les plus longues de sa vie. Il ne s'était pourtant écoulé que trois heures et demies depuis qu'elle avait mis les pieds dans cette salle du Louvre. Malgré tout, les conversations typiquement féminines de ses camarades s'étaient infiltrées jusqu'à ses oreilles, alors qu'elle s'efforçait de suivre l'explication du contexte dans lequel se situait un tableau de Picasso que faisait le professeur sans paraître gêné de leurs gloussements intempestifs. Oui, oui, professeur.

Depuis deux semaines, Angie avait entamé un stage de validation d'acquis proposé par une classe spécialisée qui avait ouvert dans la section éducative du Louvre. Cela faisait quelques années que ce programme avait été proposé. Le but était de suivre des sortes de cours d'introduction à l'art et à l'Histoire, dans plusieurs langues, afin de passer un examen équivalent à l'obtention d'une double licence. Une autre option permettait également de valider une expérience première sur le terrain. Ainsi, les lauréats de ce stage auraient la chance d'obtenir une place au sein des travailleurs de ce musée de prestige, ou pourraient tout simplement entamer un master dans une faculté spécialisée en la matière.
La vampire avait toujours été fascinée par l'Histoire, et de nature curieuse, l'art ne la laissait pas indifférente. Originaire d'Italie, elle connaissait quelques choses intéressantes sur le sujet. De plus, avec ses voyages, elle avait acquis la connaissance de plusieurs langues. Lassée de son travail au Pussycat Star, elle s'était donc lancée dans l'aventure. Et pourtant, on pouvait dire qu'elle ne regrettait pas le moins du monde.

Enfin, mises à part les piplettes juvéniles qui avaient également intégré le parcours, tout se passait bien. Celles-ci étaient en train de lister les garçons de leur groupe sur des critères physiques, et persifflaient contre les quelques filles de la classe qui n'avaient et ne pourraient jamais intégrer leur clan, soit parce que trop inutiles, soit parce que trop méprisée car dangereuses. Il avait semblé à Angie qu'elle faisait partie de cette dernière catégorie, bien qu'elle ne comprenne pas vraiment pourquoi, mais quelque chose lui disait que le garçon dont elle s'était rapprochée devait en être la raison.

‹‹ Raah, mais pourquoi Peter reste toujours collé à elle ? On est mieux qu'elles quand même, non ? ››

Elle avait lâché un soupir, et s'était résignée à les ignorer aussi simplement que le faisait habituellement le prof. Ca avait fini par fonctionner, grâce à Peter qui commentait avec elle les différents propos de l'enseignant. Puis il avait annoncé la fin du cours d'aujourd'hui, mentionnant qu'il y avait vers quinze heures une sortie éducative dans le musée, dans laquelle ils pourraient suivre un parcours spécifique en endossant le rôle de guide-interprêtes. Elle irait certainement.

‹‹ Dis Angie, tu voudrais bien m'accompagner sur les Champs, j'ai ABSOLUMENT besoin de ton avis sur la nouvelle tenue que je compte acheter pour faire enrager mon père ! ››

Evidemment, elle avait accepté en riant légèrement, mais de bon coeur. Peter était natif d'Oxford. A ses cinq ans, sa mère avait foutu le camp, le laissant au bon vouloir de son père, qui par la suite avait été muté en France. Ce dernier avait un poste haut placé, et recevait un salaire mensuel certainement équivalent à ce que pouvait gagner Angie en dix mois de travail. Ce qui faisait de Peter un gosse de riche. De plus, son père avait acheté un appartement bien trop grand pour deux, dans lequel il rentrait rarement, puisqu'il partait souvent en voyage d'affaires, ou bien il restait dormir à l'hôtel parce qu'il finissait trop tard. Et puis, Monsieur Ross était l'un de ces hommes rendus ivres par les femmes, ce qui faisait de lui l'un des plus gros gagne-pain de la prostitution " légale " du marché. Ce qui faisait donc de Peter un gosse seul, en manque d'affection, dépendant de faire toutes les choses inimaginables pour rendre son père cinglé, consolé simplement par l'argent. Il lui avait raconté pas mal de choses qu'il avait faites pour attirer son attention. Il n'en avait récolté que de plus gros billets, son père pensant qu'il ne faisait cela que pour quémander plus d'argent de poche. Une fois de plus donc, il s'était mis en tête de l'exaspérer.

Une demie heure plus tard...

‹‹ Alors, t'en penses quoi ? ››

- Si ça ça ne le fait pas réagir, je pense qu'au lieu de t'envoyer voir un psy, c'est lui qu'il faudra emmener.

‹‹ Exactement l'effet que j'espérais ! ››

Ils avaient ri. Peter était parti régler ses achats avec sa carte gold limitless, puis ils étaient sortis. Sur le trottoir, ils avaient retrouvé trois des filles de leur classe, accompagnées par deux garçons. Puis le regard d'Angie avait traversé la route pour se poser sur le trottoir d'en-face.

‹‹ Oh my gosh ! Regarde ce mec, il a tellement la classe ! ››

Elle avait suivi le regard de Peter, puis elle avait esquissé un nouveau sourire en murmurant :

- Maximilien... Tu m'en veux si je te laisse ?

‹‹ Oh ! Je devrais te détester de connaître un si bon parti ! Mais bon, je comprends que tu veuilles m'abandonner aux harpies pour y aller. Allez file ! ››

Après quoi il l'avait enlacée, déposé un baiser claquant sur sa joue, et regardé traverser la route en lui faisant un signe de la main.

‹‹ Ah au fait Angie ! Si on ne se revoit pas à la sortie éducative, n'oublie pas qu'on passe chercher tes affaires vers 19h ! ››

- Je n'ai pas oublié, tu le sais, tu veux juste me forcer à t'aimer un peu plus ! avait-elle répondu en riant une nouvelle fois.

Puis elle était passée de l'autre côté, sans savoir si Maximilien l'avait déjà vue ou pas encore. Elle l'avait rejoint.

- Bonjour, avait-elle simplement souri.

L'esprit encore soucieux de ce que Julie avait pu lui apprendre, Maximilien se laissa porter par ses pas sans plus d'attention sur les champs.
Sûrement aurait-il pu continuer à déambuler robotiquement jusqu'au restaurant, si un éclat blond et chatoyant se déversant sur des épaules aux courbes familière n'avait pas attiré son attention.

Il avait freiné sa marche assez brusquement pour porter son regard vers cet éclat, et un sourire avait pointé sur ses lèvres lorsqu'il distingua la silhouette d'Angeline.

Pourtant, il resta simplement sur place sans oser traverser. Il l'observa de loin, hésitant à la rejoindre… La faute au petit groupe qui l'accompagnait.
Au premier coup d'œil on aurait dit une simple bande d'amis étudiant. Les visages jeunes qui accompagnaient la vampire surprirent l'ancien. Il lui semblait étrange de la voir en compagnie de si jeunes personnes, comme une étudiante normale, car lorsqu'il il repenser aux discutions qu'ils avaient eut, il n'avait le souvenir que d'une maturité exemplaire acquise par les années. Elle lui avait semblé si adulte, qu'il avait oublié que d'apparence elle se confondait parfaitement à cette troupe étudiante.

Il s'en trouva idiot et étrangement intimidé, planté là, comme si la rue qui les séparait été un ravin sans fond.

Outre la jeunesse de ses camarades, c'est leur allure qui ne manqua pas de surprendre Maximilien; une majorité de fille dont la quantité de maquillage donnait à leur physique une allure synthétique et fausse.
Evidemment, peut être jugeait-il avait de connaître, mais il lui semblait qu'Angeline se détachait de ces femmes comme un zèbre dans un troupeau de buffle…

Il se sentait perplexe. De l'intimité qu'ils avaient partagée, il en gardait le souvenir du naturel franc et timide de la jeune femme qui ne pouvait pas correspondre aux midinettes montées sur talons qui l'accompagnait… Et s'il s'en referait à la maxime de son père qui lui disait qu'on juge une personne sur ses fréquentations, cela voulait dire qu'il s'était laissé abuser par la douceur d'Angeline… Ce pouvait-il qu'il n'ait pas sur voir un côté "croqueuse d'homme" chez elle ?

Evidemment, s'il appliquait cette même maxime à l'homme qui se tenait à ses côtés, il aurait pu être rassuré : Grand, bien habillé, l'allure fière, l'inconnu semblait d'un milieu social aussi haut que celui dans lequel l'orque avait vue le jour.
Il ne s'agissait pas d'un de ses rockeurs aussi mal coiffé que mal lavé, ni un de ses rappeurs au goût vestimentaire plus que douteux, mais bien d'un homme bien portant, souriant voir même sympathique… Un type plus que bien même pour les critères draconiens de Maximilien.

Mais pour une raison qu'il ne s'avouait pas, il refusa de placer ce garçon dans les connaissances régulières de la strip teaseuse, et préférait largement l'idée que sa présence à ses côtés soit plus qu'épisodique. Une simple coïncidence en somme…

Nageant entre deux eaux, il n'avait toujours pas fait le moindre pas vers elle. Un bruit de frein lui fit tourner la tête. Une voiture venait de s'arrêter, prenant son hésitation pour un désir de traverser. Il lui fit signe de passer, et lorsqu'il releva les yeux il remarqua que le garçon s'adressait à Angeline avec une familiarité plus qu'amicale.

Il se rendit à peine compte qu'il affina son ouïe pour capter la nature de l'échange, tentative qui fut un échec car les bruits ambiants ne firent que l'agresser d'avantage en lui volant les paroles qu'Angeline eut à l'adresse de ce typé nordique…

A cette pointe de jalouse s'ajouta une pincée de frustration lorsqu'il le vit claquer une bise à la jeune fille après l'avoir enlacé comme si ils étaient les meilleurs amis du monde.

Pourtant tout cela fut rapidement balayé quand il comprit qu'elle le quittait pour s'avancer vers lui. Il se sentit …triomphant. Crétin !

N'empêche qu'elle traversa cette rue pour le rejoindre sans avoir invité les autres à participer à leur échange. Peut être désirait-elle ne partageait ces mots qu'avec lui, et lui seul. Cette idée lui plaisait qu'il ne le fallait. Double crétin !

Elle le salua chaleureusement, et la simple vue de ce sourire lui fit perdre toute trace des soupçons qu'il avait nourrit une minute plus tôt.
Faible.

-Angeline ! Je suis ravi de te voir !

S'exclama-t-il en lui faisant la bise à son tour. Il se recula et lui sourit.

-Je n'ai pas osé t'approcher… Je craignais de te déranger.

Il montra le groupe qu'elle venait tout juste de quitter d'un geste vague de la tête, le cœur presque battant d'en savoir plus se cette "bande de potes".

-Comment vas-tu ?

Embraya-t-il curieux.

-Je suis désolé. J'ai voulut te faire la surprise d'une visite au Pussycat star, mais j'ai eut quelque … Empêchements personnels. J'espère que tu m'en pardonneras.

S'il était vrai que depuis leur première rencontre il avait en effet eut des problèmes plus que conséquent entre le retour de la mère de Melwin et les échanges "musclés" qu'il avait eut avec son assistante, il omettait de lui dire qu'il était bien allé jusqu'au club, qu'il y était même rentré, pour en ressortir aussi sec, mal à l'aise.
Car si la première fois il avait pu poser les yeux sur elle pendant son show, il lui avait semblé inconcevable et irrespectueux de se délecter de la vision de son corps en train de se dénuder alors qu'elle s'était ouverte à lui comme la plus délicate des fleurs.
Il était resté dehors, se demandant si il devait se manifester à elle, puis finalement, il était partit sans autre forme de procès.

‹‹ Angeline ! Je suis ravi de te voir ! ››

Elle n'en dit rien, mais elle n'en pensa pas moins. Le simple sourire qu'elle arborait traduisait la joie qu'elle ressentait de revoir enfin ce visage.

‹‹ Je n'ai pas osé t'approcher ... Je craignais de te déranger. ››

Elle suivit l'allusion vers le petit groupe qu'elle venait de quitter et esquissa un sourire amusé.

- Tu ne m'aurais en aucun cas dérangée, j'étais simplement avec un ami. Les autres ont suivi malgré nous.

Il reprit en lui demandant comment elle allait, puis en lui informant qu'il avait eu quelques soucis, ce à quoi il s'excusait de ne pas être venu la voir au club où ils s'étaient rencontrés.

- Oh ce n'est rien ne t'en fais pas, j'ai moi-même été assez occupée ces derniers temps, déclara-t-elle sans trahir la déception dont elle avait été prise les premiers temps.

Car si elle n'en laissait rien paraître, elle avait pourtant guetté chaque nouveau soir sa venue. Il lui était même arrivé de venir des soirs où elle n'était pas censée être là, juste pour l'attendre. Juste pour le revoir. Car quoi de mieux qu'une rencontre à l'improviste pour de meilleures retrouvailles ? Le hasard vaut parfois mieux qu'une prévision. Mais il n'était pas venu. Et quand bien même elle aurait demandé à ses collègues si elles l'avaient vu passer, celles-ci ne se seraient pas gênées pour lui affirmer le contraire.
Elle avait bien songé à l'appeler, mais... Ca lui avait paru inconvenant, comme si, derrière la règle du ‹‹ C'est à l'homme de rappeler le premier ››, se cachait plutôt une angoisse de le déranger, ou bien de fonder certains espoirs vains.
Alors elle n'avait rien fait.

- Mais maintenant te voilà ! sourit-elle en reprenant. Ca me fait plaisir de te revoir, avoua-t-elle.
Eh bien, figure-toi que je fais en ce moment un stage pour obtenir un diplôme en Art et Histoire. J'ai quelques envies de changer de travail. Je vais déménager de mon auberge également.

Voyant la mine surprise et tout à fait compréhensible qu'affichait Maximilien, elle reprit en expliquant :

- Je sais que le patron du Pussycat m'a accueillie à bras ouvert, mais je ne voudrais pas abuser de sa gentillesse. Je ne peux pas me reposer sur lui indéfiniment.

Elle esquissa un sourire un peu fautif de devoir se faire autant aider par un vieil homme.

- Et toi, comment vas-tu ? demanda-t-elle l'air de dire : Mieux ?

Ses yeux ne se lassaient pas de déceler le moindre détail de son visage. Il lui semblait que la dernière fois qu'ils s'étaient vus avait eu lieu à des années de là, pourta nt, quand on y repensait, ça ne remontait pas à si loin. Le temps de séparation avait été équivalent à celui nécessaire pour laisser filer le malaise qui avait pu être occasionné.
Maximilien ... Elle qui avait fini par croire que tout ça n'avait été qu'un rêve, elle le revoyait aussi charismatique et élégant que dans ses souvenirs. Si tout cela n'était vraiment qu'un songe, alors qu'on la laisse rêver éternellement cette fois-ci.

‹‹ Ho ... Si les autres vous ont suivis malgré vous j'espère qu'il ne m'en voudra pas de t'avoir accaparée pour le laisser seul avec elles... Vous vous connaissez depuis longtemps ? ››

Elle reconnaissait bien là la finesse dont il avait fait preuve la première fois. Et si elle avait osé penser qu'il pouvait lui accorder une once ne serait-ce qu'infime de sentimentalisme, elle aurait songé que peut-être il serait jaloux de la voir en compagnie d'un autre homme.

- Non, ne t'en fais pas, d'ici une quinzaine de minutes il trouvera une excuse pour s'en débarrasser. Peter est venu sur scène en travesti un soir, c'est comme ça qu'on s'est connus, répondit-elle en souriant, toujours aussi amusée en repensant à cette soirée où elle l'avait vu monter sur l'estrade en drag queen, et faire le show devant son père qui était dans la salle. C'était il y a deux mois à peu près.

‹‹ Tu comptes quitter ton travail au Pussycat alors ? ››

Elle fit un léger hochement de tête.

- J'attendais l'opportunité de me diriger dans une autre filière. C'est d'ailleurs Peter qui m'a parlé de ce stage.

Elle ne parla pas de la gêne qu'elle ressentait de se mettre à nue devant des inconnus depuis qu'elle l'avait rencontré, mais il fallait l'avouer, depuis que Maximilien avait posé ses yeux sur elle, ce regard autre que ceux auxquels elle avait droit d'ordinaire, elle avait de plus en plus de mal à supporter ceux qui se montraient avides. C'est comme si cette nuit-là, il lui avait fait redécouvrir la pudeur.

‹‹ Où comptes-tu t'installer ? Un quartier dans Paris te plaît-il plus qu'un autre ? ››

Puis il ajouta qu'il avait un appartement à disposition, et qu'il pourrait le lui montrer selon ce qu'elle recherchait, si cela pouvait la dépanner.

- J'ai un endroit où loger en attendant de me trouver un " chez-moi ", donc je serais ravie que tu me montres cet appartement, répondit-elle d'un sourire. Surtout qu'en sachant qu'il est à toi, je peux être rassurée quant aux mauvaises surprises, confia-t-elle en reprenant. C'est gentil à toi de me le proposer.

Par la suite, il répondit évasivement à sa question sur la façon dont il se portait. Elle devinait qu'il avait compris ce à quoi elle avait voulu faire allusion, mais il se contenta de dire que ça pouvait aller et qu'il avait besoin de repos. Elle n'insista pas, il y avait un temps pour tout, et là, il n'était pas temps de ressasser ce qui était malgré tout une mauvaise aventure, même si celle-ci les avait en quelque sorte rapprochés.

- Alors tâche de te reposer un peu Maximilien, suggéra-t-elle simplement.

Peter. Voilà un prénom qui était revenu bien trop souvent aux lèvres d'Angeline, ne pu s'empêcher de songer Maximilien. Mais à peine cette pensée avait-elle fleurit en lui qu'il en réprima un sourire. Allons bon, voilà qu'il se montrait jaloux !
Et pourquoi donc ? Partager l'amitié de la jeune femme était quelque chose de normal, même avec un garçon adepte de costume douteux.
Ce mettait-il à devenir acariâtre avant l'heure ?
Se méfier d'un inconnu était une chose, mais qu'il se mette à ressentir de l'antipathie pour des raisons futiles et puérils ne ressemblait pas à Maximilien. Si la jeune femme avait accordé sa confiance à ce garçon, c'est qu'il ne devait pas avoir un si mauvais fond. L'ancien se raisonna pour ne pas attarder trop souvent ces pensées sur ce "Peter". N'avait-il pas assez de soucis pour s'en créer d'avantage ? Non, Angeline devait savoir ce qu'elle faisait…


-Je n'ai pas les clefs sur moi, mais je te rappellerais pour fixer une date de visite… Tu n'as pas besoin de me remercier, c'est purement égoïste comme proposition. Si tu quitte le pussycat, il me faut trouver une bonne alternative pour pouvoir inventer des excuses crédibles afin de continuer à te voir, et t'obliger à continuer a vouloir me voir.

Lâcha-t-il sous l'effet de la bonne humeur qui avait fleurit pendant sa matinée et qui s'épanouissait depuis le début de cette rencontre.
Un sourire malicieux caressa ses lèvres. Il souriait de sa propre audace. Il souriait d'avoir retrouvé un peu de ce côté charmeur qu'il avait cru avoir enterré avec Octopus.
Sans relever son dernier conseil ni même laisser le temps à un silence gêné pour fleurir, il continua.

-J'allais manger avant de te croiser. Si tu acceptais de te joindre au solitaire PDG que je suis, j'en serais flatté.

Manger seul était une habitude que Maximilien avait prit. Il avait même besoin de cette solitude, de cet isolement pour se sentir bien. En ces temps de réflexions plus que jamais.
Mais la compagnie de la vampire avait déjà montrée un effet plus que bénéfique sur sa personne, et il si la solitude était une compagne fidèle, il n'était pas mécontent de pouvoir la remplacer pendant le temps d'un repas.

Il fut soulagé qu'elle accepte son invitation, et dans un silence complice ils commencèrent à marcher. Il la fit quitter l'artère principale que constitué les champs pour une ruelle plus discrète. Bientôt l'entête discrète d'un petit restaurant modeste se dessina : "La petite table".

C'est là qu'il l'emmenait.

Et non, il n'avait pas choisit l'un de ses restaurants grand luxe aux services impeccables, aux mets étoilées et aux serveurs inflexibles. A vrai dire il gardait ses établissements sans personnalités et snob pour les femmes de passages qu'il fréquentait. Ces dames à la séduction factice et aux rires mensongers.
Non il emmenait Angeline là où il n'avait jamais emmené aucune femme. Son restaurant préféré. Celui qu'il considérait comme l'établissement gastronomique "à la française" par excellence.
D'une taille modeste, tenu par la famille Tilmant, "la petite table" offrait un service rigoureux sans être maniéré, ou le respect du client ne déviait jamais en flatterie hypocrite.
L'amour de la nourriture était l'essence même de cet établissement. Un amour du bon goût dans la générosité d'un chef qui ne s'embarrassait pas en rajoutant des zéros en trop au prix de ses menus.
Une clientèle faite pour beaucoup d'habitué qui donnait à l'endroit un côté familiale et conviviale qui renvoyait parfois Maximilien dans ses vieux souvenirs de famille…

Il la mena vers l'entrée, non sans négliger de lui ouvrir la porte d'une main et de glisser la deuxième dans le creux ses reins.

L'intérieur de l'endroit était plus spacieux que ce que la façade laissait deviner, et il y flottait parfum fleurit de herbe provençale et de sauce aux cèpes.
Le plafond haut était tenu par de larges poutres apparentes, d'un bois sombre et noueux, les murs d'un blanc cassé étaient décorés de vieilles pubs des années 50 et tables recouvertes de nappes noisettes aussi sombres qu'élégantes.

Une petite cloche avait retentie à leur arrivée, et Julien Tilmant, fils du chef et homme d'une petite trentaine d'année, vint les accueillir.

Son regard azur et pétillant se posa sur Maximilien, et un sourire étira ses lèvres.
Il dissimula parfaitement la surprise de voir cet habitué accompagné d'une femme pour la première fois depuis qu'il venait régulièrement manger ici, et les salua courtoisement mais chaleureusement comme les règles de la maison l'imposaient.

-Bonjour Maximilien. Mademoiselle bienvenue à la "petite table" !

Il s'était tourné vers Angeline, un sourire accueillant sur les lèvres, avant de reporter son attention vers l'ancien (non sans une petite once de curiosité dans le regard).
Le PDG quand à lui affichait un air calme et il salua le serveur à son tour en ajoutant.

-Je vous présente Angeline, elle se joint à moi pour ce repas, s'il vous reste des tables de libres…

-Naturellement. Affirma le serveur en saisissant deux menus d'un geste gracile. La petite table de fond prêt de la fenêtre vous conviendra-t-elle ?

Demanda-t-il. Et intérieurement Maximilien remercia la perspicacité du serveur. En général il prenait toujours la table près de la porte, mais celle du fond était plus isolée, plus intime, et la luminosité offerte par la fenêtre était plus agréable surtout lorsqu'on mangeait accompagné.

-Ce sera parfait ! Conclu Maximilien avec un sourire.

En règle générale ils discutaient beaucoup, surtout du travail du PDG, mais aujourd'hui Julien garda le silence. Surement désireux de ne pas exclure Angeline d'une conversation qu'elle pourrait trouver barbante, il les mena à la table et déposa les menus.

-Puis-je vous proposer un apéritif ?

Naturellement, le serveur s'adressa plus à Angeline car Maximilien connaissait la carte par cœur. Anticipant la question qu'elle devait se poser il énuméra :

-Nous avons : Kir breton, pêche, cassis ou mur, Martini rouge ou blanc, porto, cocktail au fruit ou Whisky 10 ans d'age. En non alcoolisé nous pouvons vous proposer: Pepsi, Orangina, Fanta, Diabolo ou jus de fruit; pomme, orange, pêche.

Comme à son habitude, Maximilien prendrait lui un 10 ans d'âge.

Purement égoïste comme proposition ?

‹‹ Si tu quittes le Pussycat, il me faut trouver une bonne alternative pour pouvoir inventer des excuses crédibles afin de continuer à te voir, et t'obliger à continuer à vouloir me voir. ››

Ah, alors voilà quelle en était la raison. Angie se prit à rougir faiblement lorsqu'il émit ces paroles. Elle avait hésité entre lui répondre qu'il n'avait pas besoin d'excuses pour la voir, que ça lui faisait plaisir, et lui répondre sur un même ton de charme que c'était d'après elle un bon deal. Mais elle n'eut pas le loisir de dire quoi que ce soit. Déjà Maximilien l'informait qu'il allait manger avant de la croiser, et qu'il serait ravi de partager ce repas avec elle.
Doublement flattée, les rougeurs sur ses joues se muèrent en un grand sourire.

- Ce serait avec plaisir, répondit-elle.

Alors ils se mirent en route, silencieusement, mais d'un silence appréciable. Tout en suivant Maximilien, elle se repassait ces quelques mots qu'il avait dit à propos de la revoir. Pensait-il vraiment qu'il avait besoin d'une excuse ? C'est vrai qu'elle restait discrète quand à son ressenti à ses côtés, mais le fait qu'il lui plaise devait se voir ne serait-ce qu'un peu. Angie ne souriait pas de la même façon quand elle était avec lui. Et puis, ils s'étaient mutuellement accordés leur confiance en révélant ce qu'ils étaient. Ca avait beaucoup de sens pour elle.

Ils bifurquèrent dans une ruelle, et l'enseigne se dessina devant eux. Ils entrèrent. La main de l'hybride au niveau de sa taille lui arracha un frisson imperceptible. Un homme d'une trentaine d'années vint les accueillir. Lorsqu'elle fut présentée, Angie esquissa l'un de ces sourires élégants dont elle avait le secret, accompagné d'un petit ‹‹ enchantée ›› simple certes, mais sincère.

Elle acquiesça quand il leur proposa une table un peu éloignée des autres, près d'une fenêtre. Comme l'avait dit Maximilien, ce serait parfait. Une fois installés, le serveur leur proposa un apéritif. Le choix de Maximilien ne l'étonna pas.

- Un martini blanc, s'il-vous-plaît.

C'était une boisson qu'elle avait l'habitude de prendre. Elle l'appréciait pour sa simplicité et son côté un peu amer. Julien se mit en quête de leur rapporter leurs commandes, et s'absenta. Tout en jetant un coup d'oeil aux menus, elle releva la tête pour demander à Maximilien :

- Tu viens souvent ici, n'est-ce pas ?

‹‹ Oui … A vrai dire, c’est mon restaurant préféré. ››

Un sourire fila sur ses lèvres. C'est la première fois qu'elle mettait les pieds ici. Et il y avait longtemps qu'elle n'avait pas déjeuné dans un restaurant. Et longtemps signifiait pour elle de nombreuses années. Quinze exactement. Elle fuyait habituellement ce genre d'endroit convivial, elle n'y était pas à l'aise depuis qu'elle était devenue vampire. La dernière fois, ça s'était mal passé. La dernière fois...

Munich, Mars 2026, ~ 13h17.
Franz venait de se couper le doigt avec un morceau de carapace de crabe. A cet instant, Angie avait sursauté et affiché un regard de dégoût anormal. C'est grâce à cela que le chasseur qu'il était avait eu la confirmation de ce qu'elle était. Un sang béni est encore moins supportable que le sang humain pour un vampire qui rejette totalement son côté sanguinaire. Une chose en entraînant une autre, ils étaient sortis, et Franz avait été abattu en pleine rue. Personne n'avait vu ce qu'il s'était passé, c'était allé trop vite.
Ce n'est que plus tard qu'elle avait découvert que Paul, son créateur, était derrière ce meurtre.
Il avait dit avoir fait cela pour la protéger, que c'est elle qui serait morte autrement.
Depuis ce jour-là, elle avait toujours évité de retourner dans un restaurant, et elle s'était promise de ne plus jamais oublier qu'elle n'était plus humaine...

‹‹ Alors, tu comptes t’installer vraiment à Paris ? ››

La question eut le don de la sortir de sa séquence souvenirs, mais elle n'eut guère le temps de répondre, car déjà Maximilien lança une question plus similaire à une remarque due à la surprise provoquée.
Elle arrêta son geste, mobilisant son bras un peu élevé alors qu'elle s'apprêtait à porter son verre à ses lèvres. Puis elle acheva son mouvement en buvant une gorgée de martini blanc, avant de reposer délicatement son verre sur la table.

- A vrai dire, j'en ai deux. La langue, et le nombril.

Elle marqua un temps d'arrêt, jetant un coup d'oeil discret autour d'eux, comme pour être certaine que personne ne les entendrait.

- Ce sont les deux endroits où j'ai été mordue lors de mon étreinte, reprit-elle. J'ai trouvé deux façons de ne pas cicatriser. C'est un peu ma façon à moi de ne pas oublier ce que je suis... confia-t-elle en déviant légèrement le regard, une once de regret dans la voix.

Et pour cause, elle les avait faits faire après le fameux accident. Qui n'était arrivé selon elle que parce qu'elle avait manqué de prudence en oubliant ce qu'elle était devenue. Officiellement, ils ressemblaient à des piercings comme les autres.
Mais si on les observait tenus en main, ce qui concrètement ne serait pas possible puisque ça l'obligerait à les enlever, on pourrait remarquer une spécificité à chacun.
Celui à la langue était pourvu d'une monture en forme de croix religieuse de chaque côté des petites boules qui les reliaient à sa tige. Celui au nombril était fabriqué à partir d'un alliage de métal et d'eau bénite. Ainsi, ces deux éléments étant nuisibles aux vampires, elle ne cicatrisait plus. Grâce à cela, elle gardait un côté vulnérable certes minuscule, mais elle n'oubliait plus sa nature.

C'est cet instant de confidence que Julien choisit pour noter les commandes du repas. Le voyant arriver, et soucieuse d'un éventuel malaise occasionné, elle répondit à la première question que Maximilien avait posée :

- Paris m'est agréable, je pense pouvoir y rester quelques temps.

Elle esquissa un sourire à l'apparition du serveur.
D'une certaine façon, elle aurait pu penser qu'elle commettait une nouvelle erreur en se dévoilant ainsi à lui, et en retentant l'expérience du restaurant. Mais l'endroit lui était agréable, et Maximilien la poussait en quelque sorte vers sa passible déchéance. Elle avait besoin de lui raconter. Elle n'avait pas envie de lui cacher quoi que ce soit. Peut-être parce qu'elle avait besoin qu'une personne sur cette terre en-dehors d'un vampire la comprenne, et l'apprécie pour ce qu'elle était sans la juger. Peut-être parce que c'était lui, tout simplement.

Ne pas oublier ce que l’on était. La notion fit glisser un frisson déplaisant sur la nuque de l’ancien. Il n’avait guère pu imaginer que la raison d’être de ces bijoux était aussi insolite que dérangeante. Il avait tout simplement émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’un choix « vestimentaire », auquel il lui était difficile d’adhérer par différence d’éducation …
Mais encore une fois, elle le surprit par une solution qu’il n’avait même pas entre vue, et cela ne faisait que renforcer l’impression qu’elle n’était pas comme les autres. Elle l’avait désarçonné sans préavis, de sorte que, l’espace d’un instant son calme et sa placidité furent troublés par une expression qu’il aurait lui-même eut du mal à définir.

Dans le fond comme dans la forme, les paroles de la vampire avait troublé Maximilien. Le simple fait de voir un sujet qu’il avait jusque là prit soin d’éviter lui sauter au visage, fit naitre un sentiment de culpabilité qui n’en finit pas de s’accentuer alors qu’il constatait la légère amertume qui avaient teinté ses mots.

Et puis il y avait quelque chose de choquant, quelque chose qui heurtait son sens de l’ordre, et des bonnes manières… La langue et le nombril étaient donc les deux parties de son corps qui avaient servi pour « l’étreinte », ce qui était sûrement le nom de la cérémonie qui l’avait conduit à devenir un vampire. Ne connaissant très peu de chose sur cette cérémonie, il avait toujours imaginé qu’elle imposait un rituel contenant phase sanglante. En temps qu’ancien, il savait comme l’échange d’hémoglobine était utile pour transférer des propriétés d’un corps à un autre, et puisque le mythe du suceur de sang devait bien avoir une origine, il avait tout naturellement imaginé qu’une morsure était indispensable…

Il se refusa à imaginer une seule seconde Angeline dans cette situation. Il se refusa tout autant à imaginer qu’elle puise s’y être adonné de façon volontaire…

A cela s’ajouter la notion d’oubli de soi. Comment pouvait-on oublier ce que l’on était ? Comment pouvait-elle oublié qu’elle était une vampire, alors que sa physionomie ne changeait pas ?

Et plus que tout ce fut la simplicité avec laquelle elle avait effectué cette confidence qui le laissait abasourdi. Il comprit à cet instant qu’il était incapable de comprendre pourquoi elle venait de faire ça… Etait-ce une preuve de confiance, ou une absence de complexe ? Trouvait-elle cela « normal », ou désirait-elle partager avec lui ce qu’elle n’avait fait avec aucun ?
Et lui dans tout ça … Que devait-il ressentir ?

Il avait consolé beaucoup de femme, mais pour la première fois il se sentait affecté, touché, et ce pour une autre raison que le fait qu’il devait l’être en temps qu’ancien, que conseillé, et personne devant d’être là pour les siens. Il n’avait plus aucun masque derrière lequel se dissimuler, et cela ne le rassurait guère… Il est toujours tellement plus facile de s’en tenir à des principes, des règles à suivre pour tenir un rôle, plutôt qu’à une spontanéité sensible et sincère.

Qui était Maximilien sans Maximus ? Quelle était sa valeur ? Etait-il vraiment différent ? Etait-il une personnalité contrainte à s’effacer au profit de celle du guide ? Qui était-il vraiment ? Qui voulait-il être… ?

Thomas arriva à cet instant. Lorsque l’hybride détourna le regard de la vampire pour le poser sur le serveur tout fut bien plus simple, il retrouva un masque, celui du client. Il prit sa commande feignant une assurance désinvolte et se permit même un échange de sourire amusé lorsque Thomas insista pour lui faire goûter le plat du jour « un gratin d’aile de raie ». Devant ce petit jeu l’ancien s’était contenté de répondre avec un calme factice, qu’il « ne mangeait jamais de poisson », et lorsque Thomas avança l’argument que le chef serait déçu de ne pas faire goûter à son meilleur client sa plus grande merveille, ledit client se contenta de répondre qu’il était bien désolé mais qu’il se contenterait « des filets de cailles rôties aux poires » le tout prononcé avec le charisme suffisant pour le serveur baisse les armes et s’en retourne sans plus d’insistance.

Thomas partit, il fallut affronter Angeline de nouveau. La chose était plus délicate qu’elle n’y paraissait… Il ne voulait pas qu’elle pense qu’il éprouvait du dégoût face à sa nature, mais jouer la carte de l’assurance aurait un piètre mensonge qu’elle ne méritait pas.
Il baissa un peu les yeux, mal à l’aise, sachant qu’il fallait dire quelque chose, et surtout quelque chose qui n’était pas blessant.
Il s’éclaircit la voix et avança sa première carte non sans une certaine hésitation ;

-Excuse moi … Je ne m’attendais pas vraiment à … Ca. Je ne voulais pas me montrer indiscret…

Confia-t-il. La succession des mots lui semblaient pitoyablement laborieuse. Comment pouvait-il savoir les mots à éviter alors qu’il ne savait presque rien sur les vampires ?
Tout ce qu’il brûlait subitement de savoir lui semblait affreusement indiscret… Mais il y avait cette spontanéité avec laquelle elle lui parlait…

-Je… Enfin c’est juste que je me rends compte que tu es la première avec qui je peux vraiment discuter …

« Vampire », le mot n’avait même pas daigné sortir de sa bouche. Il réalisa qu’il avait peur. Peur de savoir, de ne pas s’être tromper, peur qu’elle n’ait rien de l’ange qu’il voyait brillé en elle.
Et si elle était un monstre ? Non. Il devait cesser de penser comme un gamin. Le jour même où elle lui avait annoncé, n’avait-il pas été transporté par le soulagement qu’elle ne soit pas un chasseur ? Si. Ses dents longues n’avaient pas eut la moindre importance ce jour là. Mais elles faisaient partie d’elle. Il ne pouvait pas demander l’un sans l’autre. Ainsi rassembla-t-il son courage pour ajouter ;

-En définitive, je ne sais pas grand-chose sur le sujet…

Il se força à la regarder dans les yeux craintif d’y lire une expression hostile quand il demanda ;

-Je n’ai pas la volonté de t’attirer sur un sujet déplaisant si tu n’en a pas l’envie, mais j’avoue me poser beaucoup de question à ton sujet…

Maximilien afficha une mine qu'elle avait du mal à interpréter. Visiblement, il ne s'attendait pas du tout à cette révélation. Mais elle comprenait. Elle aussi aurait trouvé ça déconcertant si elle n'avait pas été ce qu'elle était à présent. Peut-être que ça le dérangeait qu'elle le mette dans la confidence. Après tout, si Angeline considérait qu'elle pouvait se permettre de lui dire des choses à son sujet, Maximilien ne pensait peut-être pas la même chose. Elle avait simplement envie de ne rien lui cacher. Elle voulait être honnête. Puisqu'il savait qu'elle était une vampire, elle ne voyait pas de mal à lui raconter les pourquoi du comment de certaines choses. Gageons que par un quelconque hasard il ait pu découvrir de lui-même que la formation de ses piercings ne faisait pas partie des normes. Supposons qu'après ça il lui ait posé la question de l'origine de ces mêmes formes. Il aurait bien fallu tout lui avouer, non ? A moins qu'inventer un autre mensonge soit la meilleure solution pour s'en sortir. Mais elle en doutait fortement. Un mensonge en engendre un autre. Elle n'avait pas appris à duper ce qu'elles côtoyaient. C'est bien trop pesant à porter. Et elle avait déjà suffisamment peur de ce qu'il pouvait penser d'elle pour ajouter à cela l'angoisse qu'il découvre tout un jour ou l'autre.

Elle aurait pu, certes, se contenter de répondre par un simple ‹‹ Oui, et un au nombril aussi. ››. Mais la façon dont l'hybride avait lancé sa question, quelque peu désinvolte, appelait à une réponse plus construite qu'une simple affirmation. Et par-dessus tout, elle avait eu besoin de lui confier tout ça.

Elle l'observa reprendre une contenance factice, si bien dessinée que le serveur n'y voyait que du feu. Elle conclut que si Maximilien refusait de manger le plat du chef, c'est parce qu'étant lui-même un hybride aquatique il ne mangeait pas de poisson. Question d'éthique certainement. Angie quant à elle ne mangeait rien de ce qui pouvait contenir du sang animal. Les biftecks bien rouges du coup, très peu pour elle. Aussi commanda-t-elle donc à Thomas, une marinade de confit citronné et ses croquants de pommes de terre. Et de nouveau le face à face se relança.

Il commença par s'excuser, mentionnant qu'il n'avait pas voulu se montrer indiscret. Comment pouvait-il savoir ? Il embraya sur le fait qu'elle était la première vampire qu'il ‹‹ fréquentait ››, et de ce fait qu'elle était la première avec qui il pouvait parler du sujet. Il ajouta qu'il ne savait rien sur les vampires.
Puis enfin, il releva son regard vers le sien.

‹‹ Je n'ai pas la volonté de t'attirer sur un sujet déplaisant si tu n'en as pas l'envie, mais j'avoue me poser beaucoup de question à ton sujet... ››

Angie se contenta d'abord d'esquisser un léger sourire en baissant les yeux vers ses couverts de table.

- Tu n'as pas à t'excuser Maximilien, tu ne pouvais pas savoir. Je suis désolée si ça t'a mis mal à l'aise. Mais..

Elle reporta un regard serein sur son visage, pour lui montrer qu'elle n'était en aucun cas blessée, ni résignée à ne rien dire de plus.

- Je pense que j'avais besoin de te le dire. Je n'ai pas envie de te cacher quoi que ce soit parce que... elle esquissa de nouveau un sourire, comme quelqu'un qui vient de se rendre compte d'une évidence. .. ça m'embêterait que tu aies une mauvaise image de moi. Je répondrai aux questions que tu te poses, si ça peut te rassurer, en quelque sorte.

Elle n'ignorait pas tous les préjugés qu'avaient les races au sujet des vampires. Qu'ils soient humains, hybrides, ou chasseurs, les vampires avaient une mauvaise image à leurs yeux depuis la nuit des temps, depuis la fameuse histoire du Comte Dracula, à aujourd'hui.

La curiosité, on l'avait toujours entrainé à la réprimer. Toujours attendre que les réponses viennent d'elle même, ou alors savoir les attirer de façon subtiles. Mais une nouvelle fois Angeline venait tout bousculer. Elle le tranquillisait autant qu'elle le déstabilisait. Il se sentait serein en sa compagnie, mais pourtant il y avait un quelque chose d'étrange qu'il n'arrivait à éclaircir. Peut être tout simplement cette franchise. L'étrangeté de voir une femme s'ouvrir véritablement à lui, sans le moindre masque, comme si c'était chose naturelle.
Il avait l'impression qu'il mettrait un pied de trop dans sa vie si il s'aventurer à lui poser les questions qui le travaillaient. Et pourtant cette idée était si séduisante...

Il resta un moment là silencieux, malgré l'autorisation franche qu'elle venait de lui donner. Il triait ses mots. Revoyait ce qu'il savait déjà d'elle, cherchait comment aborder la chose. Patiente, elle n'ajouta rien sans le presser. Il lui en fût reconnaissant.

Dans un geste qu'il n'avait pas prémédité, il avança sa main, et effleura celle d'Angeline dans un geste affectueux, comme pour alléger le poids de sa question.

-Pourquoi crains-tu d'oublier … ?

Le ton de sa voix n'était pas plus qu'un murmure. Il avait accroché son regard avec calme, essayant d'anticiper sa réaction. Il sentait émaner d'elle un mystère qui le travaillait sans cesse. Peut être se trompait-il, mais elle avait comprit le soir de son « black out »... Ce fameux soir … Inoubliable. Frustrant. Si particulier. Celui dont il désirait parfois rejeter le souvenir de faiblesse qui lui évoquait, et d'autre fois, à rebours, il s'allongeait, les yeux clos pour en revivre chaque minutes, comme en essaye de rattraper les détails d'un rêve.
Il en était venu à la conclusion qu'elle avait perdu son père de façon prématuré. Il était prêt à le jurer, car même en prenant en compte son age vampirique, il aurait été étrange qu'il soit mort de vieillesse. Peut être de maladie ? Qui sait. Et il restait le plus troublant... Le fait que sa mère la pense morte. Dans quel but ? Parce qu'Angeline ne lui avait rien dit pour son « étreinte » ? Était ce parce qu'elle avait toujours caché aux autres qu'elle se montrait si franche avec lui ? Était elle comme lui, lasse de mentir à ceux qu'elle côtoyait chaque jour, pour les protéger comme pour se protéger soit même… ?

Il était terrifiant de ce rendre compte qu'un visage aussi amicale pouvait dissimuler autant de secrets...
Pourtant il avait l'impression qu'elle ne se plaisait pas à jouer ce jeu. Qu'elle aurait voulut vivre à visage découvert. Et si il avait raison, cela voulait dire qu'elle n'avait sûrement pas voulut changer. Qu'elle regrettait sa vie d'humaine. Alors … Que c'était il passé ? Était-ce pour cela qu'elle craignait d'oublier ? Parce qu'une partie elle était toujours attachée de ce qu'elle avait été « avant » ?

*Qui es tu Angeline, enfant d'Italie exilée si loin de ton pays ? *

Quand Maximilien effleura sa main, elle comprit que sa question serait lourde, qu'il serait difficile d'y répondre, car la délicatesse et la douceur qu'il mit dans ce geste semblèrent être destinées à la réconforter.

‹‹ Pourquoi crains-tu d'oublier ... ? ››

En effet. Cette question dessina sur ses lèvres un léger sourire teinté de mélancolie alors qu'elle déviait son regard des yeux de Maximilien sur la table. Il y avait tellement de choses à répondre à cela, et à la fois si peu. Elle sembla réfléchir un instant, rassemblant ses esprits pour ne pas se tromper sur le choix de ses mots. Il était compliqué de mettre des mots sur un sentiment aussi intense que la peur. Il y avait plusieurs choses à y répondre, en plusieurs étapes, dans un ordre précis.

- Parce que je ne vis pas comme mes congénères. Malgré toutes ces années, j'ai encore du mal à me considérer comme l'une des leurs, répondit-elle pour commencer.

Elle releva son regard émeraude sur le visage de l'hybride et reprit :

- Du coup, il peut m'arriver de manquer de prudence, même si je fais très attention. Mais il arrive parfois que cela ait des effets ...

Elle marqua un temps, indécise encore de savoir s'il fallait ou non progresser sur cette pente. Pouvait-elle lui raconter cet épisode de sa vie de vampire sans qu'il ne se pose davantage de questions à son sujet ? Qu'il doute un peu plus ? Pourtant, rester floue n'aiderait en rien à le rassurer, et elle avait dit elle-même qu'elle ne souhaitait rien lui cacher.

Elle chercha de nouveau ses mots, un instant avant de reprendre :

- La dernière fois que j'ai réellement oublié, un homme a découvert ce que j'étais. Celui qui m'a rendue ainsi l'a abattu en pleine rue. Il disait que c'était un chasseur, je ne le saurai jamais. Dans tous les cas, ça n'excuse rien, un homme est quand même mort à cause de moi.

Elle avait de nouveau dévié le regard, le poids de cette période restant encore lourdement marqué dans sa mémoire. La façon sanguinaire dont Paul avait ôté la vie du chasseur lui faisait encore froid dans le dos.

- Ma mère me manque ... avoua-t-elle dans un murmure accompagné d'un sourire esquissé. Mais je sais que je ne pourrai jamais la revoir, car ma condition la mettrait en danger.

Elle prit une légère inspiration après lui avoir confié tout ça, comme pour se remettre de ses émotions. Et elle chercha de nouveau son regard du sien, soucieuse de ce qu'elle pourrait à présent y voir. Elle ne voulait pas s'attirer sa pitié, non, elle voulait juste qu'il comprenne que malgré son statut de vampire, elle restait avant tout une humaine. Elle n'avait pas demandé à être là.

Elle adressa subtilement un remerciement au serveur qui déposa leur commande respective devant eux avant de reporter son regard sur l'Ancien.
A ses premiers mots, elle ne put s'empêcher de se sentir en quelque sorte soulagée, sans savoir réellement pourquoi. Même si au fond, ce devait être parce qu'il était à même de la comprendre.

‹‹ Ainsi ... Tous ces voyages, ce n'était que mesures de sécurité ? ››

Elle se contenta d'hocher simplement la tête pour répondre à cette question. Question qui n'était, au final, qu'une constatation qu'il avait dû faire en entendant ses confidences. Ou peut-être, encore une fois, parce qu'il la comprenait. Même s'ils n'agissaient pas de la même façon, Maximilien avait son truc à lui aussi, pour conserver une certaine sécurité. Il privilégiait le confinement, la solitude. Elle l'avait compris en lisant les traits fatigués de son visage. Angie, elle, voyageait pour ne pas avoir à rester trop longtemps au même endroit. Ainsi, elle n'avait guère le temps de construire de quelconques liens avec autrui. C'était une autre forme de solitude, ou plutôt de créer la solitude. C'était un fait inéluctable. Par deux manières différentes, ils étaient aussi seuls l'un que l'autre. C'était peut-être ce qui provoquait leur bonne entente.

‹‹ Suis-je ... Suis-je le seul à le savoir ? ››

Elle accusa le coup, une esquisse coupable sur les lèvres. Cette fois-ci, elle avait peur de lui faire peur. Pourtant ...

- J'ai rencontré une femme qui a eu des doutes à mon sujet. Mon patron n'a jamais cherché à savoir réellement ce qui m'avait poussée à venir ici. Quant à Peter, il pense simplement que je suis étrange, mais humaine.

En faisant les comptes, il ne restait plus que lui.

- Hormis mon créateur, tu es donc le seul à savoir, confia-t-elle.

Et encore, Maximilien devait connaître plus de choses à son sujet que Paul lui-même. Elle n'avait jamais rien raconté au vampire qui l'avait rendue ainsi, ce qu'il savait de sa vie n'était su que parce qu'il avait assisté à ces scènes-là. Autrement, il ignorait tout d'elle. C'est pour ça qu'elle ne comprenait pas cet acharnement qu'il avait eu à la poursuivre pour la garder avec lui. Peut-être qu'il avait fini par comprendre, peut-être que c'était pour ça que pour le moment, depuis plusieurs années, elle était enfin en paix.

- Ca m'inquiète, que tu saches ces choses-là de moi, mais, je suis lassée de me cacher sans cesse. Savoir qu'il y a quelqu'un sur cette terre qui me connaît un peu, c'est rassurant.

Elle marqua un temps avant de reprendre :

- C'est peut-être un peu égoïste de ma part, mais j'étais tout simplement incapable de te mentir, à toi. Je ne sais pas vraiment pourquoi, termina-t-elle en souriant de nouveau, un peu gênée de ces nouvelles confidences.

Le seul à savoir. Il était le seul. Et cela ne lui faisait étrangement pas peur… Au contraire, cela lui donnait confiance. Confiance en lui et en elle. Par ce secret elle acceptait de partager avec lui un peu de son fardeau, et bien qu’il en ait les épaules chargées, il ne refusait pas ce partage… Aider et soutenir étaient deux axes qu’on lui avait enseigné à respecter, et certes elle n’était pas une aquatique, mais elle le méritait quand même.

Il prit sa fourchette et avala une première bouchée. Il mâcha, avala laissant planer un silence, puis glissa :

-Je ne désire pas non plus qu’il y ait de secret entre nous Angeline.

Il n’aurait pas dû vouloir dire de telles paroles, car elles sous entendaient qu’il se refusait à lui mentir... Il avait passé sa vie à dissimuler, à planifier, et s’il n’en était pas malhonnête pour autant, il n’en était pas non plus des plus sincères. Même avec sa plus proche famille, où ses plus proches amis, il avait toujours « cultivé le mystère ».
Pourtant avec elle, il savait que le masque ne tiendrait pas. Il n’avait pas envie. Pas avec elle. Il l’avait fait avec Ocotpus, Melwin et Katheleen, et il en avait toujours souffert. Même si ses non-dits avaient toujours été justifiés, ils n’avaient pas toujours été faciles de les assumer.

-Tu sais … Je ne t’ai pas menti le jour dernier en disant que tu en savais plus sur moi que quiconque … Ho évidemment cela ne veut pas dire que je n’ai plus rien à t’apprendre sur moi… Je pourrais te raconter l’histoire qui raconte pourquoi je ne mange jamais de poisson… Mais ce ne sont que des anecdotes. La vérité sur ce que je suis, tu l’as verra toujours mieux que personne, pour l’avoir déjà aperçut.

Il marqua une pause, laissant planer un sourire sur ses lèvres. Il savait qu’elle comprendrait la référence au black out qui l’avait fauché la première fois.

-En vérité, malgré tout mes efforts pour maintenir un semblant d’apparence devant toi, je dois avouer que c’est toujours un échec … Alors je préfère ne plus lutter.

Cette fois c’est presque amusé qu’il souriait. Quand il y réfléchissait, elle l’avait trainé sur une piste de danse dans un club à striptease, sans qu’il ne puise décliner l’offre, puis lorsqu’il l’avait ramené chez lui, il l’avait embrassé puis presque sauté dessus alors qu’il n’en avait pas eu la moindre intention en l’invitant chez lui… N’oublions pas qu’il s’était simplement laissé faire quand elle l’avait soigné alors que le chat l’avait griffé… Bref. Il n’avait respecté aucunes règles de conduite face à elle. Comme si … Lorsqu’elle était là, son cœur et ses pulsions prenaient le pas sur sa raison.

-Comme toi, je passe beaucoup de temps au milieu de gens qui ne savent rien de moi. Si beaucoup d’aquatique savent ce que je suis… Combien savent qui je suis ? Je ne pense pas me tromper en évaluant le chiffre à zéro … Un peut être, si je compte Logan. L’homme que je considère comme mon meilleur ami… Mais tu vois … Même mon propre fils ne me connaît pas aussi bien que toi … A vrai dire, tu es la seule à qui j’ai montré cet endroit par exemple.

Il prit une gorgée d’eau, et poursuivit.

-Nous sommes semblables Angeline. Deux âmes seules, portant des masques, et cherchant à ce que nos natures ne nuisent pas à ceux que l’on aime… … Saches que tes secrets seront bien gardés, et que mes conseils toujours à ta portée. Cette vie là n’est sûrement pas celle à laquelle tu aspirais, il m’a semblé le comprendre, mais à défaut de savoir remonter le temps, j’ai le savoir de l’écoute, et je me dois d’avoir la sagesse qui prodigue de bon conseil alors autant que tu en profites aussi …

Lui non plus. Maximilien non plus ne voulait pas qu’il y ait de secrets entre eux.
Elle entama son repas, découpant soigneusement les mets de son assiette, portant tantôt sa fourchette à sa bouche, tantôt le regardant pour signifier qu’elle écoutait ce qu’il disait.
Oh, ça, pour l’écouter, elle le faisait. Elle était plus qu’attentive à ce qu’il disait.

Il annonça qu’il n’avait pas menti en lui disant qu’elle était celle qui en savait certainement le plus sur lui, il évoqua quelques anecdotes qu’il pourrait lui raconter à son sujet. Et puis, il déclara qu’elle saurait toujours la vérité sur lui, qu’elle la verrait toujours mieux que personne, pour l’avoir déjà fait.
Angie savait très bien à quoi il faisait allusion. Il s’agissait de ce moment qu’ils avaient passé, alors que leurs sens s’éveillaient dans une atmosphère ardente. Maximilien avait alors disjoncté, en quelque sorte. Et elle avait compris. Il n’avait pas eu besoin de mettre de mots sur ces souffrances, sur sa douleur, elle l’avait ressentie, comme une évidence, comme si elle avait été capable de lire en lui alors qu’elle ne le connaissait pratiquement pas. Le fait est qu’elle sentait émaner de lui quelque chose qu’elle pouvait comprendre, sans comprendre elle-même pourquoi.

Il ajouta plusieurs choses. D’abord, que du fait qu’elle avait su lire en lui, il n’essaierait plus de mentir, de cacher ce qu’il s’efforçait de garder secret aux autres. Ensuite, il mentionna son meilleur ami, et son fils, en informant que l’avant dernier le connaissait assez, mais que même son fils était confronté au masque d’acier de l’Ancien. Il poursuivit en lui confiant qu’elle était la seule personne, masculine ou féminine, qu’il avait amenée ici, dans ce restaurant auquel il semblait être habitué. Il termina en parlant de leurs similitudes, en garantissant que ses secrets seraient bien gardés, et qu’il serait toujours là pour lui souffler quelques conseils si le vampire aux yeux verts en montrait le besoin.

L’italienne se sentit à la fois flattée et désarçonnée. Et elle ne savait pas vraiment quoi dire, ni même par quoi commencer. Alors elle garda d’abord le silence en buvant une gorgée d’eau. Puis, son verre reposé, elle plaqua de nouveau son regard émeraude dans ses yeux sombres. Elle esquissa un sourire.

- J’espère que je saurai moi aussi t’être de bon conseil.

Du moins, elle savait qu’elle l’écouterait, qu’elle trouverait également les mots pour le réconforter. Mais il faudrait avant tout qu’il accepte de se confier. Même si la parole n’était pas absolument nécessaire, et qu’elle pouvait de nouveau le comprendre sans qu’il n’ait rien à dire. Elle esquissa un nouveau sourire en prenant ses couverts.

- Je te fais confiance, Maximilien.

Le reste du repas se déroula en silence. Mais pas un de ces silences pesants, plutôt un instant de calme qui avait été décidé d’un commun accord. Angeline n’avait rien eu de plus à ajouter à propos de ce dont ils avaient parlé, et elle appréciait tout autant la simple vue de l’aquatique. Lui jetant quelques regards souriants çà et là, la fin arriva rapidement une fois les desserts sous leur nez. Elle remarqua agréablement, du moins pensa-t-elle que c’était volontaire, que Maximilien prenait son temps, jusqu’au moment où l’addition fut payée.
Elle le remercia humblement, en l’informant qu’elle avait très bien mangé, et qu’elle était ravie d’avoir découvert une nouvelle partie de son univers.

Ils longèrent de nouveau l’avenue des Champs Elysées, Angie regrettant facilement que ce moment en sa compagnie se finisse déjà. Et c’est non sans une certaine satisfaction mêlée de curiosité qu’elle accepta sa proposition.

L’Ancien tenait à lui montrer une dernière chose avant qu’ils ne se quittent. Sans plus attendre, la vampire se remit en marche, et le suivit jusqu’à destination. Ils ne marchèrent pas plus que ça pour atteindre l’endroit en question. Durant le trajet, Angie ne posa pas de question, elle avait juste hâte de découvrir ce qui ne pouvait pas attendre une prochaine fois.

Ils entrèrent dans un bâtiment, montèrent au premier étage, et Maximilien sortit une clé qui déverrouilla l’accès à l’un des appartements. Elle fut légèrement surprise par l’obscurité, et découvrit étonnamment, lorsqu’il alluma les lumières intérieures, qu’en plus d’avoir des volets complètement fermés, le lieu était totalement vide. Rien, il n’y avait rien du tout.
Elle pensa d’abord qu’il l’avait amenée ici pour lui faire visiter, mais se rappela rapidement qu’il avait mentionné ne pas avoir les clés de l’appartement qu’il aurait à lui proposer.

Elle fronça légèrement les sourcils, ne comprenant pas. Alors, pour gagner un peu de temps de réflexion, l’italienne fit quelques pas résonnants sur le carrelage. Que voulait-il dire par ‹‹ Voilà, ça sera très bien ici …›› ?

Elle envisagea un instant qu’il lui fasse la surprise de lui dévoiler sa forme hybride, mais elle doutait quand même qu’il l’ait amenée ici pour ça. Mais pourquoi dans ce cas ? Elle cherchait toutes les éventualités possibles. Elle se surprit elle-même à songer que peut-être il avait voulu recréer un espace intime les amenant sur un terrain qu’ils avaient survolé. Un sourire caressa ses lèvres à cette pensée. Pensée qu’elle chassa bien vite, ce n’était pas commode de penser à ça maintenant, et puis, c’était inapproprié à la situation.

Elle revint tout simplement à une supposition banale. Peut-être allait-il finir par ouvrir les volets pour lui montrer la vue qu’offraient les volets du premier étage. Pourtant, cette fenêtre n’avait l’air de donner sur une autre rue que celle par laquelle ils étaient arrivés.

La jeune femme finit par se retourner, pour faire face à l’hybride, et laissa s’échapper un rire léger.

- Je dois avouer que là, je ne comprends pas trop.

Elle garda un sourire fin sur le visage.

- Est-ce que tu avais finalement les clés de l’appartement que tu comptais me faire visiter ? Mon intuition me dit que non. Ca m’intrigue assez. Montre-moi ?

Elle crut sentir pendant un instant qu’il était à son tour en proie au doute. Et pour cause, lorsqu’il s’approcha d’elle, il sembla avoir comme une absence, comme s’il réfléchissait à ce qu’il comptait faire. Les secondes lui paraissaient infiniment longues, et au travers de la pièce vide, Angie crut pouvoir entendre les battements bruyants de son cœur se répercuter contre les murs faisant écho. On aurait dit une scène au ralenti. Elle cligna des yeux deux fois, sans pour autant pouvoir s’empêcher de détourner son regard d’émeraude de ses yeux d’améthyste.

Elle se perdit à redétailler chaque trait de son visage. Comment diable pouvait-il être aussi beau à cet instant précis ? Il émanait de cet homme une beauté littéralement paralysante, au point qu’en dépit des tambours qui résonnaient en elle, la jeune femme crut bien s’arrêter de respirer pendant un instant. Elle put percevoir parfaitement l’inspiration qui amena à Maximilien une bouffée d’oxygène qui serait bientôt consommée. Elle crut bien défaillir, incapable quant à elle de réapprovisionner ses poumons d’air.

Et enfin, il fit fondre en un instant l’épaisse couche de glace qui s’était formée de sa voix suave. Elle put respirer de nouveau, et esquissa un léger sourire gêné. Oh que oui, elle se demandait ce qu’il avait derrière la tête ! Et à présent, elle ne savait plus du tout à quoi s’attendre. Pourquoi hésitait-il à ce point ?

Et l’heure de la libération sonna enfin. Elle avait donc vu juste, en supposant qu’il pourrait vouloir lui montrer sa forme hybride. Mais cette révélation avait un prix : elle devait elle aussi lui montrer sa vraie nature. Elle cligna de nouveau des yeux.

Il lui demandait de prendre sa forme vampirique devant lui. Elle qui faisait tout son possible pour garder sa forme humaine. Non pas que sa transformation était horrible, à vrai dire, elle n’avait rien de monstrueux hormis les dents de vampire et les griffes de fauve. Mais elle avait l’impression d’être l’une de ces créatures sorties des histoires pour faire peur aux enfants.
Néanmoins …

- … D’accord. Je vais te montrer.

Angie ferma d’abord les yeux, et laissa sa vraie nature apparaître sous les yeux attentifs de Maximilien. Ses ongles simplement manucurés s’allongèrent d’environ sept centimètres, pour laisser place à ce qui ressemblait toujours à des ongles, mais semblables à des lames de rasoir. Par-dessus ses lèvres closes, ses canines montrèrent leur pointe acérée, comparable à des stalactites d’ivoire. Et puis … Elle rouvrit les yeux. Son regard n’avait dès lors plus rien de la normalité oculaire de couleur verte. Ils brillaient comme un rayon de lune, pétillaient d’un vert semblable à l’eau des plus belles mers des îles tropicales, à en faire pâlir de jalousie la plus belle émeraude de cinq carats. Ses pupilles s’étaient légèrement rétrécies, accentuant la mysticité qui s’émanait d’elle. C’était un regard qui se voulait naturellement ardent, qui irradiait de charisme sans qu’elle n’ait eu besoin d’activer ce pouvoir dont elle était dotée.

S’il était vrai que sa forme vampirique avait largement de quoi fasciner ceux qui n’étaient pas de sa race, Angeline ne l’appréciait pas pour autant. Elle n’avait pas besoin de cela pour être jolie. Elle n’avait pas besoin de cela pour attirer les regards ou se faire apprécier. Elle n’avait pas besoin qu’on lui rappelle son statut hypothétique d’immortelle à chaque fois qu’on la fixait trop longtemps. Elle n’avait pas envie de sentir le bout de ses canines s’allonger à chaque fois qu’elle se transformait. Elle n’inspirait certes pas la peur, mais elle aurait préféré rester humaine. Elle n’en avait pas l’air, mais elle était un monstre en réalité. Un mythe sanglant auprès des hommes, une proie de plus qui pouvait sombrer entre les mains avides des chasseurs.

Mais si rester humaine avait voulu dire ne jamais le rencontrer, alors elle se permettait d’hésiter sur la question. Peut-être que, au fond, les rencontres qu’elle ferait lui permettrait de s’assumer. Peut-être pas entièrement, mais un peu plus. C’était déjà un petit pas vers l’acceptation de soi qu’elle faisait en se dévoilant ainsi à Maximilien.

Il venait de lui demander de ne pas avoir peur. Elle avait gardé le silence, alors que déjà les traits de son hybridité faisaient leur apparition. Elle attendit, impatiente. Malgré l’angoisse qu’aurait pu provoquer cette mise à nue, Angie resta sereine.
Il ne fallut pas bien longtemps avant que Maximilien devienne Maximus. Un orque. Elle n’en avait vu qu’à la télé, mais elle était persuadée que c’est ce qu’il était. Les couleurs noir et blanc de son corps, la taille plus étirée, les tâches sur son crâne. Voila ce qu’était le nouveau seigneur des eaux, le plus gros mammifère marin référencé.

Cette vision, qui aurait pu, voire dû, l’intimider, ne fit qu’accentuer l’admiration qu’elle portait déjà à son égard. Elle frémit à l’entente du souffle évacué par son évent. Mais elle n’avait pas peur. Le sentiment qui venait de naître en elle était tellement loin de celui-ci. Elle était émue.

La vampire se révéla timide. Tout en douceur, elle porta ses mains vers ce qui s’apparentait le plus au visage de l’hybride. Tout en finesse, elle les posa sur ce qui dessinait encore maladroitement ses joues. Un simple contact. Une toute nouvelle sensation sous les paumes. C’était à la fois froid et doux. Elle s’aventura à les glisser sur son cou, jusque sur ses pectoraux. Elle les arrêta là, et laissa le silence se noyer sous les battements de son cœur. Elle ferma les yeux un instant, s’enivrant du rythme des tamtams. Les paupières toujours closes, ses lèvres s’étirèrent en un sourire discret, mais mystérieusement conquis.

Elle pressait à présent sa joue contre son torse, alors que ses bras s’étaient noués autour de sa taille. Elle avait l’air si faible à côté de lui. L’oreille contre son cœur, elle murmura simplement :

- Je n’ai pas peur de toi. Tu as beau être Maximus, tu peux être un prédateur, ou ce que tu veux. Pour moi, tu resteras toujours Maximilien, l’homme que j’ai connu par chance un soir…

Maximus n’avait pas fait le moindre geste. Il l’observait, silencieux et impassible. Il l’attendait. Et elle vint. Timide et presque hésitante, elle s’avança, et poussa l’audace jusqu’à l’effleurer.

Les sens éveillés par ce corps hybride Maximus ressentit ce contact comme une caresse étrange. Sa peau d’épaulard était plus accoutumée à la caresse de la dame aqueuse de que celle d’une vampire. Il la laissa faire. Il n’eut pas le moindre mouvement, même quand imprudente elle laissa glisser ses mains trop près de sa mâchoire pour les laisser parcourir son cou et les échouer sur son torse.

Il ferma les paupières, pencha légèrement la tête, et l’observa alors qu’elle souriait comme une enfant en posa sa joue contre lui. Il écouta son murmure, le considéra, puis enfin il eut un geste. Sa mâchoire inferieur se modifia légèrement, lui permettant de parler plus aisément, il alla poser une main dans son dos et lui répondit d’une voix plus grave que celle qu’elle ne lui connaissait.

-Maximus et Maximilien sont un tout. L’un n’est rien sans l’autre, l’autre n’est rien sans l’un. Deux parties pour un seul ensemble.

Il inclina solennellement sa tête, faisant danser son charisme accru entre les paroles qu’il avait prononcé pour mieux attirer l’attention sur le sens de ses mots.

Relevant la tête dans une attitude singulière il laissa ensuite glisser sur un ton plus amusé :

-Alors comme ça tu ne me crains pas … Intéressant.

Il n’expliqua pas en quoi, et fit un pas en arrière pour briser l’étroitesse de leur contact.

-Je n’ai pas peur de toi non plus, maintenant que je t'ai "vu". Ajouta-t-il, remarquant qu’elle ne s’était pas inquiétée de son avis sur elle. Il l’observait toujours, d’un regard toujours aussi inexpressif qu’intense.
Un instant il sembla hésiter, à parler ou à bouger, mais n’en fit rien. Le silence s’immiça, il le laissa grandir juste assez pour donner plus de poid à la question qu’il allait poser :

- Crois-tu au destin ? Qu’il y ait une place, pour chaque personne, un rôle et une route à suivre ?