Paris by night [Robin]

Ces derniers temps commençaient à se faire difficiles à Paris, Raven était sur le point de perdre son appartement. Faut dire que, depuis le temps qu'elle ne travaillait plus, ses caisses se vidaient de plus en plus. Il était donc temps de reprendre du service. L'avantage, c'est qu'avec son expérience professionnelle, elle ne devrait pas avoir trop de mal à retrouver un boulot. Toute la journée donc, elle avait voyagé de part et d'autre dans la capitale, en quête de l'offre parfaite. Ben oui, autant trouvé quelque chose qu'elle aime, sinon, elle ne donnait pas cher de sa durée en tant qu'employée.
A vrai dire, elle aurait pu se contenter d'un rien, mais les évènements passés avaient eu don de la pousser à reprendre des intérêts. Et tant pis s'il y avait un quelconque risque, elle ne pouvait pas se permettre de se laisser aller davantage.

Elle avait finalement été engagée dans une comédie musicale, en tant que danseuse bien entendu, mais son don pour le maniement des armes lui avait valu d'obtenir un statut encore plus important. Elle héritait donc d'un des rôles principaux. La voix ? On s'en fout, elle n'aura pas beaucoup de texte, surtout du mouvement. Le soir avait effleuré les toits de Paris alors qu'ils terminaient la séance photo de promotion du spectacle. Un petit détour par les douches de l'établissement, et hop, à plus tard.

C'est comme ça qu'elle s'était retrouvée à marcher le long des champs Elysées, sac à dos au bras, katana toujours dissimulé contre elle, vêtue d'une longue robe rouge à pans dorés. Raven dans toute sa splendeur, relevée par quelques centimètres de talons aiguilles. Elle avait fait un effort impressionnant pour offrir à ses nouveaux patrons une image qu'ils ne risquaient pas d'oublier. D'autant plus que pour une fois, ses cheveux étaient détachés, et épousaient parfaitement la courbe de son dos.
Evidemment, quand on se promène ainsi dans les rues de Paris, y'a toujours des emmerdeurs au rendez-vous. Si bien qu'après avoir envoyé une gifle mémorable dans la figure d'un homme, elle laissa échapper par inadvertance une gourmette en or blanc, qui tomba à terre sans qu'elle ne s'en rende compte.

Silhouette parmi les autres, Bob marchait à un rythme régulier, bien que pas trop rapide. Il se prenait à observer les gens autour de lui. Quelques familles aux enfants turbulents, des bandes d’amis assis çà et là autour d’un verre, plusieurs couples d’amoureux, et surtout des touristes. Beaucoup de langues différentes arrivaient à ses oreilles, et, sur le moment, il regretta d’avoir une ouïe supérieure à la moyenne. Ajoutez-y les pleurs et les rires, d’enfants comme d’adolescents ou adultes, et c’était la cacophonie. Pourtant, ça ne le gênait pas plus que ça. Il se baladait sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu… et se sentait serein de ça.

Mais quelque chose attira son attention. C’était le bruit d’une dispute. Du moins, c’est ce qu’il crut le court laps de temps qu’il lui fallut pour poser ses yeux sur la scène. Tout bien réfléchit, ça ressemblait malheureusement bien plus aux scènes qu’il voyait de temps en temps, de ces gros lourds qui abordent les femmes qu’ils jugent « bonnes » et qui continuent de croire qu’elles n’attendaient qu’eux. L’hybride ralentit le pas. Il ne comptait pas intervenir tout de suite, mais quelque chose en lui lui soufflait d’être prêt au cas où la situation dégénèrerait. Il se rendit bien vite compte que c’était inutile.

*Quelle femme…*

Il venait d’assister à la gifle du siècle. Le choc avait même provoqué un sursaut imperceptible chez Robin, qui fit une très légère grimace. Pauvre homme…
Il suivit la femme des yeux avant de jeter un dernier œil sur le pauvre bougre, et fronça les sourcils, non pas à cause de la marque rouge qui semblait presque clignoter, mais à cause de ce que cet homme faisait : au lieu de la regarder partir comme s’il n’avait pas du tout envisagé ça, comme ils le faisaient tous, il s’était penché, avait ramassé quelque chose et l’avait rapidement mis dans sa poche. Même s’il n’avait pas la moindre idée de ce que ça pouvait être, à voir cette attitude suspicieuse, il sembla évident pour Bob que l’objet n’était pas à lui.
Si le garçon pensait s’en tirer aussi facilement, il se trompait. En moins de temps qu’il n’en fallait pour l’écrire, Bob s’était placé juste devant lui, lui attrapant le bras quand le bougre avait essayé de le dépasser sans faire mine de le voir.

- Donnes-moi ça…

« De quoi tu parles ? Fous-moi la paix ! »

D’un simple geste, Bob avait tiré la main hors de la poche. Il y avait, bien serrée entre les doigts, une assez belle gourmette. L’hybride hibou ne prit même pas la peine de dire quoi que ce soit, s’emparant simplement de la gourmette. S’il avait imaginé une réplique de son interlocuteur, il n’en eut aucun. Le pauvre type se contenta de retirer sa main et de s’en aller rapidement.

Bob observa rapidement la gourmette, puis entreprit de retrouver sa propriétaire. Il ne lui fallut pas longtemps pour cela, et, tandis qu’il la rattrapait de son pas rapide, il se demanda ce qui le poussait à faire ça.

- Excusez-moi…

Il n’osa pas poser sa main sur l’épaule de la jeune femme, il attendit simplement qu’elle se retourne pour continuer.

- Vous avez laissée tomber ceci.

Dans sa tête, une tempête d'insultes en tout genre de déchaînait. Elle ne supportait pas cette espèce de crétins attardés qui se croient tout permis. Elle fulminait intérieurement, et s'était remise en marche d'un pas agacé. Il avait eu de la chance qu'elle n'ait pas fait faire à sa pauvre tête un tour complet sur son tronc. Heureusement pour lui, avant qu'il ne vienne à son encontre, elle était de bonne humeur. L'ampleur des dégâts aurait été plus contraignante dans le cas contraire.

Mais, à croire que ce n'était pas fini, elle avait perçu des bruits de pas cadencés derrière elle. Si c'était cet homme qui revenait à la charge, elle jurait de lui filer un coup impardonnable dans les bijoux de famille. Elle attendit néanmoins, ce n'était peut-être qu'une fausse alerte, pas encore de quoi devenir paranoïaque. Cependant, elle entendit rapidement qu'on s'adressait à elle. Aussi, instinctivement, elle se retourna d'un geste vif vers le propriétaire de cette voix, brandissant la lame de son katana qu'elle avait déjà dégainée et portée sous le menton de l'inconnu. L'air grave :

- Ah non, pas deux fois d'affilée ! Ma patience a des limites !

Son expression changea instantanément en entendant ce qu'il venait de dire. Ses yeux s'étaient posés sur sa main, qui tenait la gourmette qu'elle avait pourtant à son poignet. Elle vérifia d'ailleurs ce dernier, et se rendant compte de son erreur, elle rangea immédiatement son arme. Puis, un air absolument navré sur le visage, les traits à la limite de la médiocrité tant elle se sentait stupide à cet instant précis, elle reprit d'un ton plus calme :

- Excusez-moi, je me suis trompée de cible.

A y regarder de plus près, c'est vrai que cet homme n'avait en rien l'allure d'un potentiel "agresseur", au contraire, son charisme dégageait quelque chose d'indescriptiblement mystérieux et discret à la fois. Rien à voir avec l'extravagance affreuse des autres genres.
Enfin. Son visage reprit une contenance naturelle, elle approcha ses doigts fins du bijou, dont elle se saisit finalement.

- Merci beaucoup de me l'avoir rapportée.

Elle entreprit alors de le rattacher à son poignet. Seul hic, il n'y avait plus d'attache. Celle-ci s'était certainement brisée lorsqu'elle avait asséné sa baffe à l'autre homme, ou peut-être même en tombant. Une expression mélancolique sembla traverser un instant son regard, elle murmura pour elle-même :

- Elle est cassée...

A peine la jeune femme s’était retournée que Bob s’immobilisa. Il s’était rasé de près avant de sortir, ainsi, la présence d’une lame si près de son menton était inutile. D’un côté, il était assez agacé d’être abaissé au niveau de ces crapules, et de l’autre, il arrivait à peu près à la comprendre. Il se contenta donc de poser le bout du doigt de sa main libre sur la lame pour la reculer un peu, en gardant toujours l’autre main tendue vers elle. Quel spectacle ils devaient donner aux passants…
C’est d’un ton le plus détaché possible qu’il lui expliqua pourquoi il était venu la voir. Après avoir vérifiée que sa gourmette avait effectivement disparue, elle rangea son arme, au grand soulagement de Bob. Il ne put s’empêcher de porter sa main à son menton, des fois que la lame l’ait touché sans qu’il ne le sente.
Il fut heureux de constater qu’il n’en était rien.

« Excusez-moi, je me suis trompée de cible. »

- C’est ce que j’ai cru deviner, répondit-il avec un petit sourire. Ça ira, je comprends.

Son ton était assez doux. Il ne voulait pas qu’elle se sente coupable, vu que c’était surtout elle, la victime. De plus, il n’était même pas sûr de lui en vouloir lui-même. Réalisait-il vraiment qu’elle venait de pointer un sabre vers lui ?

Le visage de la jeune femme changea d’expression. Il ne savait pas si c’était là l’effet de ses paroles, mais le résultat était le même. Il baissa rapidement les yeux sur sa main quand elle saisit la gourmette avec des mots de remerciements. Il chercha quoi répondre, quelque chose comme « Ce fut un plaisir », ou « C’était bien normal », peut-être même « Ce vaurien ne méritait pas de la garder ». Mais les seuls mots qui franchirent la barrière de sa bouche furent « De rien ».

Il l’observa essayer de la rattacher, sans même penser qu’il était peut-être temps de reprendre sa route, qu’elle n’avait peut-être pas envie de lui parler. Pour lui, sur le moment, la seule chose à faire était de rester là et d’attendre, comme pour vérifier si le bijou allait lui plaire, comme s’il lui offrait en cadeau. Il fronça presque imperceptiblement les sourcils en remarquant que la gourmette ne s’attachait pas. Il releva les yeux vers elle et surprit son regard mélancolique lorsqu’elle murmura qu’il s’était cassé.

- J’en suis désolé. Vous aviez l’air d’y tenir.

Le fait qu'elle vienne de le menacer avec sa lame, alors qu'il n'était pas un potentiel agresseur à proprement parlé, avait mis Raven dans une situation de gêne qui ne lui ressemblait pas vraiment. Néanmoins, ces derniers temps, elle s'étonnait de plus en plus de la violence dont elle pouvait faire preuve. Alors, quand il l'excusa d'un ton des plus calmes qui n'indiquait aucune possible rancune future, et qui montrait par la même occasion qu'il ne lui en voulait pas, elle fut comme soulagée. D'ordinaire, on l'aurait certainement insultée de tous les noms. Enfin, elle n'allait pas s'en plaindre, ça lui éviterait d'avoir à faire de nouveau acte de violence, que ce soit verbale ou physique.

La jeune femme retrouva donc une expression sereine et le remercia. Malheureusement, son visage se teinta rapidement d'une touche de mélancolie en voyant l'état de la gourmette. Et intérieurement, elle se sentit gronder de ne pas avoir abîmer davantage le Dom Juan de l'avenue. Après tout, c'était de sa faute si l'attache s'était brisée.
Elle releva la tête en entendant la voix de celui qui la lui avait rapportée. Ses yeux d'ambre se posèrent sur son visage, détaillant ses traits, décelant une once de franchise en rapport avec ce qu'il avait dit. Visiblement embêtée, elle répondit :

- Oui, j'y tenais assez... J'espère que c'est réparable.

Puis elle rangea le bijou dans une pochette de son sac, et soupira. Après quoi, un nouveau sourire, discret, se forma sur ses lèvres. Il semblait que cet incident ne suffirait pas à lui ôter entièrement sa bonne humeur. Comme quoi, sortir du chômage est vraiment bénéfique sur tous les plans.
Elle pointa le long de l'avenue à l'attention du jeune homme :

- Vous alliez par là, non ? C'est également ma route.

Façon plus ou moins détournée de l'inviter à se joindre à elle le temps de quelques pas. Un peu de compagnie n'était jamais à refuser, même si elle était plutôt du genre à faire cavalier seule, l'honnêteté dont il avait fait preuve lui insuffla l'envie d'en apprendre un peu sur sa personne. Une drôle de façon d'éveiller sa curiosité, certes, mais efficace.
Elle entama alors une marche tranquille, et reposa son visage de porcelaine sur lui.

- J'imagine que vous avez dû assister à la petite altercation que j'ai eu. J'espère ne pas vous avoir effrayé.. Monsieur ..?..

Non, elle n'était pas très douée pour faire "connaissance", mais elle estimait que c'était quand même compréhensible qu'elle était en train de lui demander de décliner son identité.

Quand son interlocutrice releva les yeux vers lui, il observa la finesse de ses traits une nouvelle fois, tout comme elle le faisait avec lui. Au moins, la racaille avait choisit avec goût la personne qu’il avait abordé. Mais l’expression qu’il vit sur le visage de la jeune femme, qui que très mignonne, ne lui plut pas vraiment. S’il s’amusait généralement des regards que les femmes lui adressaient, il ne tirait aucun plaisir à embarrasser celle-ci.

Sa réponse lui fit poser une dernière fois son regard sur le bijou avant qu’il ne soit rangé dans une pochette. Il n’était pas orfèvre, mais doutait qu’on pourrait le réparer. Au mieux, elle pourrait peut-être le faire fondre et en faire faire un autre.
En l’entendant soupirer, il releva les yeux vers elle et se réjouit d’y voir naître un joli sourire. Il tourna rapidement la tête vers la direction indiquée par la jeune femme lorsqu’elle lui fit plus-ou-moins comprendre qu’ils allaient dans la même direction. Bob se garda bien de dire qu’il n’allait à aucun endroit précis, se contentant d’acquiescer d’un simple hochement de tête.
Alors qu’elle se remettait en marche, il plongea ses mains dans ses poches et ajusta la vitesse de son pas à celle de sa compagne de balade. Il regarda autour de lui les personnes qui allaient et venaient à présent comme si rien ne s’était passé. C’était bien mieux ainsi.

« J'imagine que vous avez dû assister à la petite altercation que j'ai eu. J'espère ne pas vous avoir effrayé.. Monsieur ..?.. »

À ces mots, il reporta son attention sur elle, et, à peine avait elle finit sa phrase qu'il répondit du tac-au-tac :

- Robin. Je m’appelle Robin.

Il mit quelques fractions de secondes à réaliser qu’il s’était présenté sous son vrai prénom, et non pas comme « Bob », comme à son habitude. Et il l’avait fait le plus normalement du monde, alors qu’il n’avait pas dû se désigner ainsi depuis au moins quelques années.
Rapidement, il mit un terme à ses réflexions afin de poursuivre :

- Et, non, vous ne m’avez pas le moins du monde effrayé. J’ai même trouvé votre réaction très courageuse… Jusqu’à ce que je me rende compte que vous n’êtes vraiment pas du genre à vous laisser faire…

Instinctivement, il repassa légèrement son doigt sur son menton, avant de replonger sa main dans sa poche. À bien y réfléchir, il aurait sûrement dû être effrayé. Non pas par la gifle, bien qu’il ne se souvenait pas en avoir vu de pareilles, mais par le fait qu’elle avait un katana. Katana qu’elle avait même faillit utiliser contre lui. Alors pourquoi n’était-il pas effrayé ?
Ces années de solitude avaient-elles finies par le rendre fou ?

- J’imagine que ce n’est pas la première fois que ça vous arrive.

C’était une manière simple de faire à la fois un compliment camouflé et de s’expliquer cette réaction qu’elle avait eu à son égard.
Puis, n’attendant pas de réponse à ce qui devait, malheureusement pour elle, être une évidence, il enchaîna :

- Vous habitez par ici, ou, comme la majorité des personnes qui nous entourent, vous êtes seulement venue en touriste ?

Il espérait qu’elle n’était pas une touriste. Déjà parce que la petite altercation qu’elle avait eu entacherait son séjour, ce qui serait regrettable, et puis aussi, peut-être, pour d’autres raisons.

Elle fut ravie de le voir hocher la tête en guise d'acquiescement. Ainsi donc, ils se mirent en marche, précédée de Raven, et le jeune homme régla le rythme de ses pas aux siens. C'était alors comme si rien ne s'était passé. L'avenue avait retrouvé sa cadence habituelle à cette heure, plus aucun regard n'était rivé en leur direction. Bon, il fallait avouer que la rouquine n'y avait pas le moins du monde prêté une attention particulière. A force d'attirer les regards d'autrui, on finit par ne plus s'en rendre compte. Cela ne devient réellement pesant que lorsqu'il s'agit d'un particulier, comme ça venait d'être le cas ici. L'universel a souvent cet avantage de désintéresser.

- Robin. Je m'appelle Robin.

Un silence, puis il reprit. Sa remarque lui arracha d'ailleurs un sourire. C'est vrai qu'elle était plutôt impulsive comme fille, voire même explosive. Elle avait un caractère bien trempé, et s'y frotter devenait souvent bien périlleux. Certains n'étaient même plus là pour le confirmer, seules leurs pierres tombales témoignaient de leur bêtise de lui avoir chercher des noises.

- J'imagine que ce n'est pas la première fois que ça vous arrive.

Elle esquissa un nouveau sourire. C'était un compliment joliment fait, du moins, si c'en était un comme elle le pensait. D'ordinaire, les "ennuis" qu'elle avait s'obtenaient plus à force de provocations ou de représailles, ou encore même parfois par la malchance. Alors à côté de ça, ce genre d'ennuis-là étaient bien simples à régler.

- On peut dire ça comme ça, oui, à croire que les robes attirent les "hommes".

Elle le regarda ensuite d'un air étonné. C'était bien la première fois qu'on lui demandait où est-ce qu'elle vit. La surprise était telle qu'elle eut pour effet de la faire hésiter un instant sur la localisation actuelle de son domicile, pourtant, ça faisait un bout de temps maintenant qu'elle y habitait, ce n'était d'ailleurs pas très loin d'ici.

- J'habite derrière la rue Friedland, sur l'avenue Hoche, donc pas très loin d'ici.

Elle marqua un temps d'arrêt, et reprit :

- Je m'appelle Raven. Et j'imagine que vous êtes aussi du quartier, Robin ?

La manière dont il avait posé lui-même la question laissait entendre qu'il logeait à Paris, il ne fallait pas beaucoup de jugeotte pour le comprendre.
Elle laissa ensuite un petit temps de silence s'installer, avant de le rompre de nouveau :

- Oh, j'y pense. Vous alliez quelque part en particulier ? Ca m'embêterait d'avoir contrecarré vos plans..

Finalement, la jeune femme souriait beaucoup. Soit elle se moquait de lui, soit c’étaient ses remarques qui lui tiraient ce sourire. Il préférait croire que la deuxième option était la bonne.
La réponse inattendue de son interlocutrice lui tira un sourire à lui aussi. Ce n’était pas une question de robe, il le savait, et elle devait le savoir aussi. Si Bob avait déjà vu de belles femmes en pantalon se faire aborder, les femmes qui, elles, n’avaient pas étés gâtées par la nature, même en robe, avaient rarement ce genre de problème. Un bonheur dans un malheur, en somme.

Au regard qu’elle posa sur lui, il se demanda s’il avait bien fait de lui demander indirectement où elle habitait. Pour sa défense, la plupart des échanges qu’il avait avec les autres s’étaient déjà terminés là où, avec elle, il continuait sa balade. Il masqua tout de même aisément ce doute qui l’avait prit quant à la pertinence de sa question alors qu’ils se connaissaient à peine.

Elle hésitait. Peut-être qu’elle venait d’emménager et qu’elle ne connaissait pas encore bien son adresse. À vrai dire, elle pouvait même simplement répondre qu’elle habitait dans le coin.

« J'habite derrière la rue Friedland, sur l'avenue Hoche, donc pas très loin d'ici. »

L’avenue Hoche, il connaissait. Mais la rue Friedland… Il avait beau fouiller dans sa mémoire, ça ne lui disait rien. Il n’avait pas dû passer par là-bas…

« Je m'appelle Raven. »

Bob réfléchit un moment. Raven… Ce n’était pas un nom très courant. Pourtant, il lui allait bien. Bob n’imaginait pas un autre nom pour ce visage.

« Et j'imagine que vous êtes aussi du quartier, Robin ? »

- Plus ou moins. J’habite dans le douzième.

Et il s’y plaisait assez. Il avait trouvé – ou plutôt son père lui avait trouvé – un coin assez tranquille. Il vivait dans un assez grand immeuble, au dernier étage. Ainsi, il n’était pas gêné par les voisins du dessus, et, étant lui-même assez calme, il ne dérangeait pas non-plus. Certains pourraient trouver handicapant l’absence d’ascenseur, mais lui en était plutôt satisfait. De cette façon, il gardait la forme.

Un petit silence s’était installé entre eux, mais Bob n’essaya pas de le rompre. Il profitait de la présence l’accompagnant, se prenant à lui adresser de discrets regards.

Ce fut elle qui le rompit finalement en lui demandant ce qu’il ne lui avait pas précisé : s’il avait une destination particulière. C’est avec un petit sourire qu’il lui répondit.

- Pas vraiment. Depuis six ans, je n’ai jamais de destination particulière. Je suis libre, je vis ma vie.

Et il n’avait pas l’air de s’en plaindre, même si se balader avec Raven était aussi plaisant, voire bien plus que ses balades solitaires.

- Et vous ? Que faîtes-vous dans la vie, à part vous faire aborder ?

Il retint un petit ricannement.

Cela faisait maintenant plusieurs minutes que les deux jeunes gens marchaient en compagnie l'un de l'autre. Raven se laissait même prendre à discuter avec lui, de façon tout à fait normale, comme si finalement, elle aussi n'était qu'une humaine comme les autres. Mais la vérité, c'est qu'elle n'était ni humaine, ni comme les autres. Statut qu'elle semblait toutefois oublier en la présence de Robin. Au fond, se laisser prendre au jeu, et avoir une discussion autre que "tu vas mourir" avait certainement des vertus bénéfiques.

Elle apprit donc, au fil de leur conversation, qu'il vivait au sud-est de la capitale. A bien y réfléchir, ça faisait une trotte. Pour aller au nord-ouest de Paris en plein soir, c'est qu'il devait bien avoir une direction prévue non ? C'est sûrement ce qui la poussa à lui poser la question quant à sa probable destination. Mais finalement, elle fut étonnée, mais toutefois ravie, de savoir qu'il n'avait aucun but particulier. Marcher pour le plaisir ? Depuis six ans qui plus est. Elle se demanda un instant si cela signifiait qu'il était au chômage, mais être au chômage à Paris, depuis six ans, ne peut permettre à quiconque de se loger dans la capitale. Alors, peut-être qu'il avait gagné au loto, ou une connerie du genre, et que du coup, il pouvait se permettre de ne pas travailler. Sa phrase était vraiment ambiguë. Peut-être qu'elle se méprenait sur toute la ligne, qu'elle avait mal compris. Enfin bref. Elle gagea de ne plus y penser davantage. Autant lui poser la question si sa curiosité reprenait le dessus. Mais pour l'instant, elle se contenta d'esquisser un sourire amusé à sa question, et entreprit d'y répondre :

- Eh bien, j'ai pris une année sabatique, pendant laquelle j'ai vogué çà et là. Mais pour tout vous dire, je viens juste de décrocher un contrat. Au moment où je vous parle, mes nouveaux patrons sont en train de finaliser l'affiche promotionnelle de la troupe. Je travaille dans le monde du spectacle. Et bien que l'idée de travailler sous des ordres ne m'enchante guère, je n'ai pas d'autre choix pour l'instant.

Il savait à peu près tout de sa situation actuelle à présent. Du moins, ce qu'elle s'autorisait à dévoiler. C'était déjà un exploit de parler autant d'elle-même, elle qui s'y refusait d'ordinaire. Alors, quant au reste de sa vie, ce n'était même pas la peine d'y songer. Enfin, il fallait dire qu'elle ressentait une certaine fierté. Elle qui avait appris à voyager seule, décrocher ce contrat était une aubaine, et retenir l'attention de grands producteurs la confortait dans ses doutes : elle était encore capable d'offrir du spectacle aux autres.

« Eh bien, j'ai pris une année sabatique, pendant laquelle j'ai vogué çà et là. Mais pour tout vous dire, je viens juste de décrocher un contrat. Au moment où je vous parle, mes nouveaux patrons sont en train de finaliser l'affiche promotionnelle de la troupe. Je travaille dans le monde du spectacle. Et bien que l'idée de travailler sous des ordres ne m'enchante guère, je n'ai pas d'autre choix pour l'instant. »

Elle travaillait dans le monde du spectacle ? Intéressant… Robin essaya de s’imaginer ce qu’elle pouvait faire. Des tours avec son sabre ? Ça existait dans les spectacles ? Il fut tout de même attristé d’entendre ainsi dit qu’elle n’avait pas d’autre choix que travailler sous des ordres alors qu’elle n’aimait pas ça. C’était dans ces moments-là qu’il prenait réellement conscience de « ce qu’il avait de plus ». Il admirait les personnes qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour vivre, quand lui n’avait rien d’autre à faire de ses journées que profiter de la vie. Ou plus exactement, rien d’autre à faire de ses nuits.

- Et pour quelle troupe travaillez-vous ? J’aimerais beaucoup assister à une de vos présentations. Qu’est-ce que vous faîtes, d’ailleurs ? De l’équilibrisme ? Des acrobaties ?

Robin, lui, ne savait faire aucune de ces choses. Son rayon c’était plus la musique, même s’il persistait à dire qu’il était mauvais et refusait de faire écouter ce qu’il jouait aux autres.

- J’ai beaucoup de respect pour les artistes comme vous. À ce que j’en sais, faire des spectacles vient généralement d’une passion. Je trouve ça fantastique de vivre de sa passion.

*C’est bien plus admirable que de vivre entretenu par son père…*

[Petit soucis d'inspi sur ce coup, ça devrait aller pour la prochaine réponse si tu formules bien tes phrases et si tu poses des questions x)]

Elle se permit de laisser échapper un rire mélodieux en entendant ses mots. C'est vrai qu'elle avait souvent été saltimbanque, à allier la danse et le maniement des armes, mais c'était toute autre chose que faire des prouesses d'acrobates, et bien qu'elle ait un bon équilibre, elle doutait sérieusement de tenir sur une matière aussi fine à quelques mètres du sol.

- Non, je travaille pour une comédie musicale. Le thème est tel qu'il oblige un personnage sachant danser et manier les armes, c'était l'occasion rêvée pour la femme que je suis. C'est l'association parfaite des seules choses que je sache faire.

Mis à part ces deux talents, elle passait plutôt pour une bonne à rien. Non pas qu'elle soit idiote au point de ne pas pouvoir suivre des cours, mais, bouffer du livre toute la journée ne l'intéressait pas. La danse, et se battre, au sabre ou à mains nues. C'était les seuls domaines dans lesquels elle pouvait se vanter d'exceller. Et elle s'estimait heureuse d'avoir commencé très jeune, car elle n'aurait pas pu en vivre autrement.

- "Saveurs idyliques." C'est le nom du spectacle. C'est l'histoire de personnages qui ne vivent que pour leur passion, qui sont heureux seulement quand ils font ce qui les passione.

Elle adressa un sourire à sa remarque. Puis reprit :

- C'est plus un métier pour ma part. Associer les armes à la danse, ça ça me plaît. Mais ce n'est pas pour ça que j'ai accepté le rôle. C'est parce que le scénario m'a vraiment emballée. Rappeler aux gens qu'avec des rêves on peut aller loin, aussi insensé que cela puisse paraître, s'accrocher à un but passionnel, et ne jamais laisser tomber quoi que les autres puissent en dire. Je suis honorée de pouvoir faire passer ce message par l'art.

Elle marqua un temps d'arrêt, puis continua :

- On voit trop souvent nos rêves se briser, et on en oublie trop facilement que ce n'est pas pour les autres qu'on doit vivre, mais pour nous-mêmes.

On aurait pu croire à cet instant précis, qu'elle incarnait le rôle du personnage dont elle avait hérité. C'était une des raisons pour lesquelles ce rôle lui correspondait à merveilles. Elle avait la même façon de penser, la même force.

« Non, je travaille pour une comédie musicale. Le thème est tel qu'il oblige un personnage sachant danser et manier les armes, c'était l'occasion rêvée pour la femme que je suis. C'est l'association parfaite des seules choses que je sache faire. »

Pour manier les armes, le hibou avait en effet cru constater qu’elle se débrouillait bien. Ou plutôt, le fait qu’elle se balade avec son arme et le menace avec l’avait laissé comprendre. On ne se défend pas avec quelque chose qu’on ne maitrise pas, sauf si on est inconscient ou que l’on compte sur l’intimidation. Et rien ne disait à Bob qu’elle se classait dans l’une de ces deux catégories.

« "Saveurs idyliques." C'est le nom du spectacle. C'est l'histoire de personnages qui ne vivent que pour leur passion, qui sont heureux seulement quand ils font ce qui les passione. »

Bob nota le nom quelque part dans sa tête. Saveurs idylliques… Au moins, ils avaient bien recherchés pour le nom. Et l’histoire, ces personnages uniquement heureux en exerçant leur passion, sonnait comme convenant parfaitement à celle avec qui il discutait. Il le fit d’ailleurs remarquer dans sa phrase suivante, phrase à laquelle l’artiste répliqua avec un sourire :

« C'est plus un métier pour ma part. Associer les armes à la danse, ça ça me plaît. Mais ce n'est pas pour ça que j'ai accepté le rôle. C'est parce que le scénario m'a vraiment emballée. Rappeler aux gens qu'avec des rêves on peut aller loin, aussi insensé que cela puisse paraître, s'accrocher à un but passionnel, et ne jamais laisser tomber quoi que les autres puissent en dire. Je suis honorée de pouvoir faire passer ce message par l'art. »

L’expression du hibou changea alors, et il semblait parti loin, sans pour autant viser un endroit précis. Il fuyait simplement la réalité qu’elle lui présentait, comme il l’avait toujours fait volontairement ou non.

« On voit trop souvent nos rêves se briser, et on en oublie trop facilement que ce n'est pas pour les autres qu'on doit vivre, mais pour nous-mêmes. »

- Et quand on ne vit ni pour l’un, ni pour l’autre ?

La remarque avait fusée, la parole dépassant la pensée. C’était un Bob regardant dans le vague, encore sous l’effet des paroles de Raven. Dans le fond, pour qui le connaissait un peu – soit pas grand-monde – cette remarque n’aurait pas été étonnante. Bob ne vivait ni pour lui-même, ni pour les autres. Il vivait parce que c’était comme ça, parce qu’il n’avait pas particulièrement envie de se suicider. Il avait cessé de se trouver un but, un rêve, depuis des années déjà. Il se contentait maintenant de tuer le temps en attendant que le temps ne le tue.

- Et quand on ne vit ni pour l'un, ni pour l'autre ?

Raven fut comme frappée par sa question. Elle ne s'attendait vraiment pas à ça. Malgré sa surprise, elle ne s'arrêta pas de marcher pour autant. Son premier réflexe fut de penser que ces temps-ci, elle croisait beaucoup de gens abattus, sans espoir, et sans rêves. A croire que le monde s'était arrêté de tourner. Comme si finalement, une vie, ce n'était pas grand-chose. Elle avait connu elle-même cet état d'esprit. Elle le connaissait encore parfois. Mais, chaque fois qu'elle doutait, qu'elle cherchait en vain quelle place elle pouvait occuper dans ce monde, elle pensait à son frère. Son frère pour qui elle avait décidé de se battre jusqu'au bout. Vivre pour deux, et survivre. Parce qu'inconsciemment, même dans l'horreur absolue, une vie vaut la peine d'être vécue. On peut toujours s'en sortir...

- Dans ce cas, on ne vit pas. On se laisse vivre. C'est différent. Et c'est du gachis.

Elle s'arrêta, et lui fit volte-face. Un air sérieux, elle le fixa dans les yeux. Sans s'en rendre compte, elle passa instinctivement au tutoiement.

- Tu veux gâcher ta vie ? Regarde-les.

Elle pointa deux SDF recroquevillés à côté d'une poubelle dans la ruelle adjacente.

- Eux, ils ont de bonnes raisons de désespérer. Malgré tout, ils gardent espoir. Ils n'ont pas la chance d'avoir un foyer, ou de beaux vêtements pour les réchauffer. Et pourtant, il leur suffit d'un sourire pour être heureux.

Elle s'avança alors vers eux, s'accroupit, et leur tendit un petit paquet qui contenait deux sandwichs et une bouteille d'eau. Elle se releva en leur souriant. Sourire qui lui fut rendu admirablement. Puis elle retourna aux côtés de Robin.

- Si tu attends désespérement que les autres viennent à toi, alors que tu as les moyens d'aller vers les autres, à quoi sert ta vie ? Il suffit d'un rien, d'une rencontre.

Elle marqua un temps d'arrêt, et leva ses yeux vers le ciel.

- Tu dois te battre, parce qu'une vie est trop précieuse pour être gâchée. Et même si aux yeux du monde tu n'es rien, tu dois garder en tête que quelque part, pour quelqu'un, tu représentes un tout.

Sur ces mots, elle se remit en marche, lui laissant quelques instants pour réfléchir à ce qu'elle venait de dire, ou bien pour s'en moquer. Peu importait vraiment ce qu'il en ferait. A vrai dire, il se dégageait de Robin, un homme en mal d'affection, un homme qui ne croyait plus à rien, un homme déjà vieux malgré sa jeunesse. Alors qu'il suffisait d'un rien pour s'amuser.
Elle s'arrêta quelques mètres plus loin, et se retourna vers lui. La main tendue, les lèvres étirées d'un sourire franc.

- Bon alors, tu viens ?