Soirée qui tourne mal... [PV Robin]

Les plus attentifs des parisiens pouvaient en cette soirée remarquer quelque chose d’assez spécial : même si la nuit n’était pas encore tombée, un hibou survolait la ville. Cependant, si eux faisaient attention à lui, et aussi étrange que ça puisse paraître, le grand-duc était perdu dans ses pensées. Bob se ressassait les évènements qui avaient précédé son survol de la ville, et ce n’était pas chose à le mettre de bonne humeur. Nelïya avait disparu, Lïya n’était rien d’autre qu’une diablesse, et si affective à son égard fut-elle, la louve ne pouvait pas lui donner ce qu’il voulait. Et pourtant, la louve semblait la seule des trois personnalités de la vampire à bien vouloir le laisser approcher…

Comme pour l’allée, même s’il l’avait faîte à pieds, Bob passa par, ou plutôt au-dessus du parc Montsouris. Tout aurait pu très bien se passer si un cri inintelligible n’était pas parvenu à son oreille de puissant rapace nocturne. Les yeux orangés allèrent çà et là, couvrant la totalité du parc, tandis qu’il faisait des ronds dans le ciel. Ce cri avait attiré sa curiosité, et ne disait rien qui vaille au blondinet tapis au fond de son petit corps.

Et il la vit, la source de ce cri. Ou plutôt, il les vit. Un jeune homme qui essayait de tirer le sac à main d’une charmante créature. Habituellement, le justicier au regard de glace aurait intervenu, mais ce soir il n’avait pas la tête à ça. Il préférait laisser la police faire son travail, histoire qu’ils ne soient pas payés pour rien.
Alors qu’il finissait son cercle loin au-dessus des individus afin de reprendre le chemin vers chez lui, il vit une chose qui n’aurait pas dû arriver. Le poing qui alla rencontrer le visage de la jeune femme le fit entamer un nouveau cercle, et le coup de pied dans le ventre, une chute en piqué. Ce n’était plus une question d’humeur, c’était une question d’éthique. À à peine quelques mètres au-dessus de l’agresseur, Robin reprit forme humaine et se laissa tomber de tout son poids dessus, dans un craquement d’os. Son visage n’affichait aucune émotion, et son regard était entièrement de glace.

Leçon numéro un : ne jamais, ô grand jamais, lever la main sur une jeune femme sans défense.

L’agresseur était plus que sonné, mais sa vie n’était pas en danger. Robin récupéra le sac à main, alla délicatement relever la jeune femme, avec une lueur de compassion, voire de gentillesse dans le regard.

Ça va, mademoiselle ?

Finalement, rien que le sourire de la jeune femme valait le détour. Maintenant qu’il la regardait de près, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle était bien plus belle que ce qu’il avait vu d’en haut. L’hybride ne put se retenir d’afficher une expression de soulagement quand elle lui dit qu’elle allait bien. Par contre, il dut retenir un soupir quand elle lui dit qu’elle lui était redevable.

Je vous en prie… Si ça n’avait pas été moi, ça aurait été quelqu’un d’autre…

Robin se baissa pour l’aider à ramasser les affaires éparpillées sur le sol. On dit qu’on peut connaître une femme rien que par ce qu’il y a dans son sac, eh bien le hibou ne voulut pas vérifier cette expression. Il n’avait même pas la certitude que leur relation irait plus loin que ça, et il préférait être surpris. En fait, depuis l’épisode avec Nelïya, il cherchait la sincérité chez les gens. Il ne tolérait plus ceux qui gardaient secret des choses importantes, tout en se refusant à découvrir les choses par lui-même.

Il resta silencieux quand le téléphone de la jeune femme sonna, et tout aussi silencieux quand elle y répondit. Faisant en sorte de ne pas écouter, il ne capta que quelques bribes qu’il n’essaya pas de resituer. La seule chose qui l’empêchait de s’en aller c’était la politesse.

Lorsqu’elle eut raccroché et rangé le reste de son sac, Robin fixa un regard étonné sur la main qu’elle tendait.

Je me présente : Harmonie Roussel. Je suis mannequin. Et vous êtes... ?

Robin hésita un instant, puis serra la main qu’elle lui tendait.

Robin Mauniet. Par contre, vous expliquer ma situation prendrait beaucoup trop de temps…

Après réflexion, ces paroles semblaient bien froides, et lui donnaient l’impression d’intimer à la jeune femme de rester loin de lui. Or, ce n’était pas vraiment l’effet recherché. Certes, son côté relationnel avait été mis à rude épreuves dans les jours, voire les semaines précédentes, mais ce n’était pas une raison pour faire son asocial fini.

Mais si vous voulez, je peux vous offrir un verre…

De toute façon, ce n’était plus comme si quelqu’un l’attendait à la maison…

Elle semblait hésiter, mais finit par accepter. Pendant qu’elle épongeait avec du coton le sang qui avait coulé sur son menton, Robin se répéta son prénom dans sa tête. Harmonie… C’était un prénom assez peu répandu, puisqu’elle était bien la première à sa connaissance à le porter. Peut-être était-ce lié à sa signification, mais ce nom lui plaisait. De l’harmonie il en avait besoin dans sa vie dans laquelle tout semblait s’effondrer pièce par pièce.
Bob attendit patiemment qu’elle finisse, et range son miroir, avant de se mettre en marche tout en vérifiant bien qu’elle le suivait. La question qui arrivait maintenant était la suivante : où aller ? C’était qu’il ne connaissait dans les environs que l’appartement d’Adel, mais il doutait fort que, si Adel aurait sûrement été d’accord, Harmonie accepte d’aller boire un verre chez lui. Et puis, Robin ne se voyait pas débarquer chez son jeune ami en lui disant qu’ils venaient taper dans sa réserve de soda parce qu’il ne connaissait que lui dans les alentours…

Vous êtes absolument sûr que je ne peux rien faire pour vous ?

Robin allait lui dire que ce n’était pas la peine, mais une idée fleurit dans son esprit. Si elle était dans ce parc seule, c’était qu’elle devait connaître le coin, voire habiter tout près…

Dites-moi juste si vous connaissez un endroit où nous pourrions aller, ou si un établissement a votre préférence. J’habite plus loin, et je ne connais pas bien ce coin de Paris…

Il agrémenta ses paroles d’un fin sourire.

Robin la laissa les guider jusqu’à un bar, La Tanière. Passant sur ce nom étrange, le hibou la suivit jusqu’à une table, laissant son regard traîner un peu partout. Il fallait dire que malgré son nom peu accrocheur à l’esprit de Robin, l’intérieur n’était pas si mal. Il flottait dans l’air une sorte de chaleur assez agréable, qu’on ne trouvait pas souvent dans un simple bar.
Lorsque le serveur arriva, à peine Harmonie eut-elle commandé que son téléphone sonna encore. Il était compréhensible qu’elle soit demandée, vu qu’elle était mannequin et qu’elle avait tout pour, mais ça commençait à être assez désagréable.

Une bière, commanda simplement le hibou après un léger soupir.

Si le fait d’être mannequin expliquait les appels incessants, Robin avait du mal à s’expliquer qu’elle décline ainsi l’appel. Un ex ? Un indésirable ? Un fan un peu trop collant ? Le nombre de possibilités à ce sujet n’avait de limite que celle de l’imagination de l’individu. Néanmoins, en jugeant les gestes qu’elle venait de faire, Robin pu arriver à la conclusion qu’elle venait d’éteindre son téléphone… ou du moins, il l’espéra. Le sien, lui, était toujours sur vibreur depuis qu’il lui arrivait souvent d’être dérangé à toute heure du jour et de la nuit par Jean-Pierre, qui lui signalait qu’untel voulait faire ça, et qu’untel voulait faire autre chose. D’accord, Robin était le propriétaire de la boîte… Mais c’était pas lui, le PDG…

Le hibou fut surpris par la vitesse à laquelle le serveur avait ramené leur commande. Décidément, ce bar commençait à lui plaire… restait à savoir le prix pour pouvoir le conseiller. Pour lui, ça ne changeait pas grand-chose. Mais pour certains, un euro pouvait faire toute la différence.

Vous êtes un hybride, n’est-ce pas ?

La question l’avait coupé dans ses pensées, et il aurait pu s’étouffer avec sa bière. Robin regarda et écouta autour de lui, en buvant une deuxième, puis une troisième gorgée. Personne ne semblait avoir entendu, ou personne n’y prêtait attention. Tant mieux…
Posant son verre, et plongeant son regard de glace dans celui de la jeune femme, il pensa à l’idée de la chasseresse. Mais son sourire était trop sincère, et elle ne pouvait pas avoir fait exprès de se laisser assaillir. Une chasseresse aurait réglé son compte à l’importun en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, d’autant plus si, comme tout à l’heure, il n’y avait personne dans les environs.
Alors, Robin étira ses lèvres en un fin sourire, et hocha légèrement la tête.

Mieux vaudrait en parler en seul à seul, ajouta-t-il sur le ton de la confidence en regardant autour de lui. Les murs ont des oreilles.

Peut-être aurait-il été plus simple de mentir, mais Robin n’était pas de ces personnes qui apprenaient à mentir en même temps qu’à parler. Et puis, comment demander la sincérité à quelqu’un, si on l’est pas soi-même ?

Robin laissa échapper un soupir quand la jeune femme paya. N’était-ce pas lui qui l’avait invitée, plutôt que l’inverse ? Mais il était dur de résister à un tel sourire. Alors il se leva simplement, adressant un signe de tête au serveur qui les saluait. Il lui emboîta le pas alors qu’elle sortait, et ferma les yeux pour vérifier qu’il n’entendait personne à proximité. Il s’approcha d’elle lorsqu’elle s’adossa au mur, mais pas trop pour ne pas laisser croire certaines choses.

Je pense que nous sommes assez seuls, là... Alors, Robin, dis-moi tout ! Je peux te tutoyer, hmm ?

S’ils commençaient à se tutoyer, ça pouvait aller loin… Mais au fond, ça n’effrayait plus Robin comme avant. Cette Harmonie avait l’air sympathique, et si ce n’était pas elle qui finissait par le fuir, il ne la fuirait pas non-plus.

Bien sûr, ça ne me pose pas de problèmes.

Le seul problème qui se posait, c’était que dire ? Dire qu’il était hybride n’était pas suffisant ? Qu’est-ce qu’elle attendait réellement ? Le mieux était peut-être d’user de faits, et non de mots…

Petit à petit, l’homme se changea en grand-duc, sans la quitter des yeux. Il déploya ses ailes, et décrivit quelques cercles dans la ruelle avant de revenir devant Harmonie, et de reprendre sa forme humaine.

Est-ce que ça répond à tes questions ?

L’expression d’Harmonie était quelque chose d’assez intéressant à voir, et elle arracha un sourire à Robin. Il commençait à vraiment apprécier ce petit bout de femme, même si l’expression qu’elle affichait faisait immédiatement penser à une enfant. Une autre chose faisait aussi penser à une enfant, même si celle-là avait quelque chose de surprenant. Se faire sauter dans les bras par une presque inconnue avait quelque chose d’embarrassant, et Bob resta figé face à son élan d’affection.

Je... Merci, Robin ! C’était fantastique !

L’intéressé aurait bien répondu que ce n’était rien, que ça lui faisait plaisir, mais il était bloqué dans son sourire gêné. Il tapota gentiment le dos d’Harmonie, comme on fait pour montrer à quelqu’un qu’il va peut-être un peu trop loin, tout en ne voulant pas le froisser. Peut-être était-ce son geste, ou bien était-ce autre chose, toujours était-il qu’elle se recula, rouge, la tête baissée. Cependant, ses tentatives assez peu concluantes de s’excuser tirèrent un franc sourire au hibou, qui se dit qu’il pouvait bien faire ça pour elle.
Robin fit quelques pas vers elle, et l’enlaça gentiment sans quitter son sourire.

C’est rien, fais pas cette tête. Ça arrive à tout le monde, de se laisser dépasser par ses émotions. Tu veux que je te raccompagne chez toi ?

Bon, bah... On y va, Robin ?

L’hybride hocha en silence la tête, et la suivit sur le chemin de chez elle. Robin remarquait les regards qu’elle lui adressait, mais faisait celui qui n’avait rien vu, souriant intérieurement. Mais il n’était pas question de répondre à ces regards. Moins il lui monterait d’intérêt, mieux ça serait.

Tu montes avec moi ? Tu peux rester cinq minutes, si tu veux.

Robin observa l’immeuble un moment, puis à nouveau Harmonie.

Eh bien… si tu veux.

Ainsi, il la suivit chez elle, mémorisant le lieu, l’étage et la porte. Une fois à l’intérieur, il regarda autour de lui, puis suivit son hôtesse vers ce qu’il identifiait comme le salon. Elle lui fit signe de s’asseoir, ce qu’il fit après une légère hésitation. Certains n’auraient pas supporté une telle proximité entre deux personnes après un simple verre, mais Robin n’était pas plus gêné que ça. Après tout, c’était tout ce qu’il y avait de plus innocent.
Le hibou tourna le regard vers son hôtesse, et lui adressa un léger sourire.

Alors, on fait quoi ? Tu m’offres un nouveau verre ?

Ses yeux avaient tourné à l’orangé.

Le temps qu'Harmonie aille leur chercher à boire, Robin visualisa dans son esprit l'expression de son hôtesse juste avant qu'elle se lève, ainsi que les causes possibles. Puis, comme une évidence, le hibou sortit son portable pour voir son reflet. Ses yeux, évidemment. Depuis quelques temps, ils changeaient de couleur sans son accord, sans même qu'il le sache. Robin ferma les yeux, se concentra, et fut satisfait en voyant qu'ils avaient repris leur teinte naturelle.

C'est ce moment que choisit Harmonie pour revenir avec deux bières. Robin prit la sienne pendant que son hôtesse décapsulait la sienne, puis lorsqu'elle lui tendit l'instrument adéquat, il décapsula la sienne à son tour. Buvant quelques gorgées, il pût juger que les goûts d'Harmonie n'étaient pas bien différents des siens. Que ça soit le bar, l'appartement, ou la bière, tout dans cette soirée lui convenait, jusqu'à la compagnie. Cette Harmonie avait réussi à lui faire penser à autre chose qu'à Nelïya, même pendant le silence qui avait suivi l'ouverture des bouteilles. Elle le regardait, il la regardait, rien de plus. Et pourtant, aucun des deux ne semblait vouloir briser ce silence. Ils restaient dans leur contemplation respective, et personnellement, Robin passait un très bon moment.

Alors, euh... Tu habites dans quel coin, toi ?

Dans le douzième, répondit-il du tac au tac.Pourquoi, ça t'intéresserait de passer chez moi ?

Franchement, Robin n'avait aucune idée de pourquoi il avait répondu ça. Aussi se contenta-t-il de sourire, et de reprendre une gorgée de bière sans la quitter du regard.

Bah... Pourquoi pas ? J’avais pensé qu’on aurait pu faire plus ample connaissance. Dans un autre endroit, à un autre moment... Dans des conditions un peu plus favorables que celles-ci.

Ce n'était pas tant ce que disait Harmonie qui attirait l'attention de Robin, mais ce qu'elle faisait. Buvant, elle s'était rapprochée de lui et enroulait et déroulait son doigt dans les cheveux du hibou. Mais c'est véritablement quand elle appuya sa tête contre son épaule que Robin soupçonna l'alcool.

J’adore tes cheveux... Ils sont super jolis, tu sais ?

Robin sourit en la remerciant, tout en prenant sa bouteille pour la poser hors de la portée du mannequin.
Quand elle se redressa, Robin s'attendait à ce qu'elle lui réclame la bouteille. Mais non... elle se contentait de le regarder, et de sourire. Le hibou allait sourire à son tour, mais les lèvres d'Harmonie contre les siennes le figèrent dans son geste, geste qu'il mit plusieurs secondes à vraiment réaliser. Harmonie l'embrassait, et pas à contrecœur. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ? C'aurait été un mensonge de dire qu'il n'appréciait pas ce contact, et qu'il n'avait pas envie de le prolonger ou de l'approfondir. Mais était-ce vraiment raisonnable ? Que feraient-ils ensuite ?
...

Robin répondit avec passion au baiser d'Harmonie. Sans doute n'était-elle pas en pleine possession de ses moyens, sans doute le regretteraient-ils tous les deux, mais Harmonie semblait en avoir envie, et c'était aussi le cas du jeune homme dont les yeux avaient repris une teinte orangée.

Tout semblait bien parti. Harmonie l’avait même attiré contre elle, et glissé ses mains dans ses cheveux. À croire que seuls ses cheveux lui importaient. Mais quoi qu’il en fut, Robin ne se priva pas non-plus pour la caresser, voire la surmonter quand elle l’avait attiré à elle. Seulement, il y eut un hic. Même s’il eut un peu de mal à comprendre pourquoi ni comment, Robin avait été repoussé.

Je préfère en rester là, Robin. Je ne me sens pas assez prête pour... Pour ça...

Évidemment. Elle avait été submergée par l’euphorie de l’alcool, et avait retrouvé ses esprits pile à ce moment-là. D’un autre côté, Bob préférait que ça soit maintenant que plus loin, là où il aurait été difficile de rebrousser chemin. Robin passa sa main dans ses cheveux pour retrouver un esprit lucide, et allait lui présenter ses excuses quand il la découvrit endormie. Il fallait croire que l’alcool et elle, ça faisait deux… trois même, maintenant. Mais cette vision attendrit Robin, et calma ses ardeurs. Alors que ses yeux reprenaient leur couleur glace, le hibou déposa un baiser sur le front de la mannequin, et la souleva tendrement pour aller la déposer dans son lit.
Refermant délicatement la porte de la chambre, l’hybride, prit un bout de papier et un stylo, et y nota son numéro pour ne pas s’en aller comme un voleur. Peut-être finirait-il à la poubelle, ou brûlé, ou peut-être ne serait-il jamais utilisé. Toujours est-il qu’il le laissa là, avec un petit mot.

« Merci »

Il referma la porte d’entrée en faisant le moins de bruit possible, et s’enfonça dans la nuit, son amie de toujours, avec un petit sourire.

*Merci de m’en avoir empêché, Harmonie.*