Mauvaise lune [Raven]

S’il y avait un moment que Vesper détestait, c’était celui-ci. Attendre. Attendre de ne plus être maître de lui-même, attendre le réveil de cet autre lui qu’il haïssait autant qu’il craignait. Dehors, la lune se levait. Vesper n’avait pas besoin de vérifier pour savoir qu’elle était pleine. Dans ces moments-là, elle était toujours pleine.
Beaucoup de légendes étaient fausses. Celle des vampires était loin de la réalité, et celle des loups-garous était fausse. Pourtant, Vesper combinait les deux. Il devenait un vampire mythique lorsque les loups-garous devaient être de sortie.

Il se sentit trembler, recroquevillé dans ce petit coin de son logement. Était-ce le froid ? La peur ? Ou était-ce une réaction précédant cette transformation ? Peu probable. Ce n’était pas comme s’il se transformait vraiment. Ça tenait plus du changement de personnalité.

S’il avait appris à croire, il aurait aussi prié. Prié pour son âme, pour celles de ses futures victimes. Prier pour que sa folie prenne un jour fin. Dehors, la lune continuait de monter, comme pour chercher une bonne place pour assister au massacre.

Et puis sa tête commença à le faire atrocement souffrir. Il mordit sa lèvre au sang avec ses canines qui commençaient à pousser, se tirant les cheveux. Son souffle se fit plus haletant, ses veines, plus visibles. Puis, il se calma progressivement, avant de se mettre à rire nerveusement.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, son regard doré balaya la pièce, puis il se leva et sortit. Rapide et discret, il arriva à son endroit favori depuis que son alter-ego s’était installé ici. Dans ce bois, la nuit, sortaient des filles de joie. Mais ce n’était pas ça qui l’intéressait. Non. Il préférait les jeunes filles qui se baladaient seules, justement comme celle-ci.

Discrètement, il suivit la belle créature, regrettant presque de devoir la tuer. Mais cela faisait un mois que Vesper ne faisait rien d’excitant. Il se contentait de fumer, de boire, de refumer, de reboire… en laissant une distance respectable entre le monde et lui.

Et ça avait le don d’exaspérer Dared au plus haut point. Lui, il lui fallait de l’action.

Sans crier gare, il se jeta sur la malheureuse.


[Je te laisse décider de si tu es la « malheureuse » ou si simplement spectatrice.]

Raven ne savait pas ce qui la poussait à revenir au bois de Boulogne. La dernière fois qu'elle était venue, c'était pour trouver Raphaël, avec qui elle avait finalement réussi à discuter. Mais sur le chemin du retour, elle avait également trouvé un corps inerte, présentant plusieurs marques de morsures sanglantes. La jeune femme, d'environ vingt-cinq ans, avait été vidée de son sang. La vue de cette pauvre prostituée privée de vie trop tôt avait attisé sa curiosité. Et lorsqu'elle avait posé sa main sur son bras glacé, à l'aide d'un mouchoir pour éviter de laisser des empruntes, ce qu'elle avait vu l'avait alarmée.
Psychométrie était une véritable aubaine pour les plus curieux. Ainsi, les flashs lui avaient soufflé qu'un vampire avait sauvagement pris la jeune femme en guise de repas. Elle le voyait féroce, et extrèmement rapide. Visiblement si dangereux que l'adrénaline lui était montée directement au cerveau, faisant battre lourdement son sang dans ses veines. Puis elle était rentrée.

Mais voilà, savoir qu'un prédateur rôde dans ces bois, à l'affût de proies humaines... Au fond, c'est sûrement ce qui l'avait poussée à revenir sur les lieux du crime. D'un côté, elle se demandait si le sang-froid en question était Azphel. Elle connaissait peu de vampires, mais celui-là était sans doute l'un des plus fous de Paris. Et se souvenant de ce qu'elle lui avait promis de faire, à savoir l'aider à détruire le monde, elle avait décidé que si c'était lui qu'elle pourrait trouver, elle le mettrait hors d'état de nuire, ou bien ferait semblant de toujours être possédée par Anubis pour tirer quelques informations intéressantes.
Alors elle marchait, attendant désespérement de rencontrer ce tueur, en sachant que peut-être il ne viendrait jamais, et sans savoir que cette nuit, le spectacle auquel elle assisterait serait autrement différent que ce à quoi elle semblait s'attendre.

Elle arriva finalement à la droite éloignée d'une jeune femme, s'apprêtant à l'interpeller pour la prévenir d'un éventuel danger. Mais tout se précipita. Une ombre rapide se rua sur la demoiselle. Raven eut simplement le temps, par pur réflexe, de tendre sa paume en direction de l'ombre pour la stopper net grâce à son pouvoir de télékinésie.

- Attention !!! Sauve-toi, vite !!

La jeune femme ne se fit pas prier. Elle prit la fuite en hurlant. Raven maintenait son emprise, et avisa de se placer devant lui, à quelques mètres. Puis elle le détailla. Ce n'était pas Azphel. Mais c'était bien un vampire. Un vampire affamé, au regard complètement fou. Si enragé qu'elle sentait qu'elle ne parviendrait pas à l'immobiliser longtemps. Alors, en attendant que l'emprise ne cède, elle posa sa main libre sur le pommeau de son katana, prête à se défendre dès qu'il serait dans la capacité de bondir...


[HRP : Je m'attends donc à ce que la télékinésie ne fasse plus d'effet d'un seul coup à cause de ton instabilité. Je le précise pour que tu puisses agir librement par la suite.]

Sa proie n’était plus qu’à quelques mètres, et il jubilait rien qu’à penser à son tendre cou. Il avait copié les vampires du mythe quant à sa façon de boire, et avait trouvé ça parfait. D’abord, le goût de la peau sur sa langue, tandis que ses crocs la perçaient à un autre endroit, puis le sang qui coulait des trous, et qui ajoutait à la peau son goût, avant de le remplacer totalement. Un pur bonheur, et c’était comme s’il l’avait déjà dans son emprise. Elle était si proche… Il tendit la main quand…

*Que… ?*

« Attention !!! Sauve-toi, vite !! »

Il posa un regard affolé sur la personne qui venait de dire ça, jusqu’à ce que sa proie ne commence à s’enfuir.

- Que… ? NOOOON !!

Il tendait vainement la main vers la jeune femme, essayant de l’attraper alors qu’elle s’éloignait de plus en plus. Il s’obstinait quand même à essayer d’allonger son bras, se forçant à croire qu’il pourrait l’attraper.

*Reviens ici tout de suite !*

Heureusement pour elle, elle ne l’écoutait pas. Elle ne l’entendait même pas. D’ailleurs, elle semblait tellement paniquée qu’il aurait été étonnant qu’elle entende quoi que ce soit. Après tout, elle avait faillit mourir. La seule chose qui l’en avait empêchée, c’était…
Il adressa un regard des plus haineux à cette femme aux cheveux roses.

- TOI !!

Maintenant beaucoup plus concentré sur son envie de bouger que sur son envie d’attraper la fille, ses mouvements ressemblaient plus à des tremblements, mais il n’était plus aussi immobile. Toute sa force et sa rage travaillaient à le libérer de ce sort qui le rendait si vulnérable. Surtout qu’il remarquait, maintenant qu’elle était immobile en face de lui, qu’elle était armée.

Dans un grognement inhumain, il retrouva enfin sa capacité de mouvement, se lançant comme une fusée sur celle qui avait laissé filer son dîner. Bien plus rapide, il envoya son poing dans l’abdomen de son adversaire et recula immédiatement d’un bond.
Malheureusement, si Vesper n’avait pas conscience des actes de Dared, Dared, lui, savait très bien ce qui se passait. Ainsi, tout ce que maitrisait Vesper, Dared le maitrisait aussi. C’est grâce à ça que le vampire sanguinaire fit apparaître des flammes qui prirent la forme de gants autour de ses poings.

- Ton tour a marché une fois. Je ne te laisserai pas recommencer.

Il se lança alors, non pas vers elle, mais s’éloigna à toute vitesse, faisait disparaitre les flammes. Son plan consistait à faire rapidement le tour pour la surprendre par derrière. Il faisait déjà nuit noire, et elle ne pourrait sûrement pas le voir arriver.

Après plusieurs tours, il trouva une brèche et fonça pour l’attaquer dans le dos, allumant son poing au dernier moment.

*Je t’ai eu !*

Mais, comme quand il allait atteindre sa proie, il fut paralysé. Il observa avec de grands yeux ronds son adversaire. Non, ça ne pouvait pas être elle. Mais alors…

*Vesper !!*

Ce n’était vraiment pas le moment !

*Imbécile ! Elle va nous tuer !!*

*Mais toi tu ne la tueras pas !*

Vesper fit éteindre les flammes, ce qui contraint Dared a faire un bond en arrière. Pour une fois, les rôles étaient inversés, et c’était Vesper qui luttait pour prendre le contrôle, tandis qu’à l’extérieur, Dared tombait à genoux en se tenant le crâne.

- Arrêtes Vesper ! C’est mon soir, et elle va nous tuer !!

*Si ça me débarrasse de toi, qu’il en soit ainsi…*

Cet acharnement ne faisait que faire grandir la haine du sanguinaire.

Elle avait fait fuir sa proie, lui évitant ainsi une mort digne d'un chef d'oeuvre des films vampiriques tel que Nosferatu. Mais maintenant qu'elle fixait le prédateur en face d'elle, elle se demandait si elle avait bien fait d'intervenir. Elle semblait l'avoir vraiment mis en rogne. Pire que ça, elle pouvait sentir la foudre lancée par ses yeux haineux. Mais elle ne se laisserait pas intimider. Jouer avec la mort, au fond, était devenu un train-train habituel, et croyez-le ou non, le fait d'avoir une part de ténèbre en elle la faisait se sentir comme immortelle. Tout simplement parce que le diable ne laisserait pas son hôte mourir, sans quoi il disparaîtrait lui aussi pour de bon. Ainsi donc, elle lui tenait tête, gardant ses yeux d'ambre fixés sur le visage pâle du vampire, un air de confrontation brillant de mille feux, l'air de dire :

*Vas-y, approche !*

Par contre, elle ne l'aurait pas jugé si rapide. Il était dôté d'une telle vélocité qu'elle n'eut pas le temps de parer le coup qu'il lui asséna en plein dans l'estomac. Elle en eut la respiration coupée, et dans un gémissement étouffé, elle se courba sous la douleur, l'insultant de tous les noms par la pensée. Heureusement pour elle - et mine de rien, malheureusement pour lui - il feignit de s'éloigner en un éclair. Prendre la fuite ? Non, c'était trop facile. Ca sentait le piège à plein nez. Elle venait tout de même de faire fuir son repas !
Soit, elle profita de ces quelques instants de répit pour retrouver une respiration normale, sentant toutefois la colère l'envahir. Hors de question malgré tout de laisser son démon s'emparer d'elle. Se battre était un fait, ôter la vie, même d'un mort vivant, en était une autre. Trop de fois ses mains avaient été salies par le sang de ses victimes, elle se contenterait de lutter et de le mettre hors d'état de nuire.

Elle eut juste le temps de se retourner pour le voir surgir derrière elle, prêt à l'attaquer d'un poing de flammes, quand il s'arrêta net. Cette fois-ci, l'immobilisation n'était pas générée par son pouvoir. C'était comme s'il s'était stoppé lui-même. Inutile de chercher à savoir pourquoi, elle profita de son erreur pour lui envoyer un nouveau choc télékinésique qui le propulsa directement dos contre un tronc d'arbre, tandis qu'il se tenait la tête.

- Enfoiré... Tu vois, j'ai recommencé ! Ha !

Elle s'apprêtait à lui envoyer son katana en plein ventre, quand elle l'entendit déblatérer une phrase qui ne lui était visiblement pas adressée :

- Arrête Vesper ! C’est mon soir, et elle va nous tuer !!

Le lancer partit tout de même, et la lame alla se planter directement juste à côté de sa côte gauche, s'engouffrant dans un bruit sec dand l'écorce de l'arbre. C'était quoi ça ? Une crise de schizophrénie ? Pourquoi le voir ainsi, semblant si vulnérable, lui rappelait-il sa propre condition lorsqu'elle luttait pour faire disparaître Anubis de son corps ? C'était comme si... Comme si lui aussi semblait présenter le même problème qu'elle, sous forme différente. Elle le regarda avec deux grands yeux surpris, puis s'approcha d'un pas bref vers lui, les sourcils froncés, le regard dur.
Et là, à un mètre à peine de lui, elle envoya valser sa main contre sa joue violemment. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, elle demanda :

- C'est bon, t'es réveillé là ?

Aucun des deux habitants de ce corps ne fit attention au katana qui venait de se planter juste à côté de leur côte. Il n’aurait pas été là que ça n’aurait rien changé. Les deux personnalités étaient bien trop occupées à se faire la guerre, et, pour une fois, Vesper n’était pas battu d’avance.
C’était très étrange. Comment se faisait-il que Vesper arrivait à lui tenir tête ? Bien mieux. Comment avait-il réussi à reprendre partiellement le contrôle de ses mouvements ? Bon, il n’avait rien fait d’autre qu’empêcher son poing de toucher la jeune femme, mais, pour lui c’était déjà une victoire. Dared, lui, était furieux. Il le traitait de tous les noms, le regard plein de haine à son égard. Il avait le même regard que Max quand…

Les deux personnalités furent prisent pas surprise quand leur corps se prit une gifle. Tellement surpris qu’ils en tombèrent par terre, déjà qu’ils étaient à genoux.

« C’est bon, t’es réveillé là ? »

Le vampire se releva lentement, et, une fois debout face à elle, ouvrit les yeux. De beaux yeux noisettes et tranquilles remplaçaient les yeux dorés et haineux. Vesper les referma, prit une grande inspiration et les rouvrit en regardant la lune. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vue pleine de ses propres yeux ? De bonnes dizaines d’années, facilement…
Il reporta enfin son attention sur celle qui lui faisait face. Il détailla son visage, et son regard se fit reconnaissant.

- Je ne sais pas quoi vous dire… J’hésite entre « Je suis désolé » et « Merci ».

Vesper se retourna et posa la main sur la garde du katana pour l’extraire de l’écorce. Il le tendit ensuite à son interlocutrice.

- Je m’appelle Vesper… « L’autre » c’est Dared.

Il planta son regard dans le sien, avec une pointe de mélancolie.

- … Je vais mourir ?

Il avait prononcé cette phrase tellement naturellement que c’en était effrayant.

Une fois de plus, elle faisait face à une situation qu'elle connaissait très bien. Pire que ça, elle avait l'impression de se voir à sa place, comme le soir où elle avait complètement perdu les pédales, et qu'elle avait remercié celui qui l'avait assomée. C'était une sensation à double tranchant, à la fois rassurante, parce que finalement, elle n'était pas la seule à avoir un problème, mais aussi complice, parce qu'elle ne savait que trop bien ce qu'il pouvait ressentir à cet instant précis. Lui, vampire. Elle, chasseuse. Cette situation lui rappelait encore une fois qu'un être avait beau avoir des pouvoirs, il n'en restait pas moins aussi vulnérable qu'un humain. Au fond, leur faiblesse à tous les deux, c'était eux-mêmes. Très dangereux, certes, mais également trop agressifs pour réfléchir avant d'agir. Faiblesse, mais aussi pire ennemi. C'est vrai, combien de fois avait-on vu la danse se répêter ? La lutte des consciences, une sorte de bipolarité en quelque sorte. Allez vous battre contre vous-mêmes, tiens, c'est une tâche quasi-impossible à réaliser. Seuls les héros échappent à un destin tragique, les autres, comme Raven, ne peuvent éviter la fatalité. C'est, déraisonnablement, ce qu'on appelle la vie.

Elle se saisit du katana lorsqu'il le lui tendit, restant sur ses gardes, extrèmement méfiante. Le fait qu'il se présente lui laissait deux possibilités : soit il avait retrouvé ses esprits, et était à présent "inoffensif", soit il lui faisait un coup de bluff, pour tenter se lui faire baisser sa garde, et bondir à nouveau. Le changement de couleur de ses yeux pouvait lui aussi être une ruse, après tout.
Enfin, elle ne fut certaine qu'elle ne risquait plus rien qu'à l'instant où il lui demanda si il allait mourir. La phrase en elle-même n'était pas une preuve, c'était plutôt l'expression de son regard qui la persuadait. Même en étant un bon comédien, on ne peut pas jouer autant du regard comme ça, et elle savait de quoi elle parlait. Observatrice comme elle l'était, elle aurait vu s'il y avait une faille à son jeu de scène. Seulement, il n'y avait rien d'autre qu'une profonde amertume mélancolique dans ses yeux, ni plus ni moins qu'un arrière goût de regrets.

- Pourquoi je te tuerais ?

Elle rangea son sabre à ces mots, sans le quitter des yeux. Puis elle entreprit de l'observer longuement, silencieusement, avec détails. Honnêtement, il avait l'air aussi misérable qu'elle quand elle avait été à sa place. Elle soupira, puis dit :

- Je m'appelle Raven.

Le bois était redevenu aussi calme que lors de ces nuits tranquilles et silencieuses. Ne restait que la lune en témoin de leur rencontre.

Quand elle se saisit de son arme, le fil de la lame entailla légèrement le majeur du vampire qui n’y fit d’abord pas attention. Il se présenta d’abord, puis lui demanda si elle allait le tuer tout en observant la moindre de ses réactions. Si elle semblait toujours sur ses gardes après la présentation, sa dernière phrase avait l’air de l’avoir… rassurée.

« Pourquoi je te tuerais ? »

Chose qu’il ne remarqua pas tout de suite, elle l’avait tutoyé. Puis elle rangea son sabre, et l’observa en silence. Lui, décida de lui répondre – puisqu’elle s’était lancée sur cette voix – en la tutoyant aussi :

- Pourquoi pas ? J’ai faillit tuer deux personnes ce soir, et tu en fais partie. Aujourd’hui, certains tentent simplement de m’abattre à vue. Alors je me demande bien pourquoi pas toi.

La mélancolie l’avait quitté. Il avait repris son expression habituelle, celle qui ne laissait rien passer. Il avait cependant un peu de reconnaissance dans le regard pour cette jeune femme plutôt mignonne qui venait de lui laisser une chance de ne pas mourir sans être compris. De son côté, il essayait de lire en elle. Quelque chose lui disait que si elle ne l’avait pas tué, si elle avait compris qu’il n’était pas « seul », c’était parce qu’elle connaissait ces choses. Il se demanda si, elle aussi, avait sa part d’ombre

« Je m'appelle Raven. »

Il salua sa présentation d’un signe de tête, avant d’ajouter un « Enchanté ». Il observa Raven un moment, avant de sortir une cigarette. Ou plutôt, d’en chercher. Il fouilla toutes ses poches, intérieures comme extérieures, avant de soupirer.

- Il aurait au moins pu prendre un paquet avant de sortir… marmonna-t-il.

Il releva ensuite les yeux vers Raven et la dévisagea. Il ne pensait pas qu’elle fumait, et quand bien même ce fut le cas, il n’allait pas lui demander de cigarette. Ce n’était pas non-plus une obligation pour lui, il aimait simplement avoir quelque chose dans la bouche, et trouvait le goût agréable. Et puis surtout, ça faisait plus classe qu’une sucette. M’enfin, passons…

- Hum… Je peux vous inviter à boire un verre ? Ou vous avez autre chose de prévu ?

Honnêtement, il était presque sûr qu’elle refuserait. Après tout, c’était une chasseresse et lui un vampire. Et quand bien même il avait été humain, elle devait encore avoir du « travail ». Il aurait pu lui proposer son aide, mais il avait déjà bien assez de morts sur la conscience pour prendre part au conflit hybrides-chasseurs. D’autant moins s’il comptait aider une chasseresse alors que ses collègues le pourchassaient.
Alors il avait opté pour quelque chose de plus simple. Parce qu’il n’avait pas envie de la laisser partir. Parce qu’il pensait qu’en apprendre plus sur elle ne pouvait qu’être bénéfique…
Et puis peut-être aussi un peu pour ses beaux yeux…

Un léger sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'il émit la possibilité qu'il la tue. Honnêtement, elle n'aurait pas parié sur sa mort. Il en fallait bien plus pour l'abattre, la preuve, malgré toutes les épreuves qu'elle avait enduré, elle était encore en vie aujourd'hui. Elle avait vu en quelque sorte de quoi il était capable sous son mauvais jour, mais lui n'avait assisté qu'à une infime étendue de son pouvoir. Si la situation était devenue trop alarmante, elle n'aurait pas hésité, et de toute façon elle n'aurait pas eu le choix très longtemps, elle se serait laissée submerger par la puissance d'Anubis.

- Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, dit-elle simplement pour lui faire comprendre qu'il ne l'aurait pas eue si facilement. Personne n'est mort, reprit-elle en relâchant ses cheveux afin de les rattacher convenablement, et ce que tu fais de tes nuits ne me regarde pas.

Certes, elle l'avait empêché de faire une victime de plus ce soir, mais elle savait au fond d'elle que ce n'était pas pour sauver la jeune femme qu'elle avait agi, plutôt pour être sûre qu'au fond il lui échapperait pas, et peut-être aussi pour qu'il ne la rende pas complice d'un meurtre alors qu'elle avait déjà beaucoup trop de sang sur les mains. Ce qu'il faisait, le nombre de personnes qu'il tuait, elle s'en fichait pas mal. Elle n'était ni de la police, ni héroïne, ni élève de Dieu. Enfin, cette dernière, elle l'avait été pendant un temps, mais c'était fini. A présent elle était plus une paria qu'autre chose.

Enfin, elle continua de l'observer par la suite, le détaillant plus intensivement cette fois-ci, prenant le temps de s'attarder sur ses traits, de dresser son portrait physique maintenant qu'elle avait eu un aperçu de son portrait psychologique. Il avait le charme du vampire quoi, c'était un bel homme. Elle ne fit pas attention à ce qu'il marmonait pour lui-même. Néanmoins, elle reconcentra son regard d'ambre dans ses yeux noisettes lorsqu'elle entendit les mots suivants :

- Hum... Je peux vous inviter à boire un verre ? Ou vous avez autre chose de prévu ?

Elle cligna plusieurs fois des yeux, encore incrédule de ce qu'elle avait entendu. Quelqu'un de normal aurait littéralement explosé de rire, ou bien aurait pris panique. Mais voilà, Raven était loin d'être normale. Et, bien que surprise, elle se contenta d'esquisser un sourire du coin des lèvres.

- T'as du culot de me demander un truc pareil !

Puis elle prit la direction de la sortie du bois de Boulogne, s'arrêta un instant, se retournant vers Vesper, un nouveau sourire, bien que léger, aux lèvres.

- On va où ?

Comment ça, ça ne la regardait pas ? Elle n’était pas chasseresse ? Si c’était le cas, elle aurait dû s’en soucier. Quoique, Vesper commençait à se demander si les chasseurs ne cherchaient pas plutôt à satisfaire leur envie de sang en se retournant contre les hybrides plutôt qu’à protéger les humains. Heureusement, il en restait qui se considéraient simplement comme des protecteurs. Ceux-là, il préférait les fuir. Non pas qu’il les craignait, mais il ne voulait pas leur faire de mal. Quel comble, quand même, que les seuls chasseurs que le vampire tenait à garder en vie étaient ceux qui le traquaient avec le plus d’ardeur.

Raven le détailla avec précision, et il en fit de même. Pourquoi ne le ferait-il pas, après tout ? Ils étaient l’un et l’autre muets, il n’allait pas regarder ailleurs. La couleur de ses yeux et de sa chevelure était assez étrange, il fallait dire. Pas très banal, tout ça… Mais ça lui allait plutôt bien.

Le clignement d’yeux de Raven l’amusa assez, mais il ne le laissa pas paraitre. En y repensant, lui proposer de boire un verre alors qu’il venait plus-ou-moins d’essayer de la tuer, ça pouvait paraitre étrange. Et elle le lui fit remarquer d’un beau :

« T'as du culot de me demander un truc pareil ! »

Mais si cette phrase aurait normalement dû le déstabiliser, qu’elle soit accompagnée d’un sourire l’en empêcha.

- Il en faut, ne serait-ce qu’un peu, dans la vie.

Le coin de ses lèvres s’étira dans un très léger sourire, et, quand elle se retourna, il ne paniqua pas. De toute façon, si elle voulait partir, il ne pouvait pas la faire rester. Les mains dans les poches, il l’observa silencieusement d’abord s’éloigner, puis s’arrêter et se retourner vers lui. Ce sourire voulait tout dire, et la question qui suivit n’avait même pas lieu d’être. Du moins, tant qu’on la prenait dans le sens « J’accepte que l’on boive un verre ensemble ». Après, il fallait réellement se pencher sur la question. Où aller…

- J’aurais bien dit au Midnight, mais c’est un peu loin je pense. Alors…

Il s’avança pour arriver à son niveau, et regarda un peu plus loin. Il devait bien y avoir une brasserie dans le coin…

- Alors c’est comme tu veux. On va jusqu’au Midnight ou on s’arrête au premier bar venu ?

Il reposa son regard sur cette compagne inattendue. La lune l’éclairait joliment, et il ne put s’empêcher de sourire face à cette beauté mystérieuse.

Elle attendit qu'il arrive à son niveau tout en l'écoutant proposer d'aller au Midnight. Elle soupira intérieurement. Le Midnight... Encore... Non, elle n'avait pas vraiment envie d'y mettre les pieds. Marcher à travers la capitale ne la dérangeait pas le moins du monde, mais elle préférait aller n'importe où, sauf là. Le Midnight était certes connu pour être le bar en vogue qui regroupait toutes les races surhumaines, mais ça faisait aussi de cet endroit le lieu numéro en repérage. Avec tous les chasseurs qui y trainaient, et depuis qu'elle avait revu Evan, la seule fois où elle y était retournée c'était dans le but de voir Raphaël. Et de plus, maintenant qu'elle n'était plus "seule", il valait mieux pour elle qu'elle se fasse toute petite, et que par conséquent elle ne traine pas dans des lieux aussi fréquentés.

Quoiqu'il en soit, elle évita de l'informer qu'elle ne voulait surtout pas mettre les pieds au Midnight car c'était devenu trop dangereux pour elle, elle se contenta de garder une expression impassible, tout en répondant :

- Il y a un petit bar sympa pas très loin d'ici.

Après quoi elle se mit en marche. Et tandis qu'ils sortaient du bois pour se diriger vers le Châlet des Iles, le bar où Raven comptait se rendre en sa compagnie, elle ne pouvait s'empêcher de penser à ce qu'il faisait ici chaque soir qu'il venait. D'un ton ironique, elle fit la remarque suivante :

- Tu sais, à force de bouffer des prostituées, c'est leur mac que t'auras le plus aux trousses, pas les chasseurs. Et leurs clients tant qu'à faire, tiens.

C'était à la fois une façon de le prévenir qu'une façon de le taquiner. Elle reprit :

- Enfin, avec la vitesse que tu sembles avoir, pourquoi tu ne cherches pas de proies plus... attrayantes ?

Aussi étrange que cela pouvait paraître, ce sujet l'intéressait vraiment. C'était peut-être déplacé de sa part, mais il allait finir par comprendre rapidement que Raven avait un franc parlé certes déconcertant, mais direct. Au moins, elle ne passait pas par quatre chemins.

Pendant ce temps, ils continuaient de marcher, éclairés par la lune, puis ils bifurquèrent à un coin de rue, et la rousse pointa un châlet de l'autre côté d'un lac.

- C'est là.

Il suivit la rousse lorsqu’elle se mit en marche, les mains dans les poches. Il se demandait toujours ce qu’elle était, mais ne le laissait pas paraître. Alors, il se força à penser à autre chose. A ce « petit bar sympa pas très loin d’ici », par exemple. A quoi ressemblerait-il ? Est-ce que l’alcool y serait bon ? Et surtout, est-ce que ça serait cher, ou non ? Après tout, s’il avait réussi à trouver du travail très récemment, il ne roulait toujours pas sur l’or…

« Tu sais, à force de bouffer des prostituées, c'est leur mac que t'auras le plus aux trousses, pas les chasseurs. Et leurs clients tant qu'à faire, tiens. »

Ces mots le tirèrent de ses pensées futiles, en lui arrachant aussi un soupir. Il adressa un regard blasé à cette compagne inattendue, tandis qu’elle continuait.

« Enfin, avec la vitesse que tu sembles avoir, pourquoi tu ne cherches pas de proies plus... attrayantes ? »

- Tu sais, si ça ne tenait qu’à moi, je ne chercherais même pas de proies.
Enfin… Plus maintenant…

Il enfonça encore plus ses poings à présent serrés dans ses poches. Cela faisait quelques temps qu’il n’avait pas pensé à sa vie d’avant, qu’il ne s’était pas demandé comment ça se serait passé s’il n’avait pas tenté de vérifier les mythes. Fred serait toujours en vie, Max serait toujours son ami, sa vie ne serait pas si dénuée de sens…
D’un autre côté, il avait aussi fait des rencontres qu’il n’aurait jamais faites si sa vie était restée la même. Mais est-ce que ça en avait vraiment valu la peine ? Au final, il était resté tout seul, et le serait sûrement pour l’éternité…
C’était le genre de pensées qui accompagnaient chaque nuit de pleine lune, depuis des décennies…

Dans sa réflexion intérieure, il ne fit pas attention par où ils passaient. Il se contentait de suivre la rousse, jusqu’à ce qu’elle pointe une assez belle bâtisse, plus agréable à voir pour lui que la plupart des immeubles visibles dans Paris.

« C’est là. »

Il vérifia tellement rapidement s’il avait de l’argent sur lui qu’on vit à peine sa main sortir et re-rentrer dans sa poche. Rien ne lui manquait, tant mieux.

Il ne restait plus qu’à entrer dans ce chalet.

Suite du RP Ici.