Chez lenou [pv Raven]

Le trou noir, véritable phénomène qui vous octroie tout souvenir, comme le lendemain d'une soirée beaucoup trop arrosée, qui se serait limite terminée par un coma. Pourtant bien endormie, ou plus explicitement complètement dans les vappes, ce n'était ni rêve ni cauchemar qui remplissaient son subconscient, mais bel et bien un vide sans fin. Elle avait pourtant l'impression de se sentir revenir à la réalité, mais impossible d'ouvrir les yeux, elle était encore trop assomée pour ça. Néanmoins, elle sentait les mouvements, comme si on était en train de la déplacer. Elle sentait la douleur aussi. Qui sait ce qui était en train de se passer, ce qu'on faisait de son corps inerte. Et quelle tare d'avoir l'esprit éveillé alors que votre propre corps ne réagit plus. Elle se sentait tétraplégique. Oui, c'était ça, à cet instant précis, elle comprenait ces pauvres personnes à l'avenir condamné, elle concevait parfaitement qu'ils aient pu vouloir leur propre mort. A différence qu'elle, elle finirait par se réveiller, du moins normalement. Où, quand, comment ? Elle n'en avait aucune idée, mais au moins, elle aurait l'usage de son être.
Mais contre toute attente, elle finit par s'endormir de nouveau, cédant aux attraits enjoleurs des ténèbres. Pas la peine de résister, ça n'aurait fait qu'aggraver son cas. De toute façon, pour ce soir, elle ne se sentait plus d'attaque à lutter encore et encore. Alors autant sombrer...

Ses paupières se soulevèrent finalement, dans un effort difficile, semblant supporter un poids trop important. Elle s'appuya de son bras valide sur le matelas, qu'elle apparenta à un sol mou pour le coup puisqu'elle n'avait pas encore pris conscience qu'elle était dans un lit. Une douleur lancinante frappa sa nuque, elle retomba automatiquement contre l'oreiller, les traits crispés par cette souffrance aiguisée. C'est là qu'elle se rendit compte où elle était, puis elle tourna faiblement son visage en direction de l'homme brun du combat, assis sur une chaise, à distance respectable, et l'écouta.

- Si vous vous demandez ou nous sommes, vous êtes chez moi quelques part dans le sud de Paris. J'ai préféré vous ramener ici que de vous laisser sans connaissances dans le coin, surtout qu'il y avait bien plus de chasseurs que ce que nous pensions. Et visiblement ils vous en voulaient bien plus qu'à moi.

Elle entreprit se redresser de nouveau, mais bien lentement cette fois-ci. Elle s'adossa contre l'oreiller, et passa une main dans sa nuque douloureuse, tandis qu'il reprenait :

- Je m'appelle Allen. Pas la peine de vous cacher que je suis un hybride...Ni de me cacher que vous en avez surement tué pas mal des comme moi. A vrai dire...J'aurai simplement aimé que vous me touchiez deux mots sur ces fanatiques qui nous ont agressé...Je ne vous y oblige pas vous êtes libre de partir comme bon vous semble...Seulement j'aimerai que vous le fassiez sans violence, j'aimerai épargner un spectacle aussi violent que celui de la ruelle a la fille que j'héberge temporairement chez moi.

- Eh bien, Allen, je crois que vous m'avez brisé quelques os...

Et pourtant, pas une once de reproche dans sa voix. Elle posa son regard ambré dans le sien, et reprit :

- Mais je vous en remercie..

Elle se souvenait parfaitement de ce qui s'était passée, du moins, faute de netteté totale, elle imaginait tout à fait quel chemin avait pu prendre la situation précédente. S'il l'avait amenée chez lui, malgré tout le danger qu'elle représentait, c'est que ce n'était pas un ennemi. Et bien sûr, elle comprenait parfaitement qu'il attende une multitude de réponses à ses interrogations.
Elle entreprit alors de l'éclaircir sur le sujet, c'était la moindre des choses pour l'avoir embarqué dans ce traquenard :

- Je suis actuellement recherchée par des chasseurs, car j'ai fini par renier leur Ordre. Je faisais effectivement partie de leur communauté il y a de ça quelques années, et ils n'avaient pas cherché à me retrouver jusqu'à présent. Seulement.. Il s'est produit quelque chose qui ne leur ait plus inconnu.. Les chasseurs agissent sous les ordres de Xander, ce sont des religieux qui considèrent les hybrides et les vampires comme des erreurs de la nature. Certains sont moins intransigeants, d'autres seraient prêts à effectuer un véritable génocide pour s'en débarrasser.

Elle marqua un temps d'arrêt, puis reprit :

- Je devine facilement que vous avez choisi Paris en exil, mais vous auriez mieux fait de ne jamais mettre les pieds ici, c'est bien plus dangereux qu'il y a quelques années.

Elle estimait lui en avoir assez dit, s'il avait d'autres questions, il n'aurait qu'à les poser. Elle observa son bras, soigné, et passa sa main dessus. Un semblant de sourire sembla illuminer ses lèvres :

- Je dois avouer que je ne vous suis pas cependant, pourquoi m'avoir soignée et amener ici, alors que je représente une menace pour vous ?

Visiblement, son hôte doutait qu'elle ait quelque chose de cassé. Mais si on se basait sur la douleur qu'elle semblait ressentir, ce résultat ne pouvait être fondé. Cela faisait longtemps que Raven avait appris à minimiser la douleur, du moins, à mieux la supporter. Alors, quand bien même un homme ressentirait la douleur d'une fracture, elle ne sentirait que l'effet d'une entorse. Enfin, de toute façon, elle se sentait surtout sonnée. Pour autant, elle ne put s'empêcher de lui faire une remarque :

- La douleur est une violence qu'on apprend à supporter à force de combat. Vous m'auriez fracturé le tibia, je ne croirais qu'à un simple déchirement musculaire. Enfin...

Toutefois, cela ne l'avait pas empêchée de le remercier de l'avoir assomée. Elle aussi aurait trouvé ça extrèmement troublant, et à voir son regard il devait certainement se demander comment est-ce qu'il était possible qu'elle le remercie pour ça. Mais... Peu importe les façons d'arrêter un crime involontaire, on est toujours reconnaissant d'une personne qui vous empêche de réaliser un acte criminel sous l'effet de la folie. Pour le coup, elle se sentit d'autant plus soulagée qu'elle n'était plus dans l'état de frénésie dans lequel elle avait été au cours de la soirée, sans quoi, douleur ou pas, elle aurait certainement bondi sur Allen pour lui refaire le portrait. Visage qu'il aurait été dommage d'abîmer, même si pour le moment, elle n'était pas d'humeur à détailler le moindre de ses traits pour en arriver à cette conclusion.

Par la suite, il sembla vouloir s'excuser pour ce coup nécessaire. Puis Raven se mit à lui expliquer tout un tas de trucs sur Xander et ses moutons.

- Erreurs de la nature...

Même si la répétition de ces mots ne lui était pas destinée, Raven ne put s'empêcher de baisser les yeux. Elle-même avait considéré les hybrides comme tels pendant un temps. Un temps où elle n'avait que le mot "vengeance" à la bouche. Finalement, le fait qu'elle perde la mémoire lui avait fait retrouver une certaine part d'humanité. Maintenant, elle n'avait plus rien contre les hybrides, même après redécouvert que la raison pour laquelle elle avait rejoint l'Ordre divin était que son frère était mort des actions d'un hybride. Toute la haine qu'elle avait pu ressentir vis-à-vis des mi-hommes, mi-animaux, était désormais concentrée sur cet enfoiré d'hybride tortue, ainsi que sur ses parents qui avaient leur part de responsabilité dans toute cette histoire.
Après quoi, elle avait chassé ses mauvaises pensées pour s'intéresser à son hôte.

- Je sais bien que Paris n'était plus la ville tranquille pour les hybrides qu'elle étaient autrefois. Je n'aspire pas à une vie tranquille, je suis juste partit pour protéger quelqu'un de moi.

Raven arqua un sourcil à cette révélation. Protéger quelqu'un de lui-même ? Mais le protéger de soi par rapport à quoi ? Un instant, elle supposa que peut-être il était recherché par un gang, ou par un autre truc complètement cinématographique, puis elle se résilia à penser de façon aussi stupide. Bizarrement, Allen n'avait rien d'un malfaiteur, au contraire, il dégageait quelque chose de plus sain, et d'appaisant. Alors, le danger devait venir de lui-même, de son propre corps, indépendemment certes, mais de son existence tout de même. Un peu comme elle au fond...

- Je suis surement un cas a part chez les hybrides...Mon coté animal à la fâcheuse tendance a prendre le dessus quand ca lui chante pour faire ce qu'il lui plait. Et en permanence je le sens me communiquer certaines choses. Au premier contact il n'a pas bronché...Quand j'ai été obligé de vous assommer il était affolé. Ca ne sont que des impressions, mais sur le coup j'ai pensé que la menace n'était pas véritablement vous...Plutot "l'autre".

Raven l'écouta attentivement, et sursauta à la fin de sa phrase. C'est ce moment qu'avait choisi la jeune femme qu'Allen hébergeait pour entrer. Incrédule, et légèrement choquée, elle mit un temps avant de se saisir des médicaments et du verre d'eau. Elle réussit à articuler un remerciement à l'attention d'Allen et de la jeune femme. Mais comment avait-il deviné ? Ce n'était pourtant pas une évidence ! Et comment pouvait-il se montrer aussi naïf alors qu'elle aurait pu lui ôter la vie ? Il venait de déclencher en elle une véritable tempête de conscience. Est-ce que la différence entre ses deux "personnalités" était aussi flagrante que ça ? Elle qui pourtant s'était juré de ne jamais montrer son deuxième visage à quelqu'un qu'elle aurait laissé vivant...

- Tenez...Vous pouvez rester le temps qu'il vous faudra pour vous remettre. Peu de chance qu'on vous retrouve dans ce quartier, et la personne la plus dangereuse ici c'est la concierge que je soupçonne d'être un hybride serpent tellement ses yeux sont d'une froideur a glacer le sang.

A vrai dire, en temps normal, elle aurait certainement souri à sa plaisanterie, mais, cela eut l'effet inverse. Au lieu d'esquisser un sourire, Raven se laissa envahir par les larmes, et ne put les contenir. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas cédé au chagrin qu'il lui était désormais impossible de les retenir plus longtemps. En silence, elle laissa donc couler des filets d'eau le long de ses joues, une main posée sur son front, se tenant la tête comme si elle venait de faire une bêtise mémorable et irréparable. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle pleurait au fond... C'était certainement dû à l'humanité dont Allen avait fait preuve à son égard malgré les circonstances de cette soirée. N'osant plus le regarder, elle tenta de parler, en dissimulant comme elle pouvait ses sanglots, elle ne tenait pas vraiment à ce qu'il la voit ainsi.

- Je... Je suis désolée... De vous avoir causé tous ces problèmes. L'homme à la voiture et vous, sembliez ignorer beaucoup de choses à propos des chasseurs. Maintenant... Ils chercheront à se venger, c'est certain...

Elle se tut, sentant que la pression était trop grande, et murmura pour elle-même :

- Décidément, tu n'es qu'une bonne à rien Raven...

Elle se souviendrait longtemps de cette rencontre. Il l'aurait d'abord vue sûre d'elle-même, puis complètement illuminée, voire sanguinaire, pour enfin la voir aussi misérable... S'il y avait eu un trou dans lequel elle aurait pu disparaître, elle s'y serait glissée bien volontiers.

En temps normal il aurait pris la remarque de manière assez sarcastique en ajoutant que même sans se baser sur la douleur que provoquait le cassement d'un os, il fallait être totalement idiot pour confondre une cassure et une entorse...Avoir un os cassé était en tout point, et bien au delà de la douleur, différent de se faire en entorse. C'était comme ne pas faire la différence entre se bruler la main avec un fer a souder et se la bruler avec une allumette. On pouvait apprendre a supporter la douleur...Pas a en changer sa nature et encore moins sa cause. Et pour reprendre son propre exemple avoir le tibia brisé en deux et avoir le muscle de ce dernier déchiré, sont tout les deux des douleurs atroces, a la seul différence qu'avec un muscle déchiré il est impossible de se déplacer. Ce qui faisait de son exemple un parfait contre exemple de ce qu'elle voulait avancer. Mais voilà Allen n'était pas de ceux qui aime exhiber la petite bête, et étant donné qu'il avait parfaitement saisi ce qu'elle avait voulu dire il se contenta d'en tirer la conclusion que ce n'était pas sa première blessure du genre. Elle semblait bien plus jeune que lui d'au moins 5 ou 6 ans et pourtant elle parlait comme si elle avait déjà vécu la guerre, et sur le front en plus. Lui aussi avait sa petite expérience de la douleur liée a ce sport de combat qu'il avait pratiqué...Bien qu'il fallait être honnête il n'était jamais ressorti du ring avec une blessure grave, il avait du travailler son endurance aux coups de lui même en se faisant délibérément frapper durant des sparings.

Allen avait eu peur lui aussi de la voir se réveiller dans un état proche de l'hystérie, mais si jamais elle avait eu la folle envie de se jeter sur lui pour lui refaire le portrait, elle aurait surement eu la surprise de sa vie. Enfin seulement dans l'optique d'un combat a mains nues, si elle avait dégainé le katana qui faut il le rappeler était toujours à coté d'elle il se serait retrouvé dans une situation bien délicate. Le sabre devait être une extension du bras, fallait il en conclure pour autant que se battre contre un bretteur c'est se battre contre un boxeur avec un bras très long et un flickers très incisif. Elle n'était pas en état de se battre, lui pas vraiment non plus. Elle semblait surprise qu'il soit arrivé à deviner qu'elle n'était "pas toute seule", il n'avait jamais eu ceci comme certitude...Mais plus comme une sorte d'impression. L'impression qu'il était impossible que la même personne puisse faire peur a ce point a son coté animal, alors que quelques instants avant il en aurait fait de la bouilli. De plus elle avait aussi réussi a effrayer l'homme à la mercedes, Allen ne pouvait pas véritablement savoir si c'était un exploit ou pas, mais vu comment ce dernier avait réagit face a deux hommes voulant sa mort...Mais sa réaction prouvait qu'il avait vu juste, qu'elle était comme lui quelqu'un qui ne pouvait pas cacher et même pire que ca, ne pouvait pas lutter contre ce qu'elle avait de plus noir en elle. Et bien que ce soit totalement illogique et dangereux c'était peut être ce qui l'avait définitivement poussé a l'aider. Quand au fait de lui soutirer la vie...Bah elle ne pouvait pas savoir de quel bois il était fait elle ne savait rien de lui.

Bien évidemment il comprenait aussi qu'elle ne puisse pas comprendre en quoi être éloigné de lui pouvait rendre service. Elle n'avait rien vu, elle ne savait rien de la situation des hybrides a Londres sans aucun doute. Il était parti non pas pour éviter d'être retrouvé tué dans une ruelle sombre...La même chose pouvait a tout instant lui arriver ici aussi, mais au moins personne ici ne pourrait remonter jusque sa mère. En Angleterre il était bien trop connu, il aurait suffit qu'on le voit sortir de chez lui pour qu'en rentrant des types lui tombent dessus pour lui faire la peau ainsi que celle de sa mère. Alors quand il disait protéger quelqu'un de soit, ca n'était pas parce qu'il allait lui faire la peau...Mais parce qu'a cause de lui un jour on lui aurait fait la peau. Puis dans une réaction qu'il était a des années lumières d'imaginer, elle se mit a pleurer. Avait-il dit ou fait quelque chose de mal ? N'aurait il du pas parler de ce qu'il lui avait semblait découvrir ? Il était un sacré maladroit et n'avait jamais réussi a garder un seul ami bien longtemps, car il est assez difficile de tenir quelqu'un près de soit tout en l'empêchant de trop s'approcher. Aussi n'aurait il pas étonné d'avoir fait quelque chose de mal.

Je... Je suis désolée... De vous avoir causé tous ces problèmes. L'homme à la voiture et vous, sembliez ignorer beaucoup de choses à propos des chasseurs. Maintenant... Ils chercheront à se venger, c'est certain...

Alors qu'en fait c'était l'inverse, il avait fait quelque chose de bien et de façon inattendue. Elle pleurait d'émotion, et il eu la confirmation qu'elle était seule et dans une sale situation depuis bien trop longtemps. Il se passa une main dans les cheveux un peu gêné, il aurait préféré ne pas la voir pleurer autant qu'elle aurait voulu qu'il ne la voit pas. Il était totalement incapable de trouver les mots à dire, il se sentait tout simplement de trop et pourtant il ne pouvait se résigner a la laisser seule dans sa merde. Surement parce qu'il était pareil, ne connaissant personne ne pouvant encore faire confiance en personne. Il ne savait pas s'il pouvait lui faire confiance a elle, après tout elle pouvait très bien jouer un très beau double jeu. Mais alors il aurait eu la confirmation que les chasseurs étaient vraiment timbrés.

Oui...Il est bien possible que cet homme et moi on se soit jeté dans les ennuis sans trop réfléchir. Mais si j'ai bien saisi être un hybride me met déjà d'office dans les ennuis ici. Et comme je ne comptais pas vivre caché en permanence, passer le message de ma présence de cette façon me semble n'être pas plus mal. Ne vous en voulez pas pour ce qui est arrivé, vous ne nous avez rien demandé s'ils venaient à s'en prendre à nous, nous sommes les seuls à qui nous pourrons nous en prendre. Je ne sais pas pour l'homme à la voiture...Mais en ce qui me concerne n'allait pas croire que je sois un petit morceau.

Allen n'était pas du tout du genre à mettre sur le dos des autres les conséquences de ses propres choix. Il avait choisi de prendre parti, il avait beau retourné la situation dans tout les sens il était le seul fautif. Et pour terminer même s'il venait de déclarer assez prématurément a ses ennemis sa présence, cela avait eu un effet positif. Car lui aussi maintenant savait contre quoi il allait devoir lutter pour vivre, et il avait fait une double rencontre. C'était peut être rien, peut être ne reverrai-t-il jamais le type avec les cheveux bizarres, peut être qu'une fois qu'elle sortirait d'ici elle disparaitrait de sa vie a jamais. Mais l'espace d'un instant ils avaient risqué leur vie a trois, et il c'était senti moins seul.

Décidément, tu n'es qu'une bonne à rien Raven...

Elle avait besoin d'être un peu seul peut être. Elle se sentait coupable c'était compréhensible même si c'était déplacé. Elle pouvait utiliser ce lit, et rester aussi autant de temps que ca lui chanterait de toute façon cet appart était bien trop grand, encore aujourd'hui Allen se demandait ce qu'il lui était passé par la tête en prenant un espace aussi vaste lui qui déteste faire le ménage. Quand il se leva pour prendre congé il sentit ses cotes bouger très légèrement, un léger sourire se dessina sur ses lèves en pensant à tout ces hommes a qui l'avait fait pareil sans jamais savoir ce que ca faisait d'avoir quelque chose de brisé ici.

Je vais vous laisser seul un petit instant. Vous avez besoin de repos je pense. Faites ici comme chez vous, si jamais vous avez besoin de quelque chose n'hésitez pas a venir me le demander.

Il lui adressa un dernier sourire un peu nuancé par la douleur de ses cotes, encore heureux qu'il avait passé ses dernières années a se prendre des coups, sinon il aurait pleuré avec elle. Elle avait besoin de sommeil, lui avait besoin de se calmer. La bête en lui n'arrêtait pas de gronder depuis l'accident dans la rue, et il n'y avait pas tant que ca de méthode pour le calmer...Lui donner ce qu'il voulait et en quantité ce qui était la méthode impossible, et la musique en particulier ce piano qu'il n'aimait pas vraiment. C'était sa mère qui l'avait forcé a apprendre le piano, en disant que c'était un instrument qui réclamait qu'on y mette tout son être. Ainsi donc s'il venait à perdre le contrôle, il serait bien obligé de le reprendre pour jouer. Cet instrument était une autre de ses chaines qui l'attachait à ce monstre. Il prit place sur le petit tabouret, ferma les yeux tout en essayant de ne pas écouter ce tonnerre de rugissements qu'il était le seul à entendre. Et il commença...

(pour les curieux:

Oui...Il est bien possible que cet homme et moi on se soit jeté dans les ennuis sans trop réfléchir. Mais si j'ai bien saisi être un hybride me met déjà d'office dans les ennuis ici. Et comme je ne comptais pas vivre caché en permanence, passer le message de ma présence de cette façon me semble n'être pas plus mal. Ne vous en voulez pas pour ce qui est arrivé, vous ne nous avez rien demandé s'ils venaient à s'en prendre à nous, nous sommes les seuls à qui nous pourrons nous en prendre. Je ne sais pas pour l'homme à la voiture...Mais en ce qui me concerne n'allait pas croire que je sois un petit morceau.

Allen avait beau la rassurer, lui dire qu'elle n'y était pour rien, elle ne pouvait s'empêcher de culpabiliser. Pourtant d'ordinaire, elle aurait été du genre à n'en avoir rien à faire et à ne pas de préoccuper de ce qu'il leur serait arriver puisqu'elle ne les connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Mais là... C'était différent. Ils avaient combattu ensemble, et lutter contre un ennemi commun. "L'ennemi de mon ennemi est mon ami." Est-ce qu'on pouvait en conclure cela pour autant ? Non... Le seul ami que Raven avait était également son ennemi, et il semblait avoir disparu de la circulation depuis un bon moment. Peut-être qu'il était même mort au fond, que ses élans de pouvoirs avaient eu raison de lui. Qui sait... Enfin bon, ce n'était pas le moment de penser à Evan.

Je vais vous laisser seul un petit instant. Vous avez besoin de repos je pense. Faites ici comme chez vous, si jamais vous avez besoin de quelque chose n'hésitez pas a venir me le demander.

Elle s'était retrouvée seule dans la pièce après ces mots. Puis, plus rien. Silence. Jusqu'à ce qu'une mélodie ne vienne tinter à ses oreilles. Elle reconnaissait parfaitement les notes jouées. C'était son instrument de prédilection, le piano. Est-ce que c'était lui qui jouait ? Ou avait-il mis un peu de musique juste comme ça ? Quoiqu'il en soit, le fait qu'elle se concentre sur la mélodie pour percevoir chacune des notes qui s'élevaient eu don de la faire arrêter de pleurer. Dans son écoute attentive, elle balaya même instinctivement l'eau sur ses joues d'un revers de bras. Puis elle se leva machinalement, comme si sa curiosité voulait reprendre le dessus. Elle se dirigea d'un pas robotique vers la porte, abaissa la poignée pour le morceau de bois s'entrebaille, et s'appuya dans l'encadrure en l'observant. C'était bien lui qui jouait. Et cela semblait avoir des vertus appaisantes, autant pour lui que pour elle. Elle se laissa même prendre à fermer les yeux durant l'instant que ses doigts se baladèrent sur les touches.

Les images qui lui vinrent en mémoire étaient celles du temps où son frère lui apprenait les bases du solfège. Jason aurait eu un brillant avenir au conservatoire de Paris s'il n'avait pas été forcé de quitter ce monde. Elle n'avait jamais voulu apprendre avec un professeur, seul Jason avait eu le droit de la former à cet art. C'était le meilleur enseignant, et avec lui, elle avait vite progressé. Après sa mort, elle s'était longtemps refusée à rejouer. Puis un jour, elle s'était souvenue d'une phrase qu'il lui avait dit : "Aussi longtemps que tu joueras, je serai près de toi, Raven..."
Ainsi, elle avait recommencé à jouer de plus bel, parfois même pendant une journée entière sans s'arrêter, jusqu'à ne plus sentir ses doigts, jusqu'à tomber de sommeil, jusqu'à en avoir les fesses endolories à force d'être assise...

Les notes de fin retentirent, la mélodie que jouait le brun prit fin. Raven ouvrit les yeux, le regard posé dans son dos, mais sans le regarder vraiment. Les quelques notes finales résonnaient encore dans sa tête. Puis contre toute attente, avant même qu'Allen n'ait eu le loisir de se lever, ou bien même d'entamer une nouvelle mélodie, la rousse vint se placer derrière lui, passa ses bras de part et d'autre de ses épaules, et laissa glisser ses doigts fins sur les touches. Peut-être considèrerait-il son geste comme mal avenant, comme déplacé, mais à vrai dire, elle ne se souciait guère de ce détail pour l'instant. Allen avait figer le temps pendant quelques minutes, elle n'avait pas envie que tout reprenne son cours aussi vite. Alors, elle entama à son tour une mélodie dans les mêmes sonorités soprano, laissant son menton se poser dans la chevelure brune de l'hybride aux deux émeraudes. Après tout, c'est bien lui qui lui avait dit quelques minutes auparavant qu'elle pouvait faire comme chez elle, non ? Que si elle avait besoin de quelque chose, elle ne devait pas hésiter ? Certes, elle s'était servie elle-même, mais elle ne voyait pas vraiment comment lui demander simplement de ne pas laisser le sablier du temps s'écouler à nouveau.

Les doigts de Raven continuaient de danser sur les touches avec une frénésie naturelle, ses paupières étaient closes, son visage serein, et le temps était de nouveau figé. La mèche de ses cheveux qui s'échappa de son oreille lui fut imperceptible tant elle était absorbée par la cadance qu'elle s'enchantait à déverser. Seule la chaleur des mains d'Allen qui se mirent à voguer au rythme des siennes sembla la ramener vers les portes de la réalité. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire à la fois léger et déconcertant, tandis que, les yeux se refusant toujours à laisser entrer le moindre rai de lumière, des souvenirs chaleureux embrasaient son coeur sans façon magnagnime.

A la lueur de la lune, au gré de l'obscurité naissante, alors que le soleil couchant déployait ses bras de feu à l'horizon du monde, Jason et Raven laissaient filer tous les deux leurs doigts sur le morceau de bois. Ce n'était pas une leçon, ni un exercice. C'était juste un échange unique entre un frère et sa soeur. Un moment qu'on ne pouvait pas partager avec n'importe qui. Quelque chose qui les liait d'une manière étrange à tout jamais, parce que la mélodie résonnerait éternellement dans tout son corps...

Cet instant sonnait comme une douce ritournelle, à la silhouette inchangée, mais à la composition différente. C'était comme avant, et à la fois totalement opposé. C'était un échange unique, entre deux inconnus, et pourtant, à cet instant précis, elle avait l'impression de le connaître depuis toujours...
Que le jeune homme aux deux émeraudes l'accompagne avec un naturel désarmant avait ouvert une nouvelle porte au plus profond de ses entrailles. Là où son coeur avait gelé depuis ces années, une étincelle, minuscule, comme celle que l'on provoque en frottant deux cailloux, était apparue. Ils étaient ainsi, deux cailloux, qui s'étaient entrechoqués indirectement par le fruit du hasard. Un orchestre composé d'un seul instrument, de quatres mains, et de deux âmes à la dérive. Et pourtant, malgré tout, il s'en émanait une louange mystique, comme s'ils venaient de donner une vie nouvelle à cette mélodie.

Malgré le temps qui semblait figé, les grains du sablier continuaient de s'écouler, et bientôt la mélodie prit fin. Cependant, ce fut une ultime note partagée. Allen avait posé sa main de part et d'autre de la touche finale, celle de Raven suivant le même chemin, s'était automatiquement posée sur la sienne. Elle ouvrit les yeux, les lèvres entrouvertes, semblant vouloir dire quelque chose, mais bel et bien incapable de le faire. Son regard s'éleva alors sur le mur d'en-face, où un grand miroir s'étendait. Ses yeux d'ambre observèrent le reflet du visage d'Allen. L'expression de celui de Raven était calme, étrangement doux. Dans sa contemplation, ses lèvres se refermèrent pour ensuite s'étirer et former un sourire appaisant, comme heureux.

- Maintenant, je n'ai plus besoin de rien.

Sur ces mots, prononcés d'un ton mystérieusement ininterprétable, elle releva la tête, et laissa glisser sa main involontairement le long du bras d'Allen en se redressant.

La dernière note était encore figée dans sa tête, en même temps que cette main sur la sienne. Son coeur c'était remis a battre très fort et vite, mais pas de la manière habituel. Il était en paix avec lui même et le ligre serait assoupi tant qu'il aurait la note en tête. Non c'était cette main, ce moment d'intimité passé avec cette inconnue l'avait totalement ouvert à toute sorte d'émotions contre lesquelles il ne savait quoi faire. Il ne savait pas ce qu'elle avait en tête, mais le fait est qu'elle n'avait pas retirer non plus sa main. La note c'était prolongée jusqu'à l'épuisement totalement de la vibration, en mourant dans le silence de la pièce qui l'avait vu naitre. Il releva la tête vers le mur d'en face pour la contempler. Son visage c'était encore une fois transformé, la première fois dans la rue il avait cru se trouver en présence d'une sorte d'amazone ou d'une Valkyrie, il ne l'avait pas vu de ses propres yeux mais l'autre homme lui avait donné l'impression d'être en présence d'un vrai démon...Puis elle avait craqué devant lui, elle avait couler quelques larmes et bien qu'il aurait voulu se montrer totalement impitoyable car il ne savait pas encore s'il pouvait lui faire confiance. Mais finalement il avait craqué, il avait craqué car finalement malgré ses airs il n'arrivait pas à être aussi insensible qu'il le voudrait. Et maintenant elle posait sur lui des yeux ayant retrouver leur paix, on aurait presque dit qu'elle ne c'était pas retrouvée dans cet état depuis des années. A nouveau il lui semblait avoir une nouvelle femme devant lui, mais cette fois il ne se limitait plus à ce qu'elle lui montrait la. Il avait commencé à former un tout de tout ce qu'il avait vu, et la forme finale lui semblait être une rose. Une fleure aussi belle que terrible, et cette fleur était en train de lui sourire d'une manière tout à fait déconcertante. Il lui avait semblé qu'elle lui avait demandé du réconfort, réconfort qui lui avait semblait impossible a donner car il avait toujours été mauvais pour ca...Et la...Et la c'était elle qui lui souriait comme pour lui offrir cette chaleur dont il avait besoin, il leva un court instant ce même regard détresse qu'il avait lancé a sa mère. Regard qu'il fit aussitôt disparaître pour éviter plus que raisonnablement qu'elle ne se pose trop de question sur lui.

La musique c'était arrêtée donc et pourtant comme feinté l'animal en lui n'avait pas tout de suite repris sont tonnerre de protestation à la présence de Raven. Pourtant elle en avait fait assez pour lui faire attraper une migraine monstrueuse. Mais elle semblait heureuse, il ne savait pas comment il avait fait pour lui apporter quelque chose qu'il n'avait même pas saisi la nature, mais le fait est qu'elle semblait plus que sereine...Peut être heureuse. Il n'eut pas vraiment le temps de se féliciter lui même qu'elle ajoutait.

Maintenant, je n'ai plus besoin de rien.

Il y'en a qui on de la chance, cela lui traversa l'esprit un quart de seconde en se rappelant que pour comme pour lui, l'état dont elle lui parlait serait peut être temporaire. Elle semblait vivre une vie assez dure, et savoir profiter des moments calmes est un luxe qu'il est difficile de se payer par les temps qui courent. Et il aurait aimé pouvoir lui répondre que lui aussi n'avait plus besoin de rien en cet instant. Mais malheureusement les calmes temporaires ne lui suffisaient plus il voulait qu'on lui apporte une vrai solution pour colmater la brèche, il ne voulait pas passer sa vie à écoper dans une barque qui prend l'eau pour ne couler. Il en avait marre de ne plus pouvoir prendre de pause un instant sans boire la tasse et laisser l'autre s'élever dans toute sa fureur, fureur qu'il n'arrivait pas à comprendre.

Il se laissa aller à quelques sombres pensées, qui glissèrent telle la main de Raven sur son bras. Il était évident qu'elle ne l'avait pas voulu, mais ce contact lui donna des frissons dans tout le corps. C'était surement le contre coup de fuir les autres, ou de n'avoir pour seul contact avec eux celui d'un gant qui vient briser les os. La tendresse c'était faite totalement désarmante et frustrante pour lui, et le temps qu'il réalise à quelle folie il c'était abandonnée il avait doucement posé a nouveau sa main sur celle de la jeune fille. Main qu'il retira cette fois si assez vigoureusement, les joues légèrement rouge, toute la confusion du monde et la pudeur de ce dernier sur son visage.

Toute mes excuses, je ne sais pas ce qui m'a pris de faire ça...

Il devait vite trouver autre chose pour enchainer, rester la dessus allait installer un malaise dont il se serait bien passé. Mais son cœur venait de s'emballer, l'adrénaline ne tarderait pas à monter et avec elle le réveil de sa moitié. Finalement encore une paix bien éphémère.

Vous jouez magnifiquement bien, vos notes coulent comme de l'eau. Ce fut un réel plaisir que de partager ce moment avec vous.

Comble du comble son accent anglais c'était mis à percer à cause de son anxiété vis à vis de la liberté qu'il venait de prendre. Et dire qu'elle c'était trouvé mal de montrer ses faiblesses...C'était chacun son tour finalement.

L'échange de regards qui suivit fut à la fois désarmant et intense. Elle ne savait pas réellement comment interprêter le sien. Encore plus lorsqu'il se fit alarmant, inquiet. Bien qu'il changea rapidement, Allen venait d'arborer un regard apeuré, qui réclamait toute la tendresse du monde. Un S.O.S. qui la frappa en plein coeur, mais dont elle ne voulut rien laisser paraître. C'est certainement cet appel au secours qui lui fit esquisser ce sourire. Peut-être parce que l'espace d'un instant, elle avait cru y lire " Sauve-moi.". Peut-être pour le rassurer, sans savoir pourquoi. Peut-être parce qu'elle aussi avait besoin d'être sauvée, mais qu'elle était bien incapable de demander de l'aide. Parce qu'elle croyait que personne ne pourrait rien pour elle, que l'effort ne pouvait être fait que par elle-même. Parce que dans ce silence, la silhouette de leur âme se dessinait comme parallèle. Comme bien plus qu'une ressemblance. Comme si le reflet qu'elle voyait dans le miroir s'apparentait au sien d'antan. Comme s'ils venaient de faire un saut en arrière, et qu'il la confrontait à ce moment où elle comprit qu'elle serait seule...
Peut-être parce qu'elle avait mûri, elle ne pouvait se résilier à lui souffler que oui, la vie est injuste, inégale, pourrie, garce. Voilà pourquoi elle avait souri. Voilà pourquoi elle tenait à se sentir bien. Parce que derrière ces maladresses, l'envie de garder espoir perdurait.

Elle ne s'attendait pas non plus à ce qu'il repose sa main sur la sienne lorsqu'elle entreprit de se redresser. Geste qui eut le don de la faire sursauter, non pas à cause d'Allen, non pas parce que ce pouvait paraître déplacé, mais parce que ce contact, pendant les trois secondes qu'il dura, jusqu'à ce que le jeune homme aux deux émeraudes n'ôte sa main, avait eu le don de déclencher sa faculté à voir des bribes du passé. Comme la plupart du temps où c'était involontaire, ce n'est pas le sien auquel elle eut à faire, mais à celui d'Allen. Trois secondes, trois images.
Dans la première, elle faisait face à deux personnes. Elle reconnut Allen, qui regardait d'un air lointain une femme, toute l'inquiétude et l'amertume du monde sur son visage.
Dans la seconde, elle se jura de se punir pour oser le trouver magnifique, alors qu'il apparaissait solitaire, triste, et pensif, baigné dans l'obscurité. Comme s'il ne lui était plus permis de sourire.
La dernière fut celle qui la marqua le plus. Il semblait comme en combat intérieur avec lui-même. Indirectement, elle aurait presque pu ressentir toute la douleur dont il était pris.
Séparation. Solitude. Souffrance.

Le souffle coupé, le coeur de Raven ne se serait pas si vite remis à battre si Allen n'avait pas mis de mots sur leurs silences. Dans le reflet du miroir, on pouvait la voir en train de le regarder, les sourcils légèrement déformés, comme compatissants. S'il n'avait pas poursuivi en complimentant sa façon de jouer, et en mentionnant le fait qu'il avait été plaisant de partager la mélodie, ses yeux se seraient certainement bordés d'eau.
Au lieu de cela, lorsqu'il acheva de faire don de sa voix, la rousse sembla hésiter un instant, mais finit par poser ses mains sur ses épaules, et les laissa voguer le long de son cou, avant de remonter sur son visage pour lui couvrir les yeux. Ainsi, elle approcha ses lèvres de son oreille, et laissant la lumière entrer de nouveau dans les yeux d'Allen, elle susurra :

- Peu importe le temps où l'on se trouve dans l'obscurité, la lumière finit toujours par revenir. Après la pluie, vient le beau temps...

Et dans un geste continuellement mesuré, elle ramena ses mains sur ses épaules jusqu'à se redresser complètement, le libérant de cette étreinte modifiée. Le regard qu'il lui avait lancé précedemment, ajouté aux images qu'elle avait vu, n'avaient pu que la résoudre à lui souffler son réconfort, son soutien. Comme pour lui rappeler, même s'il ne comprendrait certainement pas pourquoi, que chacun avait droit à son heure de paix, de renaissance.

Elle laissa un soupir s'échapper de ses lèvres. Il était temps. Les libertés qu'elle ne cessait de prendre risquaient de lui porter préjudice si cela continuait sur cette lancée. Alors, il valait mieux s'en aller. Elle porta son regard vers la porte de la chambre, là où se trouvait encore ses affaires, son engin de mort, notamment.

- J'ai déjà assez abusé de votre hospitalité. J'aimerais pouvoir vous remercier comme il se doit, mais j'ai bien peur de ne vous déranger plus que de vous apporter une quelconque satisfaction.

C'était dit. Elle allait s'en aller. Non pas sans un arrière goût de regret, même si elle ne savait pas vraiment pourquoi. Mais, quelque part au fond d'elle, elle était sûre que leurs chemins seraient amenés à se recroiser. Alors, dans un silence retrouvé, elle enclencha les quelques pas qui la mèneraient dans la chambre, afin de prendre ses affaires, et de laisser ce lieu redevenir paisible en oubliant sa présence.

Elle était déjà dans la chambre à rassembler ses affaires. Enfin, il était inutile d'invoquer un pluriel, puisqu'elle n'avait en réalité que son engin de mort à récupérer. Et avant même qu'Allen ne vienne la rejoindre, elle sut que quelque chose allait l'empêcher de rentrer chez elle ce soir.
Elle se redressa lorsqu'elle l'entendit parler, tournant son regard vers lui, alors que déjà, entre ses mains, gisait le katana pourfendeur d'âmes. Elle cligna plusieurs fois des yeux.

Pourtant j'aimerai que vous restiez ne serai ce pour la nuit...Ou au moins le soupé. Vous êtes blessée qu'importe ce que vous pouvez raconter sur le fait que cela vous fasses mal ou pas. Vos vêtements ont aussi besoin d'être nettoyés, avec tout ce sang dessus vous n'iriez pas bien loin. Et puisque vous parlait de satisfaction, je serai très heureux de vous avoir à ma table ce soir.

Rester ? Est-ce qu'il était devenu fou pour lui proposer une telle chose ? Bien sûr que c'était poli, honorifique et tout ce qu'on pouvait qualifier de bien, mais c'était une invitation totalement démesurée. Comment pouvait-il lui demander ceci après ce qu'il s'était passé, après l'avoir vue se déchaîner sans aucune pitié ? Elle se demanda un instant s'il n'était pas suicidaire. Et puis, elle se laissa imaginer qu'il y avait peut-être une autre raison, dissimulée, et inavouable. Mais rester, c'était risqué. Grandement risqué. Elle ne pouvait pas se permettre de le mettre encore plus en danger. D'autant plus qu'il n'était pas seul dans cet appartement, il y avait aussi cette fille bizarre et muette qu'il semblait héberger. C'était deux vies de plus qui risquaient de s'éteindre par sa faute. Alors d'accord, elle était peut-être déjà si souillée par le sang que deux vies en plus ne changeraient pas grand chose. Mais elle refusait catégoriquement d'ajouter des morts à sa liste. Et bien qu'Allen lui ait paru être un adversaire redoutable, lui non plus ne pourrait rien contre des pouvoirs offensifs qui pouvaient être utilisés à distance suffisante pour que l'attaquant ne soit atteint.
La posture qu'il prit lui fit sentir qu'il allait revenir à la charge, la convaincre davantage. Et avant même qu'elle ne puisse suggérer quoique ce soit, il reprenait :

Les rues seront surement infestées cette nuit de ceux qui vous recherchent. S'ils nous avaient suivi jusque ici je crois qu'ils seraient déjà ici. Il serait préférable que vous restiez jusqu'à ce que les choses se tassent, ne serait ce dans mon quartier. Pour l'instant ici vous êtes en sécurité.

Elle lui en voulut sur le coup. Elle lui en voulut parce qu'il avait raison. Doublement raison même. L'incident au Palais Omnisport lui mettait non seulement les chasseurs à ses trousses, mais également la police sur le dos. Et malgré toute la finesse dont elle était capable de faire preuve, il serait difficile de passer entre les mailles de ces deux filets étendus tels des pièges prêts à se rabattre lourdement sur elle.
Malgré tout, elle hésitait encore à accepter son offre. Non pas qu'elle soit complètement inconsciente, mais elle ne voulait pas être un fardeau. Trop de fois sa présence avait été tolérée par obligation. Et Allen tenait peut-être juste à se montrer aimable. Même s'il était vrai qu'au fond elle doutait de sa propre conviction. Il n'aurait certainement pas insisté autant s'il n'avait pas réellement voulu la garder encore un peu auprès de lui afin de lui éviter une mort certaine, si ? Encore une fois, elle réfléchissait trop. C'était souvent ce qui, en plus de ses habitudes à fuir le monde, l'empêchait d'avoir une vie sociale à peu près normale.
Mais voilà. Rester, c'était risquer d'établir un lien, c'était risquer d'avoir l'envie de le revoir, parce qu'elle aurait cette occasion de le découvrir, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Bien sûr, elle était déjà touchée de devoir partir, sans vouloir s'expliquer pourquoi, mais, non, il ne fallait pas...

Elle se mit alors en quête de trouver un autre objet indispensable à sa fuite. Vous croyez au destin ? Parce que le sort semblait visiblement vouloir s'acharner contre elle. Dans la foulée, elle venait de se rendre compte qu'elle avait perdu tout ce qui lui restait pour pouvoir refuser poliment de s'attarder. Ses clés. Stupides clés. Elle avait dû les perdre pendant le combat. Et dans l'état où elle était, il lui serait impossible de jouer à la Fantomette en escaladant les murs de l'appartement où elle vivait pour essayer de rentrer chez elle par une fenêtre. A croire que tout cela avait été fait exprès. De leur rencontre, à ce qui en retournait.
Elle se mordit la lèvre inférieure. Pour le coup, elle aurait bien voulu tuer le chasseur de ses propres mains finalement. En plus de cela, elle n'avait pas un centime sur elle. C'était bien elle ça, sortir sans prendre d'argent. En même temps, à quoi bon prendre du liquide sur soi quand on n'a seulement pour objectif que de se rendre sur la tombe de son frère ? Elle laissa échapper un sourire annonçant sa défaite inévitable. Elle n'avait guère d'autre choix.
Reposant son sabre sur la chaise où il avait été laissé, elle regarda ensuite Allen d'un air à la fois reconnaissant et le suppliant de revenir sur sa proposition.

- J'étais prête à partir bien que vous ayiez raison sur tous les points que vous avez évoqués. Mais je n'ai ni mes clés, ni de quoi me permettre de loger dans un hôtel pour la nuit. Ironie du soir ou pas, je me vois donc dans l'obligeance d'accepter votre invitation. Mais c'est vraiment parce que je n'ai pas d'autre choix. Je n'ai nullement l'envie de vous déranger ou de vous causer davantage de soucis...

C'est alors que derrière la silhouette d'Allen, elle put apercevoir Cassandra qui, ayant visiblement entendu et compris qu'ils seraient trois ce soir, venait de déposer une serviette et un gant de toilette propres sur le petit banc en cuir du piano. Elle lui adressa un léger sourire pour la remercier, se moquant intérieurement d'elle-même.
C'est vrai qu'avec toute cette agitation elle devait paraître assez crasseuse. Et le sang ajouté à cela n'arrangeait rien. C'est comme si on lui donnait l'opportunité de se laver de ses péchés pour un soir. Un soir de chaleur et de vie. Pour la première fois depuis longtemps, elle ne serait pas seule avec elle-même, enclin à un combat déchirant contre sa minable condition. C'est comme si, après tout ce temps de chaos, on lui autorisait à avoir quelques heures de répit. Elle aurait remercié le ciel pour cette aubaine. Si seulement elle avait encore cru en Dieu...

Et c'est ainsi que, contre toute attente, elle s'était laissée embarquer dans une folle aventure. Elle avait regoûté au plaisir de sentir l'eau chaude filer en cascade le long de ses lignes. Et bien qu'angoissée, elle se sentait secrètement paisible, et rassurée de ne pas devoir affronter le monde seule ce soir.
Elle ressortit finalement de la salle de bain, les cheveux encore humides, mais pas assez pour être ruisselants, les formes dessinées par le tissu de la chemise que lui avait laissé Allen. Cassandra étant trop chétive, et Raven ayant plutôt une carrure importante, elle ne rentrait pas dans les vêtements de la demoiselle.

Captant son regard d'émeraude, elle ne put s'empêcher de lui adresser un sourire tout autre que ceux qu'elle avait eus jusqu'à présent. Celui-ci semblait chaleureux, et heureux. Oui, malgré toute la réticence dont elle avait fait preuve, Allen avait rendu Raven heureuse.

- J'espère que vous me laisserez au moins préparer le dîner.

C'était tout de même le minimum qu'elle puisse faire. Il venait de tant lui donner...
Un peu de réconfort, de l'entourage. Le tout baigné dans une atmosphère étrange, et, quelque part, un peu familiale...


[ HRP : J'ai fait un saut direct en avant, pensant que de toute façon tu aurais fini par lui proposer d'aller prendre une douche. Si Cassandra n'est pas du tout censée agir de cette façon, je modifierai.]

Elle avait esquissé un léger sourire lorsqu'il avait mentionné le fait que tout ce qui le dérangeait, c'était qu'elle le vouvoie. C'était assez ironique, parce que lui-même ne la tutoyait pas. Alors, pourquoi le faire ? Il était vrai que Raven tutoyait automatiquement certaines personnes. A vrai dire, elle se fichait un peu des simples formalités, sauf avec Raphaël. C'était le seul qu'elle vouvoyait toujours. A présent, il y avait Allen. Mais, ce n'était pas parce qu'elle se sentait gênée, c'était juste que, la situation était étrangement perturbante. Pas parce qu'elle était mal à l'aise, mais... A vrai dire, elle ne savait pas comment l'expliquer. Au fond, c'était peut-être une façon de garder une certaine distance avec lui. Depuis le temps qu'elle n'avait pas été aussi proche de quelqu'un, et qui plus est, d'un homme, elle avait peut-être un peu peur. Peur de céder trop facilement à une folie interdite. C'est vrai, après tout, il avait beaucoup de charme. Alors qui pouvait garantir qu'elle ne serait pas tentée de succomber à un plaisir charnel pour se laisser ensuite mourir contre lui ? S'éteindre par amour... Beurk. Et pourtant, c'était bien la façon la plus facile pour lui faire souffler son dernier souffle. S'enticher de quelqu'un, en devenir dépendant, ça voulait dire devenir vulnérable. Beaucoup trop d'ailleurs. C'est tellement plus facile d'atteindre quelqu'un en s'en prenant à celui ou celle dont il s'est épris. C'était beaucoup trop dangereux.
Voilà pourquoi il était nécessaire de garder un ‹‹ vous ››. Parce qu'elle se sentait vulnérable à une attaque intérieure qu'elle ne pourrait pas contrer. Parce qu'elle avait assez d'expérience pour connaître ses faiblesses, et aussi, parce qu'elle savait qu'Allen ne pourrait pas la laisser indifférente. Le vouvoyer, c'était mettre une barrière relationnelle suffisante pour ne pas succomber. Au final, il y avait toujours un danger, même lorsqu'on pensait ne plus devoir se protéger. C'était peut-être stupide et complètement contradictoire, mais si au combat elle était puissante, en dehors, elle n'était qu'une chose insignifiante capable de sombrer pour de beaux yeux, qui l'auraient désarmée.

Elle vous va très bien... Peut-être un poil trop longue.

C'est ce qu'il avait dit lorsqu'elle était finalement sortie de la salle de bain, drapée de sa chemise. Ses joues, à l'instar des siennes à cause de la chaleur - du moins, c'est l'excuse qu'on aurait pu trouver - s'étaient doucement colorées. Rien d'extravagant, juste avec légèreté, secrètement. S'en suivit un petit instant de silence, durant lequel elle s'était efforcée de fixer autre chose que son visage. Puis elle avait finalement parlé, et tout reprit comme si rien ne s'était passé. Du moins, en apparence.

Vous m'enlevez un sacré poids des épaules... J'avais un peu honte de vous infliger la bizarrerie de la cuisine anglaise, alors qu'en plus c'est moi qui vous retiens ici. Aussi je serai très honoré de pouvoir goûter à votre cuisine ce soir. Je vais moi-même prendre une douche, si vous avez besoin de quelque chose appelez Cassandra, elle ne parle pas... Mais elle est très aidante.

Elle l'avait suivi du regard, jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champs de vision. Se prenant à sourire d'un air un peu trop niais, elle secoua doucement la tête pour revenir à la réalité, et se dirigea vers la cuisine. Sous le regard de Cassandra qui l'avait rejoint après qu'elle l'ait appelée, Raven fouilla les placards, ainsi que le réfrigérateur, à la recherche de mets de base dont elle pourrait se servir pour faire le dîner. Quoi, elle ne le savait pas encore, elle allait improviser avec ce qu'elle trouverait.
Après avoir ouvert et refermé plusieurs fois placards et frigo, et ayant consulté les différentes dates de péremption de certains aliments, elle opta pour des ailes de poulet et des pommes de terre. Elle se souvenait d'une recette assez rapide et sympathique qu'elle avait un jour faite lors d'un repas auquel elle avait convié les quelques connaissances qu'elle avait encore à l'époque où elle ignorait tout des années qui avaient été effacées de sa mémoire.

Elle se mit alors à la tâche. Elle prit un citron qu'elle râpa au-dessus d'un petit saladier. Elle y ajouta ensuite de l'huile, du miel, et du jus de citron. Elle mélangea le tout, puis elle y mit les ailerons de poulet, un par un, après les avoir salés et poivrés. Une fois répartis dans un plat, elle les parsema de thym, puis mit le tout au four. Elle éplucha quelques pommes de terre, qu'elle laissa ensuite de côté en attendant. Le temps de cuisson étant de vingt minutes, et les légumes ne nécéssitant qu'un petit coup de casserole, elle sortit trois assiettes ainsi que les couverts. Elle avait demandé à Cassandra de se contenter de mettre une nappe sur la table du salon, elle ferait le reste. Armée des couverts, elle prit alors la direction du salon.

Elle passa le seuil de la salle à manger, et se retrouva nez à nez avec Allen, qui avait visiblement fini de prendre sa douche. En temps normal, elle n'y aurait pas prêté une grande attention. Sauf que là, c'était différent. Ses yeux s'étaient automatiquement posés sur un torse imposant, à la musculature magnifiquement dessinée. Elle avait sursauté, surprise de le voir. Encore plus surprise de le voir ainsi. Ce n'était pas prévu.

- KYAAAA !!

Dans sa secousse, elle avait lâché ce qu'elle tenait en mains, à savoir, les assiettes et les couverts. Mais le silence continua de dominer la pièce. Aucun bruit de fracas ne se fit entendre. Ce qui aurait normalement dû s'écraser contre le sol s'arrêta à quelques centimètres du choc, lévitant doucement autour de Raven. La tête légèrement inclinée, les yeux comme pétrifiés, rivés sur Allen, sa télékinésie s'était instinctivement mise en marche.
Après quelques battements de paupières, couverts et assiettes se retrouvèrent éparpillés sur la table. Les lèvres entrouvertes, les joues plus rouges que quelqu'un qui aurait pris un coup de soleil, elle détourna vivement le regard avant de faire demi-tour vers la cuisine. Elle y prit une grande inspiration pour tenter de calmer les pulsations de son coeur qui allaient beaucoup trop vite, puis revint au salon quelques secondes plus tard.

- Désolée, j'ai été surprise, je ne pensais pas que tu sortirais de la salle de bain à ce moment-là. Heureusement je n'ai fait tomber aucune serviette. Euh, aucune assiette !

Elle sembla comprendre une évidence.

- ... C'est parce que j'ai pris votre chemise. Tiens, je te.. je vous la rends ! s'exclama-t-elle en commençant à déboutonner le haut du morceau de tissus. Puis elle s'arrêta net, croisant les bras vivement sur sa poitrine, un rire nerveux s'échappant de sa bouche. Haha... En fait non, je peux pas. .........

Le visage encore plus rouge, elle prit ce dernier entre ses mains, soupirant avec lassitude, désespérée de sa réaction pitoyable.

Ridicule. Quoique ce soit encore un peu trop faible pour définir la réaction qu'elle avait eue. Se faire avoir aussi lamentablement, tout ça parce qu'elle avait eu un moment d'étourderie, à trop songer. Décidément, Allen la découvrait sous presque toutes les facettes. Encore un peu et elle devrait finir par le tuer. Hum... Plus sérieusement, elle se sentait embarrassée. D'autant plus qu'elle avait rougi comme si elle venait de manger un piment. Pourtant, la vue du corps d'un homme ne lui faisait jamais autant d'effet, du moins, ça ne la mettait pas dans cet état. Mais là, elle avait l'impression d'avoir violer sa pudeur, d'avoir touché du regard quelque chose d'interdit. Qui plus est, c'était d'autant plus honteux que cette vision lui avait plu, et que dans une situation différente, elle se serait bien échouée contre cet amas gigantesque de carrure affriolante. Oui, à l'instant même où elle l'avait vu dans cette demie tenue d'Adam, elle aurait voulu poser ne serait-ce qu'un doigt dessus, et contourner maladroitement les lignes parfaites qui s'y dessinaient. La simple vue de ce morceau de chair, à la texture délicieusement attirante, avait éveillé sa convoitise, la tentation.
Tant de raisons de s'en vouloir de l'avoir vu. Lui qui, sous ces airs de grandeur et de force, paraissait si innocent et prude. D'une candeur extrème, tel un saint.

Je pense qu'il serait mieux que tu gardes ma chemise jusque cette nuit... Moi je vais aller en chercher une autre. Encore désolé d'avoir débarqué à moitié nu comme ça sans prévenir.

Elle releva la tête pour le regarder partir, disparaître de nouveau. C'est seulement là qu'elle remarqua qu'un bleu énorme tâchait, certainement douloureusement, l'une de ses côtes. Elle se mordit la lèvre inférieure. Et tandis qu'elle rattachait les quelques boutons qu'elle avait enlevé, elle se maudissait, à croire que ça devenait répétitif, de le trouver d'autant plus beau avec cette blessure de guerre. En le pensant déjà, elle allait tout bonnement finir par croire qu'elle n'était rien de plus qu'un être avide et sadique qui se plaisait à voir le beau sali par la souffrance.
Sur le coup, elle avait eu envie de rire de la situation pour évacuer ce trop plein de sentiments qui avait déboulé en elle. Mais lorsqu'elle l'avait vu, blessé, et même si elle s'était prise à l'admirer davantage, son envie de rire était passée, aussi vite qu'elle était venue. C'était de sa faute s'il était dans cet état. Mais elle ferait son mea culpa plus tard. Allen et Cassandra l'avait rejointe, et à présent la table était dressée.

Elle retourna à la cuisine pour faire dorer les pommes de terre coupées en tranche dans une poëlle. Et enfin, le dîner fut prêt. Elle apporta les deux plats fumants sur la table, fit raisonnablement le service, non pas sans appréhension, et prit place sur l'une des chaises.

- Hum... Je ne garantis rien. D'un ton cérémonial, tel un serveur de restaurant chic. Ailerons de poulet au citron et au thym, et pommes de terres rissolées au beurre. Esquissant un léger sourire ininterprétable. Bon appétit...

Et maintenant ? Un silence religieux régnait de nouveau, si bien qu'on aurait pu entendre une mouche voler s'il y en avait eu une. Elle aurait pu chercher quelque chose à dire, n'importe quoi, mais, elle était de nouveau dans ses pensées. Elle l'avait tutoyé. Et lui aussi... Pourtant, ce n'était pas faute de l'avoir de nouveau vouvoyer après coup. Mais il l'avait tutoyée. Aventurant un regard sur Allen, un sourire presque invisible naissant à la commissure de ses lèvres, elle reposa ses yeux sur son assiette, songeant au fait que si elle l'avait rencontré simplement de façon normale, au détour d'une ruelle, ou bien dans un endroit atypique comme un bar, elle aurait certainement essayé de le séduire. Elle aurait joué la rouquine sulfureuse, l'aurait dragué de façon déconcertante, et l'aurait invité à prendre un verre chez elle, sachant d'avance où est-ce qu'elle comptait le faire échouer.
Du moins, c'est comme ça que la Raven d'antan aurait procédé. Maintenant ? Maintenant rien. Elle n'avait plus le temps pour cela, elle n'y pensait plus. Enfin, elle n'y avait plus pensé jusqu'à ce soir. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander comment ce se serait passé s'ils ne s'étaient pas rencontrés alors qu'elle était en mode amazone indépendante. Est-ce qu'il aurait accepté sa compagnie ? Hum. Rien n'était moins sûr. Pourtant elle paraissait à peu près normale avant. A présent, elle n'était même plus certaine de réussir à séduire un homme volontairement. Alors un homme comme Allen...
Elle sembla revenir d'un seul coup à la réalité, se refusant de penser plus à ce genre de choses. Il était impératif de rétablir cette distance respectable. Autrement... Elle ne donnait pas cher de sa propre survie mentale. Il ne fallait pas qu'elle en vienne à le désirer. Parce que ce genre d'envie aurait été malvenu, insoutenable, et impossible à assouvir. Et l'on veut encore plus ce qu'on ne peut pas avoir. Malgré ses pouvoirs et toute la noirceur d'une partie de son âme, Raven restait humaine. Et depuis la nuit des temps, l'inaccessible a toujours rendu l'homme complètement fou à force d'être désiré. C'est un masochisme psychologique que tout être porte en lui. Destructeur. Parfois même malsain. Alors non, il ne fallait pas en arriver là.

Le dîner était fini. Et bientôt, elle pourrait aller dormir. Elle n'aurait plus à se retenir de poser son regard ambré sur lui. Le soleil du lendemain effleurerait rapidement l'horizon, et elle partirait, sans aucune garantie certaine de le revoir. Elle éviterait même de le revoir si elle le pouvait. Car au final, c'était bien plus dangereux que d'habitude. C'était un risque auquel elle n'était pas habituée. Se confronter à un péril dont on ne connait pas l'origine... Seul l'avenir déciderait de son sort, et déciderait ou non de la mettre de nouveau sur le même chemin que lui. Sauf que cette fois-ci, elle se débrouillerait pour fuir concrètement. Pour ne pas avoir à se noyer de nouveau dans ses deux émeraudes, d'un air indescriptible, mystérieux, qui la chamboulaient tant.
Bientôt, les trois corps se levèrent, tour à tour, dans une atmosphère toujours aussi pesante. C'était comme dans un film muet. Sauf que là, il n'y avait même pas le mime des paroles exercé par leurs lèvres. La table fut débarrassée, et l'on indiqua finalement sa chambre à Raven. Appuyée contre l'encadrement de la porte de cette dernière, elle posa de nouveau ses yeux sur Allen.

- Merci encore pour ce que vous avez fait pour moi.

Non sans une certaine déception imperceptible, déconcertante, et incompréhensible, elle reprit :

- Ah. Et vous devriez mettre de la pommade sur votre côte. Elle m'a semblée bien bleue...

Puis chacun prit le chemin des draps, se laissant aux bons soins des mains de Morphée, qui, peut-être, viendrait les bercer ce soir.
La nuit risquait d'être longue. Bien qu'exténuée, elle n'était pas sûre de fermer l'oeil aussi facilement. Sans aucun doute, le marchand de sable oublierait de déposer sa marchandise au creu de ses yeux, et ne frapperait que lorsque finalement, le sommeil se ferait trop lourd pour résister davantage.

Elle se laissa glisser sous les draps, soupirant d'aise malgré tout. Le contact frais et reposant du lit l'invitant à souffler. Elle se prit même à s'enrouler dedans. Ses jambes se mirent aussi à s'agiter doucement, comme pour réchauffer l'intérieur de ce rouleau qu'elle formait avec les couvertures. Elle avait froid. Solitude, ou simple question de température, son corps entier était glacé. Autant que la lune intrépide qui les observait des cieux.

Le silence. Insupportable absence d'un quelconque bruit, même minuscule. Vide sensoriel, inaudible. Solitude amère qui renforce cette impression d'être seule au monde, comme si plus rien n'existait autour. Comme si le temps était figé, et que plus rien ne s'écoulait. Un arrêt. Une faille de l'espace temps. Une chute dans une dimmension parallèle, aussi profonde que l'intensité d'un manque vital. Le néant.
Et pourtant... Des battements de coeur, tonnant au rythme d'une frénésie irrégulière. Cadence décadante. Une montée d'adrénaline, puis des sueurs froides. Puis plus rien. Juste le calme plat. Jusqu'à la prochaine fois. La respiration lourde, le front humide. Mais toujours, le silence.

Vingt minutes plus tôt...

Merci de vous inquiéter pour moi... Ca n'est qu'un bleu, j'ai l'habitude il partira bien vite et j'ai de quoi faire passer la douleur. Et en parlant de douleur, j'ai mis quelques cachets sur la table de chevet dans votre chambre au cas où. Si jamais quelque chose ne va pas... Faut me réveiller je dors toujours d'un demi sommeil. Sur ce... Bonne nuit.

- ‹‹ Vous êtes blessé, qu'importe ce que vous pouvez raconter sur le fait que cela vous fasse mal ou pas... ›› avait-elle doucement dit avant de disparaître.

C'était les paroles d'Allen, mot pour mot. C'était ce qui l'avait convaincue lorsqu'il avait fallu faire un choix. Alors, peut-être qu'il en prendrait compte lui aussi. Elle n'avait pas douté de sa force, ni de sa résistance. Mais... Malgré toute la robustesse d'un combattant, un homme était un homme. Et même s'il ne lui avait pas semblé que ce soit son premier combat, elle avait eu l'impression que c'était son premier affrontement de rue, contre une race... différente.

Et à présent, enveloppée d'un rideau apaisant dans ce lit, mais bel et bien incapable de dormir, elle repensait à tout ça. Allen était dôté d'une force incroyable. C'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un avec une telle puissance dans les mains. Des années d'entrainement ? Non... C'était bien trop pour être seulement le fruit d'un dur labeur. Ce devait être l'un de ses pouvoirs. D'expérience, elle avait pu observer que les êtres " supérieurs " possédaient toujours deux pouvoirs. Enfin, dans la plupart des cas en tout cas. Mais toujours deux minimum. Alors... Quel pouvait être le second atout d'Allen ? Et quel animal se cachait en lui, derrière ce masque d'apparence impassible, qui au fond, ne demandait qu'à être ôté... Elle l'avait vu répondre à ses sourires. Et pourtant, autant qu'elle, il lui avait semblé que ces rictus heureux n'avaient plus vu le jour sur ses lèvres depuis bien longtemps...
Mais peut-être qu'encore une fois elle pensait trop. Après tout, c'est vrai, elle ne connaissait rien de lui. Elle savait juste qu'il venait d'Angleterre, qu'il était hybride, exilé, et qu'il était certainement plus âgé qu'elle d'au moins cinq années. Si peu. Et alors ? De toute façon, elle n'avait pas besoin d'en savoir plus. Il était inutile d'en apprendre davantage. Cela ne mènerait à rien. Tout au plus, à une plus grande curiosité. Et il ne fallait pas que cela sucite son intérêt.

- ...

Un soupir. Des ombres se formaient sur le plafond faiblement éclairé sur lequel ses yeux étaient posés. Des formes maléfiques, qui lui rappelaient quel véritable démon se dissimulait en elle, et n'attendait qu'une seule chose, qu'elle s'égare, que sa volonté faiblisse, rien qu'un instant, et qu'elle se laisse emporter par la haine et la colère, afin de pouvoir émerger, et de faire une réel carnage. Un génocide...
Pendant un instant, il lui sembla même qu'elles lui parlaient, l'invitant à se soumettre au diable. Lâcher prise, pour renaître. Puis mourir, écoeurée de ses actes...

L'angoisse serra sa gorge, tandis qu'une montée d'adrénaline de plus ennivrait son esprit. Du moins, cela y ressemblait. Sueurs froides, chaleur démesurée. Et pourtant elle avai si froid...
Si bien qu'à un moment, elle ne put que se résoudre à se relever. Avisant les médicaments qui étaient posés sur la petite table de chevet, elle en prit deux. Ceux qui lui paraissaient les plus adéquats. Puis elle les reposa finalement. Elle n'avait mal nulle part. La blessure de son épaule n'était que secondaire. En réalité, elle avait simplement un bruit de tambours qui résonnait dans le crâne. Pesant.

Elle sortit finalement de la chambre, pour se diriger vers celle d'Allen. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû, mais elle n'était plus réellement en état de réfléchir. Elle était gelée, et avait l'impression qu'elle en crèverait si elle ne trouvait pas un moyen de se réchauffer rapidement. Alors elle pénétra dans la pièce. Un soupir hâletant s'échappa du creu de ses lèvres. Machinalement, elle s'avança jusqu'au pied du lit, le regarda un instant dormir. Il avait l'air si paisible qu'elle s'en voulait de devoir le réveiller. Enfin... Il allait certainement se réveiller.

Elle se glissa sous ses draps, s'aventurant en territoire interdit. Et son corps se rapprocha du sien, cherchant une source de chaleur. Chaleur qu'elle trouva au fur et à mesure qu'elle réduisait l'écart déjà si petit entre eux. Faisant glisser ses doigts glacés jusque sur son torse, elle murmura, d'un souffle court et saccadé :

- Juste un instant... S'il-vous-plaît... Ne m'en voulez pas, je suis gelée. C'est tout ce qui m'est venu à l'esprit...

Elle laissa tomber sa tête, brûlante, contre son épaule, tandis que le reste de son corps puisait ses dernières forces pour se coller davantage contre lui, afin de retrouver une température à peu près normale.

Ce qu'elle venait de faire aurait pu tourner au drame. Allen aurait pu être si surpris qu'il l'aurait faite valser sans mal contre un des murs d'un simple mouvement de bras. Cela aurait sans doute provoqué le réveil de son démon, qui, sous sa faiblesse, n'attendait plus qu'un soupir fébril pour faire son entrée. Et tout serait devenu cauchemar.
Mais rien ne se passa. Il resta immobile. Elle crut un instant ne pas l'avoir réveillé, même si son corps lui avait paru tout à coup crispé. Avant de se détendre. Puis finalement son bras s'était glissé sous son cou, semblant déverrouiller l'accès. Allen lui offrait une chaleur plus ample, un contact plus précis. Esquissant un léger sourire, imperceptible, elle ne se fit pas prier pour se rapprocher davantage. Jusqu'à s'enlacer complètement contre lui, un bras couché le long de son corps, l'autre faisant le tour du bassin de l'anglais. Le corps échoué contre le sien, dans une étreinte d'ordinaire réservée à ceux qui sont intimes, elle laissa échapper un soupir d'aise.

Si jamais le froid persiste, il faudra bien faire appel à un docteur.

Effectivement, ce serait même le mieux à faire. S'il y avait eu un tant soit peu de normalité. Malheureusement, il devait savoir aussi bien qu'elle qu'il était tout simplement impossible de recourir aux gardiens de la santé. Il aurait fallu expliquer trop de choses, et ils auraient beaucoup attiré l'attention, ce qui leur aurait certainement coûté une visite des autorités.
Ils étaient coincés. Du moins, il aurait pu simplement lui donner une double ration de couvertures, et la renvoyer dans sa chambre. Mais non. Il avait accepté de tolérer sa présence, sa proximité si réduite, pour une nuit...

- Ca va aller. La chaleur de votre corps sera suffisante...

Elle n'osait lui infliger la température glaciale de ses pieds. Elle se contenta donc de les frotter frénétiquement contre le drap du matelas. En frictionnant deux pierres, ou deux bouts de bois, on arrivait à faire du feu, alors elle finirait bien par réchauffer ses pieds.
Sa tête se logea sur l'épaule d'Allen, les paupières closes, subtilement somnolente, mais pas assez pour sombrer rapidement dans le sommeil. Ses paroles allèrent caresser la peau du côté droit de son torse en un souffle :

- J'ai de la chance d'être tombée sur vous... Beaucoup m'auraient abattue depuis longtemps...

Elle esquissa un sourire amusé.

- Si le chef des chasseurs voyait ça, il serait dégoûté de moi à vie cette fois.

Un soupir rieur s'échappa de ses lèvres, puis faisant un léger mouvement pour aller doucement appuyer sa tête contre sa joue, elle dit simplement :

- Je ne sais pas combien de fois je vais devoir... te remercier mais...

Elle se prit à relever légèrement le visage pour effleurer sa joue de ses lèvres, avant d'y déposer un baiser, délicat, discret.

- ... Merci, Allen...

Elle avait déjà tant péché... On pouvait bien la mettre au supplice en enfer. Contre un instant de chaleur, elle aurait tout donné.

Il faut dire que je ne suis pas vraiment monsieur tout le monde...

Le ton qu'il avait emprunté la laissa perplexe un instant. Il semblait y avoir tant de ressemblances entre eux, malgré cette distance évidente. Elle décelait dans sa phrase une volonté dissimulée d'être semblable au reste du monde. Elle aussi préfèrerait être une simple humaine parfois. En étant comme les autres, sa vie aurait été moins compliquée. Mais bon, bien que sa vie en tant que chasseresse lui ait apporté bien plus de malus que de bonnes choses, elle ne regrettait pas complètement d'être ce qu'elle était.

- Si vous n'aviez pas été ce que vous êtes, je ne vous aurais certainement jamais rencontré. laissa-t-elle échapper dans un murmure.

Son geste sembla le destabiliser un instant. A vrai dire, elle non plus ne s'attendait pas à agir ainsi, mais, cela avait été d'un tel naturel que ce pouvait être ça qu'il y avait de destabilisant.

Inutile de me remercier plus que ça. Je... je n'attendais rien en retour de ce que j'ai fait, et j'ai déjà beaucoup reçu quand même.

Elle esquissa un sourire imperceptible. Pensait-il qu'elle ait pu s'approprier un bout de sa chair au prix de ce qu'il avait fait pour elle ? Elle n'était pas de cette trempe.

- C'est de bon coeur.

Puis tous deux se laissèrent emporter dans les pays lointains d'un sommeil profond. Raven ne dormit pas aussi bien depuis longtemps. Pour une fois, elle passa même une nuit tranquille, sans cauchemars, sans déceptions, sans souvenirs de souffrance...

Au petit matin, elle ne sentit pas Allen s'échapper de ses bras. Du moins si elle s'en rendit compte, ce n'était que brièvement. La fatigue avait été si lourde qu'elle ne se réveilla pas. Et d'un automatisme presque humain, son corps se laissa même à s'étendre dans le reste du lit maintenant qu'elle y était seule. Etalée de façon qui aurait pu paraître adorable en temps normal, après tout, elle avait vraiment l'air sereine et innocente, elle finit finalement par se sentir émerger.
Dans un baillement instinctif, elle se redressa, s'étirant comme un petit chat, les cheveux légèrement en vrac, et les yeux encore remplis de sommeil. Elle remarqua immédiatement le plateau de petit déjeûner, à la vue duquel elle ne put s'empêcher de sourire, à la vue duquel son estomac sembla se réveiller lui aussi.
Puis elle vit Allen se redresser.

Good morning. J'espère que le reste de ta nuit fut assez chaud. Je ne savais pas quoi mettre dans ta tasse j'ai donc attendu que tu te réveilles pour que tu me le dises toi-même.

Hier semblait si loin à présent. C'était comme s'il ne s'était rien passé. Du moins, ça aurait pu l'être si elle ne gardait pas en tête que c'était grâce à cela qu'elle s'était retrouvée dans son lit.

- J'ai dormi comme un bébé ! dit-elle en retenant difficilement un enième baillement.

Puis elle reprit :

- Merci pour le petit déjeûner. Je prendrais volontiers un café au lait.

Le sourire aux lèvres, elle entreprit ensuite de se lever. Que lui réserverait cette journée ? Une autre rencontre telle que celle-ci ? Non. Elle avait eu une chance de cocue sur ce coup-là, ça ne pouvait pas se reproduire une seconde fois.

- Tu es debout depuis longtemps ?

Sous-entendu : j'espère que je ne t'ai pas empêché de dormir.

La déclaration d'Allen telle celle d'un garçon de restaurant lui arracha un léger rire. C'était peut-être une façon de recréer une mise à distance entre eux deux. Après tout, ils venaient de passer la nuit ensemble, sans que cela tourne à la dérive, mais ils avaient quand même partagé leur sommeil. Et du fait, le plateau repas au petit matin aurait pu simplement être une image de la vie de tous les jours. Honnêtement, si l'on avait pas su ce qui s'était passé hier soir, on se serait demandé ce qu'ils attendaient pour ne pas se sauter dessus. Enfin, si l'on partait du principe qu'ils se plaisaient du moins.
Mais Raven se refusa de penser à tout cela. Allen avait simplement eu un geste généreux envers elle, et il avait un grand sens de l'hospitalité. Voilà tout. A quoi bon se torturer l'esprit avec des suppositions de ce qui aurait pu se passer s'il n'y avait pas eu l'altercation d'hier soir ? De toute manière, ils ne se seraient certainement jamais rencontrés dans ce cas-là. Allen ne l'aurait pas recueillie, elle n'aurait pas cuisiné pour lui et la mystérieuse Cassandra. Ils n'auraient pas partagé cette nuit qui lui avait étrangement semblé paisible. Au final, c'était l'alliance partielle durant un combat qui les avait faits se rapprocher, et cela suffisait également à les tenir encore éloignés. Tous deux semblaient cacher un détail bien plus important que futile. Et lorsqu'elle sortirait, alors ce serait comme si rien n'avait eu lieu. Du moins en garderaient-ils un souvenir tant que leurs corps seraient marqués par les blessures de guerre. Mais une fois celles-ci effacées, le souvenir s'envolerait aussi vite que la vie du chasseur au torse transpercé.

Alors autant profiter des quelques minutes qui leur restaient. Elle avait beau se sentir coupable de la tournure qu'avaient pris les choses, elle ne pouvait s'empêcher de sourire à la situation. Elle qui d'ordinaire ne faisait pas de grands discours, et qui privilégiait même le silence lorsque c'était nécessaire pour ignorer, s'abandonnait à présent aux questions habituelles que l'on poserait dans la vie de tous les jours. On lui avait offert quelques heures de répit, elle n'allait pas les refuser. Puisqu'elle était là, avec lui, autant braver la règle du silence.

J'ai l'habitude de me lever tôt. Je crois que vous dîtes " L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt " en France, et je suis assez d'accord. J'ai juste essayé de ne pas te réveiller. En me glissant tel un chat hors du lit.

- Nous avons beaucoup d'expressions de ce genre, certaines sont plus sensées que d'autres. Dans tous les cas, imitation du chat réussie.

C'est vrai, elle, ne l'avait pas senti s'échapper des draps. Seul son corps avait réagi en prenant davantage de place.
Elle profita de l'instant où il sortit pour remettre les couvertures du lit en place. Et automatiquement, son regard fut attiré par le mur auquel elle faisait à présent face. Il était rempli de ce qui semblait être le passé d'Allen. Mais bizarrement, elle ne fut pas étonnée par ce qu'elle voyait. Il revint. Elle fit comme si de rien n'était.

Et toi ? Bien dormi ? Je n'ai pas trop été remuant... Est-ce que j'ai ron... flé ?

- Eh bien, après t'avoir rejoint, j'ai sombré dans un sommeil lourd, donc je ne saurais te dire si tu as ronflé. Mais on peut en conclure que j'ai très bien dormi, oui.

Elle ne fit ni de remarque quant à son arrêt en plein milieu d'un mot, ni par rapport à ce qui se trouvait sur le mur. C'est vrai qu'elle était curieuse, mais elle avait l'impression qu'il aurait mieux fallu attendre qu'il se décide à en parler de lui-même. Ou à ne pas en parler tout court. Après tout, ça le regardait.
Elle se réinstalla pour entamer son petit déjeûner. Lui qui d'hier n'avait pas voulu lui imposer la bizarrerie de la cuisine anglaise, comme il avait dit, avait pourtant réussi à préparer quelque chose de délicieux. Et maintenant, de quoi allaient-ils pouvoir parler sans que cela soit indiscret ? Non pas qu'elle soit contre un moment de silence, mais elle avait l'impression que cela ferait renaître le malaise qu'il y avait au début entre eux.
Elle ne savait pas réellement quel sujet aborder sans que cela ne conduise qu'à une réponse évasive qui signifierait qu'il fallait éviter d'en parler. Alors, elle sortit la première chose qui lui vint à l'esprit :

- Ca fait longtemps que je n'avais pas mangé de petit déjeûner aussi copieux. J'en avais presque oublié à quel point ce pouvait être agréable quand c'est aussi bien préparé.

Une manière de lui faire un compliment, mais également de se donner du temps pour trouver autre chose à dire, pour ne pas penser aux tonnes de questions qui émergeaient dans sa tête. Elle ne devait pas s'éterniser. Certes, le problème de la perte de ses clés n'était pas résolu, mais elle avait toute la journée pour trouver un moyen de rentrer. Surtout, ne pas montrer qu'elle n'avait aucune idée à la façon de passer son pallier. Raven était pensive. A cause de sa blessure au bras, elle ne pourrait pas assurer ses entrainements complets au katana. Et elle ne voulait pas prendre l'habitude d'absorber autant d'heures de sommeil.
Au final, on lui avait accordé un moment de repos pour la préparer aux jours à venir. Ca allait être beaucoup plus compliqué qu'elle ne pensait.

- ... Je devrais peut-être y aller. laissa-t-elle échapper.

Rester ici ne ferait que retarder l'échéance. Et plus elle attendait, moins elle avait envie de partir. Retourner à la vie réelle, faite de combats réguliers pour gagner sa place dans un monde hostile.