Homicide au clair de lune (pv Frédéric)

# Où suis-je ?#

L’homme ouvrit doucement les yeux, et cligna plusieurs fois des paupières avant que sa vue trouble ne redevienne normale. Il sentait sur sa figure, le contacte froid et humide de l’asphalte rugueux.
Il regarda machinalement le cadran de la montre-bracelet qui enserrait son poignet :
4h13
Il ne souvenait pas.
Pour sûre, il avait due être ivre la veille… Mais comment ? Ivre d’alcool ou de sang ? Avait-il lamentablement échoué dans un bar où il s’était encore une fois soûlé au point de ne plus pouvoir rentré chez lui, ou bien avait-il était pris d’une de ses folies meurtrières?

Il tenta de se relever, mais sa tête lui tournait affreusement, et les vertiges et nausées qui le prirent ainsi que la forte odeur et le goût désagréable qu’il avait dans la bouche lui donnèrent une réponse satisfaisante à sa question.
*Ivre… d’alcool, apparemment…*
Mais une autre de ces activités nocturnes de la veille, lui avaient laissé un autre goût sur la langue qui semblait se mêler à celui de l’alcool. Aussi, saisit d’un doute Derek Jackowski avisa sa chemise, blanche d’origine, présentement maculée de sang. Ceci lui laissa penser qu’il n’avait peut-être pas été seulement saisi d’une ivresse éthylique.
« Mmh… tout comptes faits, peut-être des deux… »

S’agrippant tant bien que mal à un réverbère, il se remit sur ses jambes encore trop peu fiables et aperçut non loin de là, jonchée sur le sol, sa fidèle canne. Il s’en saisit avec peine, manquant presque d’embrasser une nouvelle fois le trottoir au près d’elle. Alors qu’il avait mis un genou au sol pour plus de sûreté, il remarqua que d’autres de ses effets personnels ornaient le triste bitume de cette morne avenue, dont son carton à dessin duquel glissaient quelques unes de ses œuvres. Il le ramassa également en contemplant les quelques figures récemment crayonnées sur les feuilles qui semblaient vouloir s’échapper. Poussant un profond soupir, il détacha enfin son regard vaseux des croquis. Ce n’est qu’a ce moment qu’il vit, étendu dans le caniveau à quelques mètres de lui, le cadavre encore fumant d’un pauvre diable. Bien sanguinolent et salement amoché, aucun doute s’était tout à fait son style.
Bien que méchamment défigurée, la sale trogne de l’individu sembla lui rafraichir la mémoire. Ce pal type avait essayé de lui tirer son portefeuille, croyant s’attaquer à un vulgaire ivrogne ; mais au lieu d’une proie facile le filou s’était vite rendu compte de son impardonnable erreur.

« Hé merde… Nan, sans blague Jack, là t’as vraiment déconné ! »

Et c’est vrai qu’il avait « déconné » sévère. Il commençait décidément à se faire vieux… Il y a quelques années, un truc pareil ne lui serait jamais arrivé.
Il regarda autours de lui et vit, là où l’éclairage des réverbères s’arrêtait, le bois de Boulogne s’étendre en une immense masse sombre.
Il ne savait absolument pas combien de temps il était resté là, par terre, presque baignant dans le sang de sa victime. N’importe qui aurait put débarquer et appeler les flics, même à cette heure tardive (ou plus que matinale, tout dépends de votre point de vu). D’ailleurs peut-être que quelqu’un avait prévenu les cognes. Peut-être qu’ils allaient rappliquer d’un moment à l’autre. Peut-être ou peut-être pas… car l’endroit paraissait plutôt désert.
Enfin, mieux valait décaniller dardar avant que… trop tard.

Je me promenais, en proie à des tourments. J'avais passé toute la soirée à faire fonctionner mes méninges pour tenter de trouver ce type, Xander, le chef de ces salopards de chasseurs. Il était bien planqué et en même temps il trouvait le moyen d'agir suffisament pour faire parler de lui. Sa dernière victime : une infirmière hybride qu'on avait retrouvée égorgée entre deux poubelles. J'avais beau chercher, rien de logique dans tout ça. J'étais donc sorti me promener pour me changer un peu les idées. Je dormais peu en ce moment, pas de repos pour les justes ! 4 heures et quart et je ne me sentais toujours pas prêt à dormir. Je prenais pas mal de pilules en ce moment pour tenir le ryhtme, sauf qu'elles m'empêchaient de dormir la nuit et j'étais encore plus fatigué le lendemain matin. C'était un cercle vicieux, je le savais. Mais j'étais seul pour mener mon combat, c'était trop pour un seul homme. Je ne pouvais pas me permettre de renoncer, mais j'avais peur de ne pas être à la hauteur.
J'en étais là de mes réflexions quand soudain je vis un type. Il titubait, comme un ivrogne, et sa chemise était couverte de sang. Je drus d'abord qu'il s'était blessé.

"Hé ! Vous ! Vous avez besoin d'aide ?"

Et je vis le corps mutilé à ses pieds. Il ne m'en fallut pas plus pour dégainer mon arme.

"Les mains en l'air ! Vous êtes en état d'arrestation !"

Quoique. La victime était bien amochée, ce type devait être un sacré psychopathe et il ne manquerait à personne si une balle venait malencontreusement se loger dans son coeur. J'envisageai sérieusement de tirer quand je reconnus le visage du mort. Jean-Claude Ravel, recherché pour trafic de stupéfiants, vols à main armée, actes de vandalisme et plus récement pour meurtre. Je le cherchais, mais il avait toujours réussi à filer. Je souris et baissai mon pistolet, le gardant tout de même en main au cas où.

"Mmmh... Je connais ce type, ce n'était pas un saint. Dommage, j'aurais voulu le flinguer moi-même. Qui êtes-vous ?"

"Les mains en l'air ! Vous êtes en état d'arrestation !"

#Hé Merde de merde!!! … Rah un keuf, manquait plus qu’ça. C’est vraiment ma veine, tiens !#

Il s’exécuta sagement et leva les mains bien haut, luttant toujours pour garder l’équilibre.
D’une voix pâteuse, aussi vacillante que ses guiboles, il s’adressa à la silhouette qui pointait sur lui un revolver.

« Ne… Ne tirez pas… »

Des idées, loin d’être claires, se bousculaient dans sa tête alourdie. Devait-il prendre sa forme hybride et réduire ce fâcheux individu au silence ? Ou bien fuir ? Dans tout les cas il risquait de se prendre un pruneau soit pendant sa métamorphose, ou dans sa fuite. Puis éméché comme il l’était, il ne pouvait se fier ni aux pensées foireuses qui lui venaient à l’esprit, ni à ses capacités physiques bien amoindries.
Il se contenta donc de répondre :

« Derek Jackowski… je… hum… Voilà mes… mes papiers. »

Il fouilla dans une poche de son trench-coat et en sorti un porte feuille qu’il tendit maladroitement au flicard qui le tenait toujours en joue.
D’un geste de la main, il lui fit signe de se calmer.

« Hé…oh… j’ vais tout… tout vous expliquer… mais baissez un peu votre flingue là…
Puis laissez-moi m’asseoir, j… je n’ me sens pas très bien…»

Cet homme était visiblement ivre. ça promettait d'être gai. Enfin, ça rajoutait du crédit à ce que je raconterais si jamais je choisissais de l'abattre. "L'individu visiblement pris de boisson s'est jeté sur moi avec l'intention évidente de me tuer, je n'ai eu d'autre choix que d'ouvrir le feu, tuant le suspect." Ainsi, je ne risquais aucun ennui. Au pire j'aurais de la paperasse à remplir, mais personne ne verserait une larme pour un type qui avait commis une telle boucherie.
Personnellement, je ne pouvais m'empêcher d'admirer la chose. Ce pauvre Jean-Claude en avait pris pour son grade, visiblement ce type n'était pas du genre à faire les choses à moitié. Une idée commença à germer dans mon esprit. Je m'approchai prudement et pris les papiers qu'il me tendait avant de reculer à une distance raisonnable pour les consulter. Derek Jackowski, c'était pas un nom d'ici.

"Allez-y, asseyez-vous, mais gardez vos mains en évidence. Que s'est-il passé avec ce type ?"

#Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui baratiner…
Ah ça, y a pas à dire, j’me suis mis dans d’beaux draps !#

C’est vrai qu’il ne se sentait pas bien, pas bien du tout même ! C’était la première fois qu’il se faisait pincer, et ce n’était pas une position des plus confortables.
Il s’assit en s’adossant au luminaire le plus proche tout en essayant de garder ses paumes tournées vers le ciel. Il était temps de passer à table, même s’il avait sérieusement envie de gerber.

« Bon, voilà… Je… je rentrais chez moi, après avoir… comment dire… Je crois que j’ai du un peu trop forcé sur la boisson… Bref… profitant de mon état de… faiblesse… ce type m’a attaqué pour me rafler mon larfeuille et … bah j’me suis défendu… »

Plaider la légitime défense, dernier recours… C’était pourtant ce qu’il s’était passé, à peu de chose près. Il n’était pas non plus obligé de raconter tout les détails. A près tout, le flic lui avait seulement demandé ce qu’il s’était passé avec ce type… et non pas si il y en avait eu d’autre.

« Ok… J’avoue que j’me suis p’têtre laissé emporter ! Mais je n’étais plus maître de moi… Je… Oooh la vache… »

Il prit douloureusement son visage dans ses mains, puis appliqua ses doigts encore souillés de résiné sec sur ses paumières closes, comme pour masser ses globes oculaires.

« Puis jetez y un coup d’œil. Là sur le corps… vous verrez qu’il a une arme sur lui. J’vous raconte pas de craques… »

C'était à peu près comme j'imaignais les choses. Ce...Derek rentrait chez lui rond comme une queue de pelle quand le Jean-Claude l'a attaqué pour lui voler son portefeuille. Je n'eus pas besoin de vérifier pour savoir que derek disait la vérité quant au fait que le voleur soit armé. Ravel utilisait le couteau papillon avec une certaine agilité, et avait aussi fait l'acquisition d'un 38. special. Je me penchai sur le corps sans quitter Jackowski des yeux et récupérai l'arme, elle aussi souillée de sang à moitié sec. Je l'essuyai sur les vêtements du mort et le glissai dans la poche de mon imperméable. Puis je me relevai et m'approchai un peu de Derek. Il ne devait pas être humain. Vampire ou hybride, sans doute.

"Dis donc. Ce n'est pas la première fois que tu tues, toi. N'ai-je pas raison ? Oh, je ne t'en blâmerais pas. Mais j'espère que tu choisis bien tes victimes."

Bien que son jugement fut bien altéré par son état d’ébriété plus qu’avancé, Jackowski ne put tout de même s’empêcher de trouver qu’il y avait quelque chose qui clochait chez ce flic. D’ordinaire il aurait eu assez de jugeote pour rester muet comme une carpe afin de ne pas aggraver son cas mais, l’alcool aidant, il ne put s’empêcher de lui faire part de son étonnement :

« J’ suis p’têtre pas ni en état, ni en position d’vous faire la morale, mais… Y m’semble bien que votre fonction exgis…esgui… exigerait… hum que vous me blâmeriez d’un meurtre, quel… quelqu’en soient les raisons ou les victimes, nan ?
Puis qu’est ce qui vous laisse croire que c’est pas la première fois ? J’ai une gueule de tueur hein ? »

Il ne put s’empêcher de sourire de son ironique rictus usuel.

« Et en admettant que je le sois… Comment je devrai « bien » choisir mes victimes ? »

Bien vite son espèce de demi-sourire railleur disparu de sa face blême. Son attitude, ses propres propos n'étaient sûrement pas ceux d’un homme à qui on avait rien à repprocher, et il oubliait bien vite qu’il était en mauvaise posture.

#Arrêtes de parler Jack… t’es déjà dedans jusqu’au cou, rien ne sert de t’enfoncer plus.#

Je me mis à tourner lentement autour de l'individu en jouant avec mon pistoler, veillant à ce qu'il n'essaie pas de se relever.

"Arrête un peu ton char. Ce genre de carnage c'est pas vraiment de la légitime défense. T'es quoi ? Un vampire ? Un hybride ? Non, tu en as sûrement profité pour t'amuser un peu. J'en ai côtoyé pas mal, des tarés en tous genres."

Je donnai un petit coup de pied dans la charogne, ce qui mit un peu de sang sur ma chaussure. Zut ! Il faudrait que je nettoie ça.

"Si tu avais tué une femme, un enfant, ou même quelqu'un dont je n'aurais pas connu les méfaits, je t'aurais sans doute tué sur-le-champ. Mais voir cette petite ordure découpé en morceaux me ravit. Je regrette juste de ne pas avoir pu le faire moi-même. En fait, je me demandais si tu pourrais refaire ça sur d'autres personnes... Des criminels, de préférence."

Rien ne servait de le cacher plus longtemps. Le type à qui il avait affaires n’était pas un abruti, et avait forcement constaté qu’un homme du gabarit de Derek, ivre qui plus est, ne pouvait à l’évidence trucider de la sorte un gars armé, et s’en sortir sans la moindre égratignure, à moins d’être un surhomme… ou tout simplement un non-humain.
Mieux ne valait pas trop jouer avec les nerfs d’un zigue qui tient continuellement braqué sur vous le canon de son revolver, alors autant avouer avant qu’il perde patience.

«Bien… J’suis un Hybride… Mais vous devrez m’croire sur parole, car j' suis répertorié nulle part en tant qu' tel. En fait, je garde ça secret… Par les temps qui courent c'est plus prudent.
Et j’pense pas que vous soyez assez naïf pour que vous m’autorisiez à vous faire une petite démonstration… »

Les yeux à demi clos, il luttait pour garder ses paupières le plus ouvert possible et tâcher de rester conscient. Mais heureusement, les singulier propos qu’on lui adressait contribuaient à le tenir éveillé.
Ainsi ce policier l’aurait abattu si le gars qu’il avait liquidé n’avait pas été un sale type ? Mieux encore, il se réjouissait de la mort du malfrat et regrattait de ne pas l’avoir butté lui-même ! Pas très professionnel tout ça… Enfin, pas très réglementaire en tout cas. Mais il n’était pas encore au bout de ses surprises.

Le meurtrier eut bref un haut-le-corps qu’il tenta de réprimer.

« Si je pourrais refaire ça… sur d’autres pers… ? … sur des… criminels ? »Répéta-t-il l’air incrédule.

« Je suppose que oui… ça doit effectivement pouvoir ce faire avec n’importe quelle autre personne. Enfin pourvu qu’elle soit vivante… Alors pourquoi pas des criminels, après tout… »

Finit-il enfin par répondre, non sans un certain ton persifleur pour le moins déplacé.

« Mais…Quel genre de flic vous êtes au juste? »

L'homme semblait avoir compris que je le tenais par les couilles et me dit ce que je voulais savoir. Ainsi donc je ne m'étais pas trompé, c'était bien un hybride. Un grand carnivore, sans doute, avec de sacrées mâchoires.

"Mais…Quel genre de flic vous êtes au juste?"

Je ne pus m'empêcher de rire à cette question. On me l'avait déjà posée, et depuis le temps j'avais forgé ma réponse.

"Je suis le genre de flic qui en a marre d'avancer avec des poids aux chevilles. Le genre de flic qui est prêt à tout pour faire régner la justice, même à sortir des sentiers battus."

Je me mis accroupi pour être à sa hauteur.

"Toi, tu n'es pas comme les autres racailles, tu tues par nécessité. Je me trompe ? On dit que les braconniers font les meilleurs gardes-chasse, nous allons vérifier cette théorie. Tu es quelqu'un de dangereux, tu pourrais tuer des innocents et tu l'as sûrement déjà fait. Mais si tu tues les bonnes personnes, celles qui ne méritent pas de vivre, tu serviras la vraie justice. Tu vas travailler pour moi. En échange je pourrais m'assurer que jamais personne ne vienne fourrer son nez dans le dossier de Derek Jackowski...si c'est bien ton vrai nom, sans compter que tu auras des proies bien vivantes. Qu'en penses-tu ?"

Je posais la question pour la forme, mais il n'était pas vraiment en mesure de marchander.

Ça y est ! Il l’avait fait. Le flic venait carrément de lui proposer un « marcher »!

« Moi ? Servir la justice ? ça c’est le comble !… »

Le meurtrier leva ses yeux gris injectés de sang vers l’homme qui s’était baissé de tel sorte qu’il pu détailler son visage. Il avait bien une tronche à sortir de la maison poulaga, avec ses cheveux raz et son visage austère. Le genre « bien propre sur soi ». Bref, le type qui n’a vraiment pas l’air de plaisanter. Il resta à le fixer un court instant de son regard vague avant d’ajouter, d’une voix plus sérieuse :

« Ok… Je marche. »

Bien sûre qu’il marchait. Il n’était pas dément au point de décliner une telle « offre ». Premièrement il se tirait en partie du pétrin où il s’était fourré. Deuxio il pouvait continuer de trucider tout en étant, dans une certaine mesure, sous « protection ».
Et tertio, il était bon pour bouffer les pissenlits par les racines s’il refusait…
Evidement, le fait de ne tuer qu’exclusivement des criminels ne le dérangeait pas plus que ça, du moment qu’il pouvait assouvir ses pulsion meurtrières. Cependant le fait de travailler pour quelqu'un n’était pas vraiment dans ses habitudes, et l’idée de perdre sa liberté lui déplaisait carrément. Enfin, il fallait parfois savoir faire quelques concessions. Puis c’était toujours mieux que de se retrouver à moisir en taule à perpète, ou encore que de servir de pâture aux asticots parce qu’on a écopé d’une balle dans la caboche.

# Enfin de compte... j’m’en sors pas si mal que ça. #

"Ok… Je marche."

Je me détendit. De toutes façons il aurait été stupide de refuser un tel accord. Je me relevai et rangeai mon arme dans ma poche, la gardant tout de même à portée de main.

"Bon. Alors maintenant tu travailles pour la loi. J'aurais bien aimé quelque chose de plus officiel, mais on a pas le temps. Aide-moi, on va devoir nettoyer tout ce ketchup avant que quelqu'un n'arrive, sinon je ne pourrais rien faire."

Je retroussai mes manches et tâchai de rassembler les morceaux du corps.

"On pourrait le flanquer dans la mare un peu plus loin. Comme tu lui as déjà bien ouvert le bide il ne remontera pas à la surface."

# Ah oui… le corps… J’l’avais presque oublié celui-là. #

En tant normal, sous sa forme hybride, il en aurait dévoré encore un peu plus pour faciliter les choses, mais là il n’était pas vraiment dans son assiette. Puis il n’était pas sûr que son nouveau patron approuve cette méthode.

« Va pour la mare… »

Il ne savait pas si le plus dur serait de traîner ce gaillard (enfin les différentes parties) ou bien tout simplement de réussir à se relever. Pourtant il y parvint sans trop de peine, bien qu’il lui semblât que le sol tanguait encore un peu sous ses pieds.
Ne voulant pas se résoudre à abandonner ses affaires personnelles, qui pourtant l’encombraient étant donnée la présente situation, Derek rassembla sa canne et son carton à dessin qu’il bloqua sous son bras gauche. Il aida ensuite son nouvel associé à ramasser les bouts de cadavre qui traînaient ça et là. Une fois cette tâche accomplie, ils portèrent le tout jusqu’à la dite mare.

« Attends ! Avant d’le balancer… »

Il posa à terre les pieds du mort et s’empara d’une énorme pierre.

« Le problème avec monsieur puzzle… c’est que les pièces détachées risquent de flotter dans tout les sens si on fout le tout à la baille comme des malpropres ! »

Il se pencha ensuite sur le corps et lui ôta son blouson ainsi que sa chemise et tout les morceaux de textile qui habillaient encore la dépouille.

« Alors, tu vois… faut tout rassembler ce qui se balade là dedans… puis on y ajoute quelques caillasses pour faire du leste… après on ferme bien paquet, et hop ! pour les poissons. R’gardes ça… le tissu est fin et prend l’eau presque illico. Y coule à pic ! »

Tout en l’appliquant, il avait indiqué la démarche à suivre comme s’il n’avait s’agit que d’une simple formalité. Après ça, il se tourna vers le reste de la carcasse, qui tenait désormais plus qu’en un seul morceau.

« Tiens… On va aussi lui fourrer un peu d’ rochers dans les entrailles, ça pourra pas lui faire de mal. Prends les deux grosses là-bas… Là… en plus de celles-ci, ça devrait suffire… Voilà, comme ça y risque pas d’ remonter pour dire l’bonjour aux promeneurs ! »

Je hochai la tête et ramassai les pierres. Je n'aimais pas trop qu'il me donne des ordres, mais il fallait bien qu'on fasse disparaître ce macchabée. Je n'avais pas l'habitude de faire disparaître les corps en les jetant à la flotte. En général je les faisais brûler, ou bien je les coulais dans du ciment, quand je ne les enterrais pas au milieu d'une forêt. Mais ici, les options étaient restreintes et il fallait agir vite.
Je truffai le corps de pierres et le soulevai par les jambes.

"Vas-y, prends les bras. à la une...à la deux..."

« Et à la trois ! »

Un énorme « splash » retentit et des éclaboussures jaillirent lorsque le corps vint briser le miroir lisse de l’eau noire et stagnante de l’étang. Aussitôt la masse inerte sombra et les ondes ne tardèrent pas à retrouver leur apparence dormante, comme si rien ni personne n’était jamais venu les déranger.
Essuyant ses mains poisseuses sur son pantalon déjà tout maculé d’hémoglobine (comme le reste de ses vêtements d’ailleurs), le responsable de cette boucherie nocturne se tourna vers son improbable complice.

« Et maintenant ? »

"Maintenant il faut qu'on s'éloigne d'ici. Suis-moi. On va aller chez moi et je t'équiperais pour la suite."

Je l'emmenai jusqu'à l'extérieur du parc, jusqu'à ma voiture. Je m'installai au volant et lui ouvris la portière passager avant.

"Essaie de ne pas mettre de sang partout, c'est ma voiture de fonction alors ça ferait brouillon."

Par chance, les sièges en cuir se nettoyaient facilement, je n'aurais qu'à y passer un coup d'éponge avec du désinfectant. C'est d'ailleurs pour ça que je les avais choisis. J'avais déjà flingué un politicien véreux dans cette voiture, sur le siège arrière plus précisément. Et j'avais réussi à faire disparaître toutes les traces.

"Monte."

Le flic le conduisit jusqu’à sa bagnole et l’invita à y prendre place. Lorsqu’il lui enjoignit de ne pas trop salir l’intérieur du véhicule, Jackowski haussa les épaules. Il s’installa aux cotés du conducteur, et essaya à plusieurs reprises de boucler sa ceinture de sécurité. Tentative qui partait pourtant d’un sentiment bien éclairé mais s’avéra être aussi laborieuse qu’agaçante à réaliser. A peine commencèrent-ils à rouler, qu’il somnolait déjà regardant (sans vraiment le voir) le paysage flou défiler derrière les vitres.
Quelle heure pouvait-il bien être ? Dans les environs de cinq heures moins le quart sûrement.
Mais il ne prit pas la peine de vérifier, et laissa sa tête brûlante s’appuyer sur la fenêtre froide de la portière.
Où l’emmenait-il déjà ? Ah oui… Chez lui. Et pourquoi faire ? L’équiper ? Qu’est-ce que cela signifiait au juste ?

#Bof…On verra bien.#

Il lui sembla que la conduite de son chauffeur était un peu brutale. Nerveuse peut-être. La vitesse à laquelle ils roulaient lui paraissait un rien excessive et les virages bien brusques. Ou peut-être était-ce simplement sa trop grande lassitude qui était cause de son malaise. Aussi il garda le silence, et fini même par fermer les yeux, prenant sur lui à chaque tournant pour ne pas avoir mal au cœur.

L'hybride semblait dormir. Pourvu qu'il ne vomisse pas, ce serait plus difficile à faire disparaître. Au moins, plus il fermait les yeux et moins il avait de chance de savoir localiser l'endroit où j'habitais, c'était plutôt une bonne chose. de toutes façons, beurré comme il l'était il l'oublierait assez vite.
Nous finîmes par arriver devant ma maison. Je garai la voiture et aidai mon nouveau complice à descendre. Je le soutins jusqu'au salon et le laissi tomber dans le canapé (qui était en vinyle, idéal pour nettoyer les tâches compromettantes). Là, j'ouvris un tiroir et en sortit un téléphone portable. C'était un de ces téléphones jetables qu'on achetait pas cher en grande surface avec un forfait intégré. j'en utilisais parfois pour communiquer à distance avec des types qui travaillaient pour moi. Jackowski n'était pas le premier, il m'était déjà arrivé d'engager des petits voyous. Ils me disaient ce qu'ils savaient, ils m'aidaient à faire tomber leurs complices, et je les laissai tranquilles...à condition qu'ils ne recommencent pas leurs magouilles, auquel cas je les éliminais. Ces téléphones étaient surtout utiles dans la mesure où personne ne pouvait savoir à qui ils étaient, et donc, personne ne pourrait faire le rapprochement entre moi et le porteur de ces appareils.
Je jetai le téléphone sur les genoux de Derek.

"Tiens. Je t'appellerais là-dessus quand j'aurais besoin de toi. Quand tu rentreras tu le cacheras quelque part chez toi."

La portière s’ouvrit et le flicard le tira hors de la voiture. Jack’ ne s’était même pas rendu compte de leur arrêt. En un rien de temps il se retrouva affalé dans un canapé, et son hôte lui lança négligemment une espèce de petit gadget, qu’il identifia comme étant un téléphone portatif de piètre qualité. Le flic lui expliqua qu’il le joindrait avec, et lui recommanda fortement de le planquer une fois rentré chez lui.
L’hybride acquiesça.
Pourvu qu’il s’en souvienne. Enfin, jusque là ce n’était pas trop compliqué…

« Bon… C’est tout ? »

Présentement il n’avait qu’une envie : aller se pieuter. Il se demanda si la délicatesse de son nouveau chef irait jusqu’à le raccompagner en sa demeure. Et il craignait fort bien que oui…
Ne serait-ce que pour savoir où il créchait, et histoire d’être sûre qu’il ne ferait pas d’autre conneries dehors avant d'avoir dessoûlé.

« D... dois-j’encore savoir… aut’chose ? Mmh ? »

"D... dois-j’encore savoir… aut’chose ? Mmh ?"

"Déjà, sache que je vais te surveiller de très très près. Alors ne fais pas de conneries."

Je regardai l'heure. Il se faisait tard. Dans quelques heures je devrais retourner au commissariat.

"Bon, maintenant tu vas rentrer chez toi. Je te contacterais dans la journée, quand tu auras un peu dessaoûlé."

Je l'aurais bien raccompagné ne serait-ce que pour voir où il habitait, mais j'étais fatigué, j'avais besoin de dormir un peu. Et puis de toutes façons pour avoir son adresse je n'aurais qu'à fouiller dans les fichiers de la police. S'il travaillait, il devait bien avoir une adresse répertoriée. Je fouillai dans mon portefeuille, en sortis un billet de 20 euros et le lui donnai.

"Tiens. Avec ça du as largement de quoi prendre un taxi."

Je l'aidai à se lever et le raccompagnai jusqu'à la porte.

Encore un dernier avertissement, comme quoi il l’avait à l’œil, alors pas de conneries… C’était clair. De toute façon, il en avait eu sa dose, pour cette nuit, de conneries.
Ça y est. Ce type allait enfin lui lâcher la grappe et il pourrait enfin regagner ses pénates pour pioncer tout son soul. Jack’ espérait juste qu’il ne l’appellerait pas trop tôt car le réveil s’annoncerait difficile. Voir très difficile…
Le flic ne le raccompagnerait pas. C’était déjà ça de prit… Bien que ce ne fût pas vraiment à juste titre, il se surprit même à sentir comme une sorte de soulagement.
Sans se poser de questions, il prit les 20 euros qu’on lui tendait et ce n’est qu’en passant le pas de la porte qu’il percuta. Avisant ses vêtements maculés de sang, il se tourna vers celui qui le congédiait sans plus de cérémonies :

« J’espère que le chauffeur de taxi ne se posera pas trop de questions… Ces mecs là sont tellement bavards, vous savez… Enfin… à vos ordres, chef. »

J'ouvris la porte et laissai sortir Jackowski.

"Si le chauffeur pose trop de question, tu raconte l'histoire classique : tu t'es fait agresser à la sortie d'un bar alors que tu étais bourré. Il n'aura qu'à renifler ton odeur de vinasse pour tout gober."

Et je refermai la porte. J'éteignis ensuite les lumières et allai dans ma chambre, m'écrouler tout habillé sur mon lit. J'allais bien dormir, ce soir-là. J'avais une nouvelle carte dans mon jeu, les ordures de cette ville n'avaient qu'à bien se tenir...

(Je crois qu'on peut finir là.)

» Mauvaise lune [Raven]
» La lune, l'homme et le chien (Marvin et Basker)