Dans un décor de bohème...

Alessa n'avait pas même pris le temps de s'assurer de l'absence de son professeur lorsqu'elle quitta les Beaux Arts, se contentant simplement de mener en son humble demeure la jeune étudiante qui lui avait demandé enseignement.
Et quelques petits tours en métro plus tard, les voici donc à Montmartre, dans ce quartier d'art et de bohème qu'Alessa aimait tant.
Son appartement, très modeste, était situé à mi-chemin du Sacré-Coeur, et du plat pays, et il nécessitait d'emprunter quelques unes de ces divines marches qui menaient au monument.
Lorsqu'elles arrivèrent enfin, Alessa invita Alicia à entrer après lui avoir ouvert la porte.
L'appartement suivait les principes architecturaux du Baron Haussmann, tant extérieurement qu'intérieurement.
Pas forcément vaste, il s'étendait en revanche sur deux étages. Au rez-de-chaussée se trouvaient cuisine, salon, W.C. et vestibule, au premier deux chambres et un bureau, quant au second étage, il était plus une sorte de grenier, entièrement de bois recouvert, et donnait une vue imprenable sur Montmartre et l'ensemble de Paris de par les larges et béantes fenêtres qu'Alessa y avaient installé: c'était là son atelier où elle s'enfermait souvent des heures entières pour s'affairer à ses travaux.
La décoration de l'appartement était relativement sobre, mais très appréciative du bois sculpté. Sur chaque murs se trouvaient, à bon nombre d'endroits différents, de grandes œuvres connues mondialement, et dont la ressemblance avec les originaux étaient frappantes tant par l'esthétisme que la matière. Il y avait là de quoi tromper même le meilleur des connaisseurs.
Aussi, de nombreux livres - dont les deux publiés sous le pseudonyme Miw'a - étaient entreposés ça et là dans une bibliothèque imposante, mais pourtant fort belle et harmonieuse avec le reste du décor.
Alessa laissa donc libre cours à son invité de visiter l'appartement. Elle n'avait rien à cacher, puisque ce qui devait rester secret était déjà bien dissimulé.

" Tu pardonneras le désordre, je ne suis pas très pointilleuse quant au rangement. Mais heureusement, il n'y a que dans ce domaine-là ! "

En effet, sur la table basse était déposé l'ordinateur portable d'Alessa, et partout autour, jusqu'à même sur le canapé, des livres et des fiches étaient éparpillées.
Ca faisait quelques jours qu'elle bossait sur son nouvel article anti-Chasseurs pour le journal parisien. Elle en avait déjà rédigé un premier, et d'autres par la suite, le soucis étant qu'elle ne savait trop lequel publier en premier. Il fallait suivre un certain ordre chronologique.
Elle alla donc rassembler ses feuilles et bouquins et les poser sur un coin de table.

" Je t'en prie, installe-toi et fais comme chez toi... Tu veux boire quelque chose ? "

Et en attendant la réponse d'Alicia, elle se dirigea vers l'embrasure qui reliait le salon à la cuisine, et s'arrêta là pour observer un spectacle des plus charmants: Sawwa, allaitant ses petits chatons nouvellement né d'une semaine, dans son panier.
Alessa offrit à sa chère et tendre chatte quelques délicates caresses, puis se tourna vers Alicia, en attente de sa réponse.

Je suivis Alessa dans le métro, ne disant pas grand-chose pendant le trajet. Je préférais garder toutes mes questions pour plus tard. Nous montâmes dans un vieil immeuble, et j'eus enfin accès à son antre. Je regardai Alessa, d'un signe de tête elle me fit comprendre que je pouvais visiter. C'était plutôt vaste et bien équipé, le premier niveau offrait une habitation lumineuse et décorée avec goût. Alessa possédait bon nombre de reproductions d'oeuvres célèbres. En serait-elle l'artiste ? Les reproducritons étaient fidèles. Personnellement, je n'aurais pas vu la différence avec les originaux. Mais bon, je n'étais pas non plus une grande critique d'art. Elle semblait aussi lire beaucoup, à en juger par la taille de sa bibliothèque. J'y repérai les deux livres de l'auteur qui faisait une rubrique dans le journal, Miw'a.

"Tiens, je les ai ces deux-là."

Le deuxième niveau de l'appartement abritait, comme je le pensais, un atelier rempli de toiles plus ou moins terminées. Cet endroit ne pouvait être la piaule que d'un artiste passionné, pas de doutes là-dessus.

"J'aime bien la déco. Bon, c'est pas trop mon truc, mais ça le fait vachement."

Certes, c'était un peu bordélique, mais j'étais plutôt mal placée pour critiquer. Je m'assis sur le canapé et vit le chat dans son panier, entouré de ses tout petits chatons.

"Ooooh ! Vous avez des chatons ! Comme ils sont mignons. Je prendrais bien un coca, si vous avez."

Je regardai autour de moi.

"Alors vous arrivez à vivre de vos oeuvres ?"

Un Coca-Cola pour la demoiselle, aucun soucis à ce niveau.
Alessa rejoignit la cuisine et y attrapa la commande dAlicia, se servant quant à elle un simple diabolo menthe avant de ramener les deux verres sur la table basse.
Lorsque son invitée remarqua les chatons et fit montre de ses impressions, Alessa ne put s'empêcher de sourire. Elle n'était pas peu fière de ces trois-là, sans parler de Sawwa !

" Ils sont nés il y a bientôt dix jours. J'avais peur qu'ils se portent mal, mais finalement ils vont très bien. C'est que leur petite maman commence à se faire vieille, à la longue... Mais elle a plutôt bien supporté la grossesse et la mise à bas. Tant mis d'ailleurs ! Je ne sais pas ce que je ferai sans elle. "

Alessa affectionnait énormément Sawwa. Elle l'avait depuis dix ans maintenant, et elle avait été le petit être vers qui elle se tournait lorsque, plus jeune, des larmes voulaient couler sur ses joues enfantines.
Elle la chérissait, comme si, au fond, elle avait vécu plus d'une vie avec elle.

Alessa se dirigea ensuite vers un des bahuts qui ornaient son salon, et, après avoir ouvert un des tiroirs, en sortit une boîte métallique - elle aussi peinte - qu'elle déposa sur la table avant de l'ouvrir. A l'intérieur, des tas de petits biscuits et chocolats y étaient disposés.
Elle fit signe à Alicia de se servir, puis vint finalement s'assoir sur un des fauteuils entourant le canapé.

" Alors comme ça tu as les livres de cette Miw'a ? Elle s'est mise à jouer un jeux dangereux en s'en prenant aux Chasseurs dans les journaux... Il fallait bien que quelqu'un dise les choses comme elles sont, cela dit j'espère que ça ne va pas lui attirer d'ennuis.
Quoiqu'il en soit, tant que son identité restera secrète ça devrait aller, j'imagine... "

Elle esquissa une moue songeuse, puis tira son verre à elle et en but quelques gorgées.
Elle était bien curieuse de connaître l'avis réel d'Alicia. Elle en avait déjà une certaine idée, bien sûr, surtout depuis qu'un certain A. Mercier avait répondu à son article, cependant, elle préférait ne pas précipiter les choses et la laisser venir à elle.

Puis Alicia demanda à son hôte si elle arrivait à vivre de ses œuvres; une affirmation plus qu'une interrogation, à laquelle Alessa choisit d'acquiescer avant de se préciser.

" Certains de mes clients sont très fortunés, et par conséquent très généreux, surtout lorsque le travail est bien fait et réalisé rapidement. J'ai souvent quelques extras.
On dit souvent qu'il est difficile de vivre de l'art, mais à partir du moment où on sait exactement quoi en faire et avec qui, la question ne se pose plus.
J'ai toujours eu, disons... Les bons contacts. "

"Dix jours ? Il sont mignons."

Alessa avait dû remarqué que j'avais prêté une certaine attention aux livres de Miw'a.

"Ouais. Elle dit à voix haute ce que tout le monde pense, en l'argumentant. Les chasseurs devraient lire ça, ça les changerait. Mon père pense qu'il faudrait tous les exécuter, mais moi je pense qu'il y a une autre solution. Et oui, je fais partie des optimistes échevelés qui croient qu'on peut régler les choses par le dialogue. Je n'ai encore jamais rencontré de chasseur, alors je pense avoir un point de vue suffisament impartial. Et puis pour Miw'a, je pense qu'elle est assez futée pour qu'on ne découvre pas son identité."

Je bus un peu de mon coca et regardai l'appartement.

"Des bons contacts ? Dans la mafia ?"

Je lisais trop de romans policiers.

Alicia avait un point de vue bien concret et tout fait sur Miw'a. Elle semblait même l'admirer... C'était flatteur. Mais d'une certaine façon, c'est ce qu'avait voulu Alessa en demandant aux journaux de la publier: "Des gens qui me haïssent, d'autres qui me soutiennent. Je me fiche encore de ceux qui me mépriseront." Voilà ce qu'elle s'était dite en envoyant les manuscrits.
Il fallait que les choses soient mises au clair. Les Chasseurs n'étaient que les disciples d'un Dieu noyé dans l'ignorance, des fidèles à la foi aveugle et bornée. Excuser leurs crimes par la puissance divine, c'était tout ce qu'il y avait de plus ridicule et malsain. Où donc étaient partis leurs principes initiaux ? Ceux des véritables et fervents croyants....

" Ne cherche pas le dialogue avec les Chasseurs, Alicia. Ils sont cupides et arrogants. La seule chose qu'ils voudront faire en t'apercevant, toi, hybride, ce sera te tuer, dans les pires souffrances possibles.
Ne cherche pas le dialogue... Beaucoup ont déjà essayé avant toi. Tous y sont passés. Crois-moi, ce serait signer la défaite que d'essayer de comprendre ces êtres insensés qui sont devenus bien plus bestiaux et sanguinaires que la plupart des hybrides de ce monde.
Ne mets pas ta vie en jeu si facilement... S'il te plaît. "

Cette fille était encore trop naïve. Elle n'avait aucune idée de la véritable violence des Chasseurs. Mais le plus malheureux dans tout cela, c'est que malgré sa mise en garde, Alessa savait que son invitée n'en tiendrait pas rigueur. Comment pouvait-elle faire confiance à une femme encore inconnue ?

# Les Chasseurs sont la nouvelle plaie de ce monde... Ils nous extermineront tous, comme le Sida tuaient il y a encore vingt ans... Ils sont un véritables fléau #

Puis Alicia demanda si les contacts qu'avaient son hôte étaient de la mafia. Alessa fut bien surprise de sa remarque, mais aussi amusée. Peut-être son invitée avait-elle dit cela avec légèreté, quoiqu'il en soit, elle était très proche de la vérité. Mais il était encore impossible à Alessa de le lui confirmer. Aussi s'enquit-elle d'un simple rire amusé avant de lui répondre :

" Eh bien, je ne pense pas m'être encore mise dans de si beaux draps. La mafia, bien peu pour moi. Je tiens à ma vie et à ma liberté, ma grande.
Non, quand je dis contact, je parle de gens qui touchent aux bons domaines : des conservateurs du Louvre, des professeurs d'Université, de riches hommes d'affaires, et j'en passe. Un jour je t'emmènerai à une vente aux enchères si tu veux. C'est là-bas qu'il faut commencer, pour se créer un répertoire digne de ce nom. "

"D'accord, je tâcherais d'être prudente. Mais je n'aime pas l'idée du pour vivre heureux vivons caché. Je suis une hybride, et je pense que le renier c'est comme de laisser la victoire à ces types. Ma mère m'a toujours dit d'être fière de ce que je suis."

Et au moins, ce n'était pas à cause de ces conseils que ma mère était morte.

"Au moins, je sais que tu n'es pas une chasseresse. Si c'était le cas tu n'aurais pas les livres de Miw'a dans ta bibliothèque, ils seraient plutôt dans ta cheminée. Mmm...je ne pense pas que tu sois un vampire. D'après moi tu es ou bien une humaine, ou bien une hybride, ce qui expliquerait beaucoup de choses."

J'étais franche, j'aimais jouer carte sur table.

Sans rechigner ni se renfrogner, Alicia avait cédé à la demande de son hôte, ce qui surprit quelque peu Alessa. Mais d'une certaine façon, elle se dit qu'Alicia avait simplement dit qu'elle ferait preuve de prudence... Ce qui, en somme, n'engageait en rien.
Cependant, elle prononça des mots qui étonnèrent Alessa, concernant l'expression "Pour vivre heureux, vivons cachés".
Sur ce point, elle n'était pas d'accord, et ne se fit pas prier pour l'expliquer à son invitée.

" Les hybrides ne vivent pas cachés, Alicia, s'ils sont à Paris, c'est justement pour pouvoir vivre librement. Et toi qui soutiens Miw'a, tu devrais savoir que justement, les hybrides ne se cachent pas. Certains peut-être, mais c'est leur problème.
Fais comme te dit ta mère, et sois fière de ce que tu es. Et si tu veux honorer ton rang, alors bats-toi contre celui qui cherchera à t'humilier ou t'avilir. "

Il ne fallait pas qu'elle se laisse avoir par de tels préjugés, et il fallait qu'elle vive par elle-même, selon ses propres principes.
Cela dit, son esprit était intéressant, et Alessa réfléchissait quant à élargir ses enseignements à autre chose que l'art, pour elle. Après tout, ne lui faisait-elle pas penser à elle lorsqu'elle était plus jeune ? Elle pensait exactement de la même façon, et utilisait les mêmes mots qu'elle quelques années plus tôt. Cette simple pensée la fit sourire.

" Eh non, je ne suis pas une chasseresse, comme tu dis. Cela dit, je pense que certains Chasseurs, s'ils sont intelligents, doivent avoir les livres de Miw'a dans leur bibliothèque ; c'est que ses écrits peuvent être intéressants d'un point de vue adverse. Si on regarde, elle divulgue de temps en temps des points faibles sans même s'en rendre compte.
Et je ne suis pas non plus un vampire, fort heureusement, ajouta-t-elle, en pensant à tous ces canidés qui en étaient.
Que préfèrerais-tu que je sois ? Humaine ou hybride ? "

"Me battre ? Je ne sais pas. Je n'aime pas trop ça. J'ai toujours eu horreur de la violence. Bien sûr, il m'es déjà arrivé de ma battre à l'école, ce genre de choses. Mais tu crois vraiment que je devrais lutter comme ce type, là, Arven ? Je n'ai jamais tué, et j'espère ne jamais avoir à le faire."

Je m'imaginais assez mal utiliser les Lugers pour trouer la peau d'un être vivant. Mon père n'aurait pas hésité à faire avaler son bulletin de naissance à quiconque aurait voulu me faire du mal, mais pour moi ces armes devaient rester des objets de collection.

"Je n'ai pas de preuve tangible, mais personnellement je te verrais bien en hybride. C'est bien ça ? Je peux voir ?"

" Il y a plusieurs façons de se battre, Alicia... Miw'a est un excellent exemple, d'ailleurs: elle mène le même combat qu'Arven. Sauf qu'elle, elle utilise des mots. C'est certes moins efficace, mais de cette manière, elle n'use pas de violence ni ne se retrouve avec du sang sur les mains.
Il te suffit simplement de trouver ton mode de combat à toi. Tu peux te limiter à avoir tes propres avis sur la question, tout comme tu peux devenir un chasseur de chasseur. Tant que tu crois en tes convictions, alors tu mènes un combat, d'une manière ou d'une autre.
La violence n'a pas réponse à tout. "

Ça aurait été amusant d'avoir cette grande jeune fille en disciple. Certes, elle était déjà bien trop âgée pour un jour espérer atteindre le niveau de combat d'Alessa, mais elle pouvait tout de même apprendre les bases et apprendre à se défendre un minimum.
Mais ce point-ci, elle le verrait le moment venu. Il n'était pas encore temps de se mettre trop en confiance devant cette Alicia qui, encore, lui était presque inconnue.
Quelques instants après, celle-ci supposa, avec justesse, que son hôte était hybride. Cependant, Alessa ne voulait pas lui dévoiler cette facette là du personnage tout de suite.

" Donnant donnant, Alicia. Tu me montres, et je te confirme, ou pas, tes suppositions. "

Un sourire amical était venu s'apposer sur ses lèvres. Cette gamine lui plaisait bien, finalement, le courant passait, et malgré sa candeur actuelle, elle savait qu'elle était une personne bien et intelligente.
Tirant son verre à elle, Alessa le porta à ses lèvres et but quelques gorgées, attendant avec une impatience certaine de découvrir la véritable nature de son invitée...

Je réfléchis à ses dires. Oui, je trouverais bien un moyen de mener le bon combat à ma façon. Enfin bon. Alessa voulait voir ma forme hybride. Je n'avais rien contre, bien au contraire, mais j'avais peur qu'en obéissant tout de suite elle refuse ensuite d'en faire autant.

"D'accord. Mais je veux que tu me promettes de me montrer aussi. Comme tu l'as dis, tu es peut-être une chasseresse rusée. On n'a qu'à le faire en même temps, tiens."

Ceci étant dit, je commençai à me transformer. Je me mis d'abord à rétrécir pour atteindre les trois quarts de ma taille. Mon corps se couvrait de fourrure rousse, noire et blanche. Une fois fini, je trônais au milieu du salon d'Alessa, flottant dans mes vêtements. Je regardai alors à quoi elle ressemblait.

Alicia était rusée, et n'offrait finalement pas confiance si vite que cela. Cependant, Alessa pouvait se montrer tout aussi rusée qu'elle si elle le désirait, bien qu'elle ne voulait pas que la situation s'envenime alors que tout était si bien parti.

" N'oublie pas que je ne t'ai pas encore confirmé être une hybride. Comment suis-je sensée me transformer si je ne le suis pas ? "

Cela dit, Alicia se transforma tout de même, dévoilant sa forme hybride à son hôte.
Alessa aurait simplement préféré la forme animale... Sa forme hybride, elle préférait l'arborer qu'en cas d'extrême détresse.
Cela dit, alors même qu'elle s'était décidée à se transformer, elle réalisa qu'Alicia arborait une forme de renard... Et qui disait renard disait... Canidé.
Son premier réflexe fut de jeter un œil vers Sawwa et les chatons, puis de finalement arborer sa forme animale. Elle ne voulait pas s'exposer en hybride, même chez elle.
Alors elle se contenta de montrer le chat noir aux yeux verts qui sommeillait en elle, assise sur son bout de fauteuil.
Cela dit, elle ne conserva pas cette forme bien longtemps... S'exhiber ainsi n'était pas dans ses habitudes. Alors, dès qu'elle estima qu'Alicia l'avait assez observée, elle reprit forme humain après avoir quitté la pièce, histoire de ne pas se montrer nue devant son hôte, puis revint quelques minutes plus tard, changée, et une certaine expression de malaise sur le visage.

" Euhm... Ne m'en veux pas, Alicia, mais je n'aime pas ma forme hybride... "

Celle qu'elle avait pris pour élève était un canidé. CA-NI-DÉ.
Elle aurait du le sentir... Mais peut-être s'était-elle laissée aveugler par son habilité en art.

" ... Quoiqu'il en soit ... Tu es un bien bel animal. "

Elle n'était pas totalement ingrate, non. Elle admirait le pelage rougeoyant du renard, quand bien même il restait un canidé...
Était-il donc interdit d'admirer celui que l'on est censé haïr ?

Elle n'aimait pas sa forme ? Oooooh...

"Bah pourquoi ? Moi je te trouve très belle."

C'était vrai, elle était magnifique sous sa forme animale, même si elle n'y demeurait pas longtemps. Je repris forme humaine, rajustant mes vêtements. Puis je me rassis sur le canapé.

"Non, vraiment. Tu fais une très belle chatte. En tout cas j'avais vu juste."

Alessa savait que sa forme animale était belle, elle l'appréciait beaucoup. Mais c'était de la forme hybride que l'on parlait. Et bien qu'elle ne la déteste pas en réalité, elle ne souhaitait cependant pas la dévoiler devant cette jeune fille qui lui était encore quelque peu inconnue.

" J'aime les chats, je ne puis donc pas renier ma forme animale, au contraire. Cependant, c'est ma forme hybride que je n'apprécie pas. Peut-être me rappelle-t-elle tout simplement de trop mauvais souvenirs pour que j'ose encore l'arborer... "

D'une certaine façon, elle disait la vérité. Mais quand bien même sa forme hybride lui rappelait de sinistres songes, jamais Ô grand jamais elle ne la renierait. Elle lui était bien trop utile...

" Enfin quoiqu'il en soit, tu avais bien vu juste. Je ne suis pas qu'une simple humaine. Tu comprends peut-être un peu mieux pourquoi j'aime peindre les animaux et les hybrides. "

A ces mots, elle piqua un biscuit sec dans la boîte qu'elle avait déposé sur la table, puis le dégusta avec délectation, entre deux gorgées de menthe.
Alicia était un canidé, ça, elle ne l'oubliait pas. Mais mieux valait pour elle qu'elle n'exprime pas son amertume tout de suite, surtout maintenant qu'elle avait vu son chez elle.

" Tu me fais voir la forme animale ? Enfin, si tu n'y vois pas d'inconvénient... J'ai toujours trouvé le renard splendide - ce qui était vrai malgré son aversion pour les canidés -, ça me ferait plaisir de pouvoir observer ce fougueux pelage roux de si près. "

Un vague sourire était venu s'apposer sur ses lèvres. Un renard, dans son appartement... Qui aurait pu croire cela ?

Mon sourire s'estompa un peu quand Alessa me parla de lui montrer ma forme animale. Non pas que ce soit hors de question, mais...

"Aeuuuh... Tu es sûre ?"

Je tortillai mes doigts.

"Je sais pas, ça me tente pas trop. C'est pas que j'aime pas cette forme, mais j'ai toujours eu un mauvais pressentiment."

Devais-je lui parler de mes rêves bizarres ?

"En fait, je sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que je pourrais rester coincée sous cette forme. C'est peut-être idiot, mais ça me fait peur."

Comment m'expliquer de façon plus concrète ?

"Ma mère était une hybride comme moi, mais elle est morte...d'un cancer. Quand elle a senti son dernier souffle arriver elle s'est transformée. Et c'est sous la forme d'une renarde que les infirmiers l'ont trouvée, raide."

Ce détail m'avait particulièrement marqué. Je crois qu'au fond de moi je pensais que si je devais mourir ce serait sous cette forme, et que je pouvais retarder l'échéance en ne l'adoptant jamais.

Alicia fit preuve d'une certaine réticence quant à l'idée de montrer sa forme animale. Du moins, c'est ce qu'avait pensé son hôte lorsqu'elle avait hésité, puis refusé. Mais après avoir entendu ses explications quelques peu confuses, Alessa comprit d'où venait le réel problème. Aussi, à ces mots, un vague sourire s'étendit sur ses lèvres.

" Je peux comprendre ton appréhension, Alicia. Mais si tu me le permet je vais te dire une petite chose concernant ta mère... "

Alesse n'était pas vraiment du genre à offrir de condoléances, lorsqu'on lui parlait de défunt. En vérité, elle haïssait ce mot, car elle savait que les gens le prononçait par simple politesse, plus que par véritable compassion. En somme, ça n'était qu'une hypocrisie cachée derrière la marque du respect.
Aussi, finit-elle par terminer sa phrase, commencé quelques instants plus tôt.

" Je ne souhaite pas parler en son nom, car je ne la connaissais pas, mais tu m'as dis toi-même que ta mère te disais de toujours être fière de ce que l'on est, n'est-ce pas ?
Ne penses-tu pas de la sorte que si elle s'est transformée avant de mourir c'était sans doute pour cette raison ? Elle avait peut-être plus envie de partir sous la forme d'un animal qu'elle aimait et chérissait que sous la forme d'un humain malade et marqué par la souffrance des dernières heures... "

Alicia ne devait pas se laisser ronger par de telles impressions.
Aussi Alessa sentait la conversation dériver, et craignait que son invitée ne devienne trop morose. Alors, sur un ton amical accompagné d'un sourire du même ordre elle ajouta avec légèreté:

" Mais si ça te pose problème, laisse tomber, d'accord ? Je n'aurais qu'à me trouver un bois tranquille le jour où j'aurais l'irrépressible envie de me trouver face à un renard. "

Je restai un moment sans rien dire, regardant juste le bout de mes rangers en tortillant mes doigts. Je n'osais pas trop avouer mes craintes quelques peu ridicules. Je me levai et me mis face à la fenêtre. je regardai dehors, dans le vague, comme si j'attendais simplement qu'un tireur d'élite m'abatte depuis le toit d'un immeuble voisin. Puis je me retournai, m'appuyai contre la vitre, et esquissai l'ombre d'un sourire.

"En fait, peut-être bien. à condition...que tu me montres ta forme hybride. Toi aussi elle te rappelle de mauvais souvenirs, ainsi nous serions à pied...à patte...d'égalité."

Alessa optempéra et se transforma en hybride. J'en fus à la fois ravie et déçue. Maintenant je savais à quoi ressemblait ma nouvelle amie sous sa forme hybride, et je savais qu'elle me faisait suffisament confiance pour accepter de me la montrer. Par contre, il allait me falloir remplir ma partie du contrat. Je n'en avais pas très envie, mais je mettais toujours un point d'honneur à tenir mes promesses.
Je ne pris pas la peine d'enlever mes vêtements, de toutes façons je faisais partie des hybrides dont la forme animale était plus petite que leur forme humaine, ça n'avait pas que des défauts. Je me mis à rétrécir en me couvrant à nouveau de fourrure, je tombai à quatre pattes. C'était rapide, trop facile à mon goût. Une fois que ce fut terminé, je m'extirpai du tas de mes vêtements et bondis sur le canapé. Sauf que je ratai mon coup et me heurtai à la table basse. je n'avais plus l'habitude de me déplacer sous cette forme. Je me plaquai au sol avec un glapissement, la tête entre les pattes avant, regardant Alessa d'un air suppliant. Je n'aimais pas beaucoup cette forme. Impossible de parler, de dessiner, c'était comme si tout ce que j'étais, l'étudiante, la gothique, disparaîssait pour ne peut-être jamais réapparaître.

Alicia avait tenu sa part du contrat. L'espace d'un instant, Alessa crut bien qu'elle n'en ferait rien, mais ce ne fut pas le cas, et son invitée honora sa parole, bien à contre-coeur.
Sa forme animale était belle, vraiment très belle, et ce, même si Alicia la craignait.
De son côté, la chatte Sawwa relevait la tête, rendue confuse par la présence d'un animal habituellement considéré comme ennemi dans la demeure de sa douce maîtresse. Mais en vue de l'acceptation que celle-ci lui conférait, elle n'intervint pas, et repris sa position allongée, certes encore quelque peu inquiète, tandis que ses petits reprenait leur tétée.
Alessa savait que d'une certaine façon Sawwa n'accepterait pas une présence telle que celle d'un canidé dans sa demeure. Mais elles se faisaient assez confiance pour savoir qu'elle ne risquait rien.

Lorsqu'Alicia voulut sauter sur le canapé et manqua son coup, son hôte afficha une mine presque désolée. Elle savait que son invitée n'aimait pas arborer cette forme... Pourtant, il fallait qu'elle le fasse et qu'elle réapprenne à vivre avec. Devrait-elle ainsi la forcer à la conserver et l'arborer plus souvent ?
Se penchant sur Alicia, Alessa finit par s'agenouiller devant elle, tandis que petit à petit elle reprenait forme humaine.
Sans mot dire, elle glissa ses mains sur la tête d'Alicia, derrière ses oreilles, avisant son museau et son minois si mignon, puis elle l'attira contre elle.
Il fallait qu'elle sache qu'elle n'avait rien à craindre sous cette forme et qu'elle devait s'y sentir à son aise.
Alors, l'espace d'un instant, Alessa occulta le fait que son invitée fusse un canidé, et, la tirant contre elle, glissa ses mains sur son pelage roux et doux.

" Tu es magnifique, Alicia... Ne renie pas cette forme, quoiqu'elle puisse t'inspirer. "

Je restai allongée par terre, laissant Alessa s'approcher. Je me sentais tellement petite, tellement vulnérable. J'accueillis les caresses avec plaisir, ça me réconforta un peu. J'aimais bien les caresses, quelle que soit ma forme.

" Tu es magnifique, Alicia... Ne renie pas cette forme, quoiqu'elle puisse t'inspirer. "

C'était gentil, mais plus facile à dire qu'à faire. Je me laissai encore gratter la couenne quelques instants avant de me lever. échappant aux bras d'Alessa, je pris ma jupe et mon tee-shirt entre mes dents et allai me réfugier dans la cuisine pour reprendre forme humaine et me rhabiller. Puis je revins au salon et enfilai le reste de mes habits.

"Voilà. Et maintenant ?"

Alicia profita quelques instants des caresses qu'on lui offrait, puis fila dans la cuisine avec ses vêtements. Pendant ce court laps de temps, Alessa récupéra les siens et les réenfila.
Lorsque ce fut fait, elle attrapa un élastique et attacha ses longs cheveux négligemment à l'arrière de son crâne, laissant des mèches retomber ça et là sur son visage.
Lorsqu'Alicia revint dans le salon, son hôte lui fit signe de s'approcher après qu'elle eut demandé ce qu'elle faisaient maintenant.

" Quel est ton taux de réussite sur la reproduction d'oeuvre ? Tu es très à l'aise sur tes propres inventions, mais j'aimerais savoir ce qu'il en est des reprises... Peut-être pourrais-je t'apprnedre deux trois choses à ce sujet. "

Et si ça n'était pas le cas, elle pourrait toujours lui faire travailler l'aspect trop peu émotif de ses oeuvres pour qu'enfin Alicia leur donne réellement vie.
Car après tout, c'était là le principal atout d'Alessa : elle reproduisait à merveille les émotions et expressions sur le papier, au moins aussi bien que celle qu'insufflait la réalité.

" Alors, qu'en dis-tu ? "

"Les reproductions ? Euh... En fait je n'ai jamais vraiment essayé. Il y a bien une fois où pour un dessin je me suis inspirée d'une oeuvre d'un autre élève de l'académie, mais je me suis fait traiter de copieuse..et aussi de pas mal de noms d'oiseaux... Depuis je n'en ai jamais fait. Oh, je crois que je pourrais essayer, si tu me le demandes."

Je saisis mon carton à dessins, en tirai une feuille blanche, la positionnai et pris un crayon dans ma trousse. J'avais hâte de commencer les cours.

Alicia faisait preuve d'intérêt pour l'apprentissage, quel qu'il soit, et cela faisait plaisir à voir.
Cependant, il fallait respecter quelques règles élémentaires.

" Nous ne travaillerons pas ici. Comme je ne suis pas propriétaire, j'aimerais éviter de devoir laisser ma caution dans le compte en banque du rapiat qui me loue l'appartement... Autrement dit, le seul endroit où je bosse, c'est dans l'atelier du grenier, là où il y a actuellement tous mes travaux.
Et si tu veux que je te donne des cours, tu devras te plier à cette règle chaque fois que tu viendras ici.
Seuls les mine de graphite sont tolérées dans les autres pièces, ni fusain, ni pastel, ni peintures, quelles qu'elles soient ! "

Alessa était souriante et exposait les lois de son appartement avec amitié et clémence. Il ne fallait pas non plus qu'Alicia se mette à prendre peur et s'en aille sans prévenir.
Elle lui fit alors signe de remballer son matos et, montant les verres et les biscuits deux étages au-dessus, l'invita à la suivre.

" La reproduction est loin d'être quelque chose de facile, crois-moi. Cela dit, à moins que tu ne veuilles en faire ton métier, tu n'auras pas besoin d'en connaître tous les secrets.
Cela dit, je suis sûre que ça pourrait beaucoup t'aider pour tes propres oeuvres. "

Arrivées au "grenier" qui en réalité n'était autre qu'une de ses chambres de bonnes à la Haussmann, elle laissa à son invitée le plaisir de contempler les oeuvres sur lesquelles elles travaillaient : Van Gogh, Monet, Otto Dix, Caspar D. Friedrich, Michel-Ange, parmi les plus connus, et bien d'autres encore.
Il y avait là de quoi remplir une galerie complète, et toutes, sans exception semblaient parfaite, comme si elles avaient été directement empruntées aux musées. Pourtant, elle n'étaient pas originales. Ça n'était là que de simples copies. Simples, mais excellentes.

J'écoutai attentivement. ça me semblait bien compliqué, tout ça. Etais-je vraiment à la hauteur ? Il le faudrait bien ! Je rangeai mon crayon dans ma trousse et sortis ma mine de graphite, puis je suivis Alessa au grenier. L'endroit était décidément bien décoré. De nombreuses oeuvres de grands maîtres. était-ce toute des copies ? Je l'espérais, sinon ça voulait dire qu'Alessa avait fait la tournée des plus grands musées d'Europe de façon peu légale. La copie ne m'intéressait pas trop, je préférais créer. mais si ça pouvait m'aider...

"On commence par quoi ?"

Alessa laissa son invitée s'installer. Elle fit de la place sur la table d'architecte sur laquelle elle faisait ses travaux puis l'invita à s'assoir sur le tabouret pivotant.

" Le première chose, la plus importante : l'observation. "

Elle lui mit alors sous les yeux une photo d'excellente qualité, imprimée en format A4, du tableau Le Cri d'Edvard Munch.
Elle se tourna ensuite vers Alicia, l'avisa quelques instants, puis désigna d'un regard la photographie.

" Dis-moi ce que tu vois. "

Son intention était d'avant tout lui apprendre à bien être attentive à chaque détail. Ensuite, elle s'attaquerait à l'analyse... Car, il faut le savoir, l'analyse d'un tableau permet de connaître les raisons de son existence, de mieux les comprendre, et de ce fait, mieux les reproduire.

" Donne-moi tous les détails que tu peux, du plus important, au plus anodin. Tout ce que tu juges utile, je veux le connaître. "

Alessa attrapa par la suite son verre, but quelques gorgées, puis le déposa et croisa les bras en attendant la description que devait faire du tableau Alicia.