Le plus grand rassemblement... (2)

"Frères, soeurs,

La situation dans laquelle nous nous trouvons ne saurait être pire. Les chasseurs redoublent d'efforts pour nous éliminer, et ils sont de plus en plus nombreux. Pire, certains des nôtres nous ont trahit pour espérer survivre face à eux. Cette trahison a causé de très lourdes pertes dans nos rang. Mais bien plus horrible encore, il s'agit désormais pour eux d'un jeu du chat et de la souris. Ils nous traquent, et comptent désormais leurs points.

Nous ne pouvons les laisser nous massacrer sans mot dire. Désormais, le temps n'est plus à la passivité. Je vous donne à tous rendez-vous à 22h, lundi prochain, au Zoo de Vincennes. Montrez vous discrets, fondez vous dans le décor, et attendez mon appel.

Signé : Arven, l'aigle rouge."

Tel était le contenu du message reçu par Nadja quelques jours plus tôt. Il était plié et rangé dans une enveloppe non-timbrée et non-tamponnée, sur laquelle était simplement écrit "Nadja Radenko". Sur le coup, ça l'avait fait sourire. Encore un rêveur qui voulait faire changer les choses. Ces types-là on en retrouvait plusieurs assassinés chaque mois. Et puis elle y avait réfléchi, de plus en plus sérieusement. Et finalement la voilà qui arrivait au Zoo de Vincennes à l'heure prévue. Normalement, elle était sensée être rentrée le jour même à la caserne après sa semaine de permission (d'ailleurs, elle portait toujours son uniforme puisqu'elle s'était décidée à la dernière minute), mais une occasion pareille ne se présentait pas tous les jours. Et tant pis si elle devait se faire taper sur les doigts. Son indiscipline avait toujours gêné sa carrière militaire, mais elle était si balèze qu'on lui pardonnait parfois ses petits faux-comportements.
Il y avait beaucoup de monde. Le parc était exceptionnellement ouvert la nuit, et il y avait beaucoup de monde. Un homme aborda la militaire.

-Tu as reçu l'invitation ?
-Oui. répondit Nadja, après un instant de réflexion.
-Montre-moi.

Nadja posa sa main sur l'épaule de l'inconnu, sauf que sa main était couverte de fourrure blanche rayée, et ses ongles étaient devenus des griffes. L'homme, loin de s'étonner, fit signe à Nadja de le suivre. Il l'emmena alors à l'écart. Ils prirent un escalier descendant sous le sol du zoo, et arrivèrent dans une salle souterraine, où étaient déjà agglutinés des dizaines de personnes. C'étaient tous des hybrides, Nadja pouvait le sentir. Un homme aux longues boucles rousses attendait sur une estrade que la salle se remplisse. Nadja eut une sacrée surprise en reconnaissant l'homme. Arven Thoril, l'homme avec lequel elle avait bu un verre un soir. Voilà pourquoi le nom inscrit au bas du message lui avait évoqué quelque chose. Elle se mit donc à faire des signes pour attirer l'attention du chef des hybrides aériens. Les familiarités étaient de mise dans la famille Radenko.

-Malgré votre taille, je doute qu'il vous réponde. Arven Thoril est connu pour être... Imperturbable en de telles occasions.

Nadja se retourna et vit une petite dame en manteau rouge.

-Mouais...j'ai surtout l'impression qu'il est un peu snob sur les bords. Hé ! Pas mal, ta coupe ! J'essaierais bien la même si j'avais les cheveux plus longs...et que le règlement imposait pas le chignon. Mais finalement c'est p'têt mieux comme ça.
-Neva Breton. Hybride coccinelle.
-Nadja Radanova. Hybride tigresse blanche !

Elle lui envoya dans le dos une tape amicale à renverser un cheval en rigolant. La salle continuait de se remplir, plus lentement. Seuls les retardataires continuaient à arriver.

-Bon, il fout quoi ? Je crois qu'on peut commencer, là !

En réalité elle était impatiente. Elle savait que le but de cette réunion allait être de lancer un vrai mouvement de résistance contre les chasseurs. Et elle frétillait déjà d'impatience à l'idée de la bataille qui s'annonçait.

-Il attend sûrement Octopus et Straroxia. Un tel rassemblement se fait en présence de tous les Anciens il me semble... Mais je me demande ce que fait le PDG d'une chaine de télé ici, avec Arven. dit Neva en montrant le type en costard cravate sur l'estrade.
-Ah bon ? Il est PDG ? Mais c'est qui, au juste ?

Elle ne regardait pas beaucoup la télé, et quand elle le faisait elle regardait le film du samedi soir sur M6, ou les chaînes russes sur le câble. Et en outre, elle ne s'intéressait absolument pas aux patrons des chaînes. Patrons, politiciens, tous ces hommes en costard ne l'intéressaient définitivement pas, sauf quand il représentaient une cible qu'elle aimerais bien avoir dans la mire de son arme, comme le président russe, Fjodor Donovitch.

-Eeeeet...c'est qui Octopus et...Truc ?

"Ah bon ? Il est PDG ? Mais c'est qui, au juste ?
- Maximilien Chevalerie, directeur de TF1, dis-je laconiquement.
- Eeeeet...c'est qui Octopus et...Truc ?
- Staroxia. Ce sont les Anciennes aquatique et terrestre. Il est étonnant que tu ne saches pas le nom de ta... protectrice."

Les deux hommes attendaient sur l'estrade, Arven continuant ses cent pas, et Chevalerie se tenant en retrait, les mains dans le dos. Mon regard parcouru une nouvelle fois la foule. Jusqu'à ce que je repère une silhouette qui se dirigeait vers l'estrade. Malgré mes efforts, je ne parvins à la reconnaitre avant que la masse l'engloutisse. Je ne pu suivre que le mouvement des hybrides qui s'écartaient pour la laisser passer. Mon instinct me susurrait qu'il s'agissait d'une des Anciennes. Mais laquelle ? N'ayant jamais eut l'honneur de les croiser à découvert, je ne pouvais les identifier.

Alors en attendant, je laissai mes pensées revenir une fois de plus sur l'objet de ce rassemblement. Aucun de mes contacts n'avait pu me renseigner. La militaire à mes côté semblait l'ignorer aussi. Mais peut-être avait-elle une idée intéressante... Cela ne coûtait rien d'essayer.

"As-tu une idée de pourquoi nous sommes là ?"

-Staroxia. Ce sont les Anciennes aquatique et terrestre. Il est étonnant que tu ne saches pas le nom de ta... protectrice.
-Oh, tu sais, moi, personne ne m'a jamais protégé. Je me suis toujours débrouillée seule, les deux pieds dans la merde, les deux mains aussi parfois, sans personne. Et pis ces lascars sont jamais venu sonner à ma porte, alors je vous mal comment je pourrais les connaître.

D'autres personnes commençaient à arriver. On avait déjà l'impression d'être à un concert de Johnny, la séance allait sans doute bientôt pouvoir commencer.

-As-tu une idée de pourquoi nous sommes là ?
-Pour se battre, à mon avis. Pour péter la gueule aux chasseurs !

Nadja fut ravie à l'annonce d'Arven. Tout le monde devait se transformer, sur-le-champ. Ca allait ressembler à une vraie ménagerie. Tant mieux, après tout c'était un zoo, ici, mouarf ! Elle commença donc à se transformer. Étant déjà impressionnante sous sa forme humaine, Nadja devint carrément énorme. Montagne de muscles couverte de fourrure blanche rayée. Elle avait toujours son uniforme, et son béret posé en équilibre sur une de ses oreilles.

-Je suis lilliputienne sous forme hybride... Cela ne te dérange pas de veiller à ce que personne ne m'écrase ?

Aïe ! Il était facile de comprendre le problème. Nadja n'aurait pas aimé être une hybride insecte, risquer de se faire écrabouiller par le premier péquenot venu avec une tapette. Et puis selon elle, à quoi servait-il de quitter sa frêle enveloppe humaine si c'était pour devenir encore plus faible. Pour elle, ça faisait partie des "pas gâtés par la vie".

-T'as qu'à grrrimper sur mon...rrrr...dos. dit-elle en montrant ses épaules massives.

-Oui, nous nous cacherons. Et ce ne sera pas par crainte, mais par nécessité. Rassemblons nous, laissons-les croire qu'ils ont gagné. Renforçons-nous, et lorsqu'ils penseront détenir la victoire, nous les écraserons jusqu'au dernier. Nous ne laisserons pas un seul chasseur derrière nous. Alors seulement, nous pourrons avoir la paix.

Nadja donna une grande tape dans le dos de sa voisine. Elle avait gardé sa forme hybride, dépasser tout le monde d'au moins une tête l'amusait beaucoup.

-Tu vois ! C'est errractement ce que...rrr...je disais ! Grrrr ! On va leurrr péter la gueule !

Il faudrait qu'elle aille parler à Arven à la fin de la réunion. Elle possédait suffisamment d'armes pour équiper un régiment. Elles n'étaient pas toutes récentes, mais elles fonctionnaient très bien. Il aurait été dommage qu'on ne leur trouve pas une utilité dans leur lutte.

-Dis, Bozh'ya Korovla, t'as déjà utilisé un fusil d'assaut ?

Ah, les lames... Nadja était une dingue des armes à feu, elle adorait les gros flingues qui faisaient beaucoup de bruit et pouvaient trouer le cuir de n'importe quel être vivant à bonne distance, mais elle reconnaissait qu'il était indispensable de savoir se défendre au corps à corps. Ça aussi ça la connaissait, elle était très douée avec un couteau, pour le combat ou la torture (même si elle préférait ses griffes et ses crocs). Mais de nos jours, un couteau ne suffisait pas.

-Pourquoi m’as-tu demandé ça ?
-Parce que, Bozh'ya Korovla, on ne gagnera pas cette guerre avec des couteaux, aussi aiguisé soient-ils. Les chasseurs ont des flingues, des putains de gros calibres qu'ils peuvent porter légalement à cause de tous les pots-de-vin qu'ils ont versés. Si on veut avoir une chance face à eux, il faudra être aussi bien armés. J'ai...des armes, pas très récentes, mais en grande quantité. Des AK-47 et AK-74, AN-94, des fusils de précision SVD et VSS, des mitrailleuses RPK et PKM, des pistolets Makarov, et assez d'explosifs pour envoyer la tour Eiffel sur la lune. Tu as bien compris : je peux armer tous les hybrides présents, dont toi. Il faut juste que j'arrive à convaincre Arven de prendre mon matos.

Il était sûr que toutes ces armes avaient plus ou moins bien résisté au temps, mais elles tueraient tout aussi efficacement que des fusils modernes.

-Je t’appuierai.

ça c'était sympa. La plupart des gens prenaient la fuite quand on leur parlait d'armes. Pourtant, ils étaient tous en guerre, et ils ne vaincraient pas les chasseurs en leur lançant des fleurs.

-Que veux dire Bozia Koromachin ?

Ah, oui. Il arrivait à Nadja d'oublier que tout le monde en France ne maîtrisait pas le russe. Pour la plupart des surnoms qu'elle donnait aux gens elle traduisait, mais celui-là lui semblait mieux dans sa langue natale.

-Bozh'ya Korovla. ça veut dire "coccinelle". C'est bien ce que t'es, non ? Ou alors t'es une hybride cafard rouge à pois noirs...et c'est moins glamour.

En même temps, elle assista au discours animé d'Arven.

-C'est sûr, ça en jette un max. Mais il se la pète un peu trop.

Je cessai d'hurler en cœur avec les autres. Nadja lâcha un commentaire.

"C'est sûr, ça en jette un max. Mais il se la pète un peu trop.
- Se donner en spectacle est ce qu'il y a de mieux pour le moral des troupes. Tu dois le savoir, non ?" lui rétorquai-je, en désignant son galon.

Arven continuai son discours. J'écoutai d'une oreille. Il nous demandait de remplir des formulaires à la fin ? Je grimaçai. Paperasse, paperasse, encore et toujours paperasse. Les micro ordinateurs, ça existait bon sang ! Je lui en toucherai un mot à la fin. J'accompagnerai Nadja.

Son avertissement sur l'île St Louis me laissa perplexe. D'où tenait-il cette information ? Bien sûr, je savais que la concentration de chasseur y était assez importante. C'était là que je m'étais fait attaquée, cette nuit-la. Celle qui m'avait vue fuir Paris. J'en comprenais mieux la raison. Le discours commençait à devenir redondant. La fin approchait. Je glissai à ma voisine :

"Rapprochons-nous. Nous ne serons pas les seules à vouloir parler à Arven. D'autres chacals vont lui roder autour..."

La foule s'agglutinant autour de l'estrade démontrait bel et bien ma remarque. Et donnait tout son sens à mon initiative.

-Se donner en spectacle est ce qu'il y a de mieux pour le moral des troupes. Tu dois le savoir, non ?

Nadja haussa les épaules.

-Moi je préfère ma technique. Une bouteille de vodka, une tape dans le dos, une blague cochonne et le moral remonte.

La paperasse, misère ! Nadja avait la réputation d'être une analphabète finie, mais c'était faux. Elle avait même lu l'intégrale de Stephen King. Mais tout ce qui était formulaires, laissez tomber !

-Rapprochons-nous. Nous ne serons pas les seules à vouloir parler à Arven. D'autres chacals vont lui roder autour...

En effet, le discours de l'ancien avait sans doute soulevé beaucoup de questions, et il allait falloir jouer des coudes pour pouvoir lui parler avant le dégel.

-Laisse-moi faire, Bozh'ya Korovla. Même sous ta forme humaine ils seraient fichus de t'écraser !

Nadja passa devant. Sa silhouette massive l'aida beaucoup à frayer un chemin à travers la foule dense, n'hésitant pas à donner quelques coups de coudes à ceux qui refusaient de se pousser. Elle aimait frimer comme ça devant Neva. Peut-être parce que la jeune femme était brune et d'allure fragile, exactement le genre de la russe.