Les noces du première classe Pasqua (Xander)

Les cloches sonnaient dans le clocher de l'église. Des voitures bardées de dentelles décoratives arrivaient une à une sur la place en klaxonnant. Parmi ces voitures, il y avait plusieurs véhicules militaires avec à bord des hommes et femmes en uniformes. La jeep de tête s'arrêta et en descendit le marié, magnifique dans son bel uniforme, le crâne fraîchement rasé. Nadja sauta de la voiture juste après lui. Elle aussi portait son uniforme d'apparât. Cravate autour du cou, jupe droite, escarpins aux pieds, képi vissé sur la tête, le chignon bien serré, ça la changeait du treillis avec lequel elle rampait dans la boue. Elle était rayonnante, aujourd'hui se mariait son meilleur ami, et elle était son témoin. Bien sûr, pour cela elle avait dû faire quelques concessions. Ne pas jurer tant qu'elle serait dans l'église, ne pas raconter de blagues paillardes, ne pas boire plus que de raison, et ne tuer personne ce jour-là. Cette dernière condition, c'était elle qui se l'était imposée, pour bien se montrer à elle-même et aux autres que ce n'était pas un jour comme les autres. Bien sûr elle était armée, son PAMAS G2 bien graissé était rangé dans un holster à sa ceinture, pour les apparences, mais aussi parce qu'avec les copains ils avaient projeté de faire une haie d'honneur à la sortie de l'église en tirant plusieurs salves en l'air, très romantique attention militaire.
Nadja pénétra donc dans la chapelle au bras du soldat Gilles Pasqua. Elle ne put s'empêcher de jeter quelques regards anxieux. Elle n'était pas entrée dans une église depuis des années. Ses parents étaient des chrétiens orthodoxes et lui avaient inculqué la religion, mais avec le temps et les guerres, elle avait fini par se dire que si Dieu existait il avait un sens de l'humour des plus douteux.
Christine Rocourt était déjà là, au bras de son père, dans sa sublime robe blanche. Nadja accompagna son futur époux jusqu'à l'autel. Ils étaient déjà unis civilement, et maintenant ils allaient enfin faire leur "vrai" mariage. En approchant, la russe eut cependant une désagréable surprise. Le prêtre était là, droit comme un I, devant l'autel. Sauf que ce prêtre, c'était Xander, le chef reconnu des chasseurs.
En le voyant, Nadja eut une bourrée de colère, elle sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque. Il était là, si proche qu'elle aurait pu le toucher, l'homme responsable de tant de morts innocentes.
Nadja resta immobile, les poings serrés. Une violente pulsion bestiale la fit trembler. Sa veste d'uniforme se fit étroite et un léger duvet blanc apparut sur le dos de ses mains. Gilles se tourna vers elle, intrigué.

"ça va ?"

Visiblement, il n'avait pas reconnu le chasseur. Nadja se rappella la promesse qu'elle s'était faite, et se calma. Ses épaules reprirent leur envergure habituelle et le duvet blanc disparut.

"ça va, ça va. Allez, épouse-la, gros béta !" dit-elle en reprenant son sourire.

Elle laissa là le marié et alla s'asseoir sur un des bancs. La cérémonie pouvait commencer, même si la russe ne pouvait s'empêcher de penser au pistolet rangé à sa ceinture.

Nadja se tint tranquille durant toute la cérémonie, focalisant son attention sur le couple pour éviter de céder à ta tentation de faire un carton sur le "prêtre". Lorsque Gilles et Christine furent déclarés mari et femme, Nadja et les autres camarades en grand uniforme sortirent pour faire la haie d'honneur encadrant les mariés jusqu'à la jeep qui devait les emmener au vin d'honneur. Ils levèrent leurs pistolets en l'air et tirèrent chacun trois coups avant de rengainer et de monter dans les autres véhicules pour suivre le convoi. Mais avant de monter en voiture, la mariée jeta son bouquet dans la foule kaki. Nadja, voyant arriver sur elle un gros truc blanc plein de dentelles, l'attrappa par réflexe. ce n'est qu'en identifiant les fleurs qu'elle comprit son erreur.
"Et MERDE !"
"Haha ! Mariée dans l'année !"
La russe se rappella le nombre de fois où Christine lui avait répété qu'elle devrait essayer de trouver quelqu'un pour veiller sur elle. Elle l'avait bien eue !
Le vin d'honneur fut une franche réussite, on discutait, on blaguait, on dansait. Nadja, elle restait assise dans son coin dans rien dire, le bouquet de la mariée entre les mains. Tout le monde pensait qu'elle faisait la gueule à cause du coup monté pour la marier, mais en fait elle ne quittait pas des yeux le prêtre, en grande discution avec le beau-père de Gilles. Quand Xander fut seul, elle s'approcha de lui.

"Alors c'est toi, le govnyuk qui a tué tant d'innocents !"

Elle s'adossa à un bouleau juste en face de lui.

"Rassure-toi, j'ai promis que je tuerais personne au mariage de mon ami. Mais ça m'empêchera pas de te casser les deux jambes si tu tentes quoi que ce soit."

Elle but une gorgée du verre de champomy qu'elle tenait dans son autre main. Connaissant son penchant pour la bouteille, ses amis lui avaient interdit de boire de l'alcool ce soir. C'était déjà ça qu'ils ne l'avaient pas mise à la table des enfants.

"ça va ? Tu arrives à tenir ton verre sans qu'il tombe ? C'est que le sang des femmes et des enfants ça glisse."

Xander vit une jeune femme s'avancer vers lui, et il reconnut la témoin du marié. Alors qu'il lui souriait et s'apprêtait à la saluer, pensant qu'elle allait venir lui parler du mariage, il fut pris de cours par des insultes et des mots durs. Elle employa un mot inconnu, de toute évidence d'une autre langue, parla de meurtres de femmes et enfants innocents, et le menaça de lui casser les jambes. Son aimable sourire s'évanouit aussitôt et son visage se durcit tandis qu'il observait cette femme qui s'adossait à l'arbre face à lui. Croisant son regard, il lut en elle ce qu'il avait déjà supposé : une hybride...
Sa fonction de chasseur le rattrapait en un jour où il ne comptait pas l'endosser, décidément sa réputation devenait de plus en plus répandue. Arven et les autres anciens avaient dû faire des campagnes d'informations auprès des leurs pour parler de lui, probablement avec photographies à l'appui.
Xander croisa les bras mais ne fit aucun mouvement vers l'hybride, se contentant de la toiser d'un regard dédaigneux.

Oh, il y a tant de violence dans tes paroles... Tu ne devrais pas te comporter ainsi au mariage de ton ami.

Il ne tenta pas de discuter ses dires, de toute évidence elle savait qui il était, et ce pouvait être l'occasion d'en jouer. Il y avait tant d'invités à cette fête... Il serait fortement risqué pour elle de faire quoi que ce soit contre lui, le prêtre qui avait célébré le mariage, et qui était un bon ami du père de la mariée.

Le prêtre se durcit, visiblement il avait compris qui elle était. Nadja n'en fut que plus fière, même si elle aurait préféré ne pas s'adresser à lui en tant qu'hybride mais plutôt comme la personne qui tentait de protéger ceux que le prêtre fou faisait massacrer. Elle éclata de rire quand il lui dit de ne pas se comporter comme ça. Pour un peu, on aurait dit qu'il la sermonnait. La voyant rire de loin, Gilles et Christine pensèrent qu'elle s'était enfin décidée à ne plus faire la gueule et à s'amuser un peu. Ils lui firent des signes, et elle répondit distraitement de la main.

"Et toi tu ne devrais pas te comporter comme tu le fais les autres jours. Je devrais peut-être t'éviter, mais je trouve qu'aujourd'hui c'est le meilleur moment pour qu'on se retrouve face à face sans se tirer dessus. Parce qu'après avoir vu tes victimes et affronté tes sbires, ça faisait un moment que je voulais te demander : pourquoi tu fais ça ? Pourquoi t'es pas un gentil prêtre qui prêche la non-violence ?"

"Mes parents m'ont appris la religion quand j'étais petite. Et franchement, je ne vois pas pourquoi Dieu devrait être en colère contre moi. J'ai jamais trahi personne, et j'ai sûrement tué moins d'innocents que toi."

Ce type avait l'air irrécupérable, mais Nadja n'abandonnait jamais. Elle était trop têtue pour ça.

"Mes parents ont été tués, en Russie. Tu savais que là-bas, les dirigeants ont les mêmes opinions que toi ? Tu devrais y aller en vacances, ce serait le paradis. Moi j'ai pu m'enfuir, je me suis fait une nouvelle vie, et je n'ai pas l'intention de rester les bras croisés. J'ai déjà sauvé plusieurs familles de tes hommes, et j'ai pas l'intention de m'arrêter en si bon chemin. J'ai pas peur de mourir. Au moins, comme ça, je serais pas obligée de me marier cette année."

Elle agita le bouquet de la mariée, pour lui montrer. Elle ne me sentait pas se marier maintenant. Peut-être plus tard, à 40/50 ans, mais pas maintenant. Enfin, il fallait déjà qu'elle trouve l'amour... Elle l'avait déjà trouvé, et puis elle l'avait perdu.

Nadja leva les yeux au ciel en entendant la réponse du "prêtre".

"Tu fais vachement bien le fanatique enragé. Weuâh ! Les hybrides sont le pêché incarné ! Ce sont des monstres ! Il faut les brûler ! Et il faut aussi brûler les homosexuels, les musulmans, les juifs, les noirs, les femmes adultères, les fabricants de capotes, et même les médecins qui pratiquent l'avortement !" fit-elle, en parodiant la voix de Xander et en levant les bras au ciel.

"C'est du grand n'importe-quoi ! Parce que je suis née hybride je ne mérite pas de vivre ? Je vois pas pourquoi. On fait rien de mal. Je vois pas pourquoi on aurait pas notre place dans la société au même titre que vous. Et surtout ne viens pas me raconter des trucs sur les hybrides qui commettent des crimes, vous les humains vous avez aussi de magnifiques spécimens de psychopathes. Non mais tu t'entends parler ? On dirait Hitler, manque plus que la moustache !"

Elle finit son verre et le posa dans l'herbe, puis elle laissa tomber le bouquet et ôta son képi pour avoir un peu d'air.

"Et puis de toutes façons, même si j'étais née humaine t'aurais pas voulu me marier : j'aime les femmes."

Elle s'éloigna pour aller au buffet. Elle prit un verre de champagne et un autre de coca. Elle revint et tendit le verre de champagne au prêtre.

"Il y a un philosophe polonais qui a écrit "N'est un monstre que celui qui se comporte comme tel". ça me paraît juste. Quand on naît on choisit pas ce qu'on est, mais quand on agit on peut choisir d'être un monstre ou un saint. Et désolé de te décevoir, mais si le paradis existe, je crois bien y avoir gagné ma place avec mes actes. J'ai déjà sauvé des vies humaines, et tous les mois j'envoie une partie de ma solde à orphelin du Rwanda. Tu crois vraiment qu'un monstre ferait ça ?"

Le dernier discours de Xander déclencha le fou-rire de Nadja.

"En même temps j'étais bien obligée de les tuer vu qu'ils avaient leurs flingues braqués sur moi. Et eux alors ? Est-ce qu'ils ont payé pour leurs meurtres ? Et puis pour chaque vie stoppée j'en ai sauvé dix, alors... Et pis attends, si on suit ton raisonnement rien qu'en existant je suis une vilaine méchante. ça veut dire que je dors de façon maléfique ? Que je prends des douches maléfiques ?"

Nouveau fou-rire. Les autres invités commençèrent à se dire que le courant passait bien entre ces deux-là.

"Nan mais franchement. Je dis pas que je suis une sainte. On a tous fait au moins une fois dans sa vie des trucs dont on est pas fier, mais pour ça les humains sont pas non plus les derniers. Et je peux te dire que j'en ai même vu de sacrés cas."

Finalement, même si elle détestait les mariages, elle ne regrettait pas d'être venue, elle s'amusait bien.

"Tiens, le jour où je me marierais je devrais peut-être te demander de faire la cérémonie. Au départ je pensais faire ça civilement, mais ce serait marrant."

Elle éclata encore de rire en imaginant le prêtre la marier à une jolie brune, enrageant de ne pas pouvoir la tuer.

Nadja leva les yeux au ciel.

"Intouchable, l'autre ! Tu réponds même pas à mes question, tu te réfugies derrière ton dieu. C'est parce qu'en fait tu sais que t'as aucun argument, t'as tort. T'es juste aveugle, tu refuses le dialogue. Tu refuses de voir que nous ne sommes pas aussi méchants que tu le penses."

Plus loin, Les invités s'étaient mis à danser sur la piste de danse installée sur l'herbe, se trémoussant au son d'un air disco. Gilles avait toujours eu un goût pour les trucs ringards, et puis ça se laissait danser. Les jeunes mariés étaient d'ailleurs au milieu de la piste. Gilles fit un signe à Nadja, et cette dernière lui fit un grand sourire. Christine était au courant que la russe préférait les femmes, c'est pourquoi elle n'était pas jalouse qu'elle échange pareils sourires avec son mari.

"Regarde-les, mon pape. Ils ont l'air tellement heureux. Et si, juste pour ce soir, on faisait semblant de s'amuser ? Si on faisait comme si je n'étais pas une hybride et que tu n'étais pas un chasseur. Qu'est-ce qu'on ferait si on ne perdait pas notre temps à polémiquer ? Fais marcher un peu ton imagination au lieu de ton flingue. Normalement c'est moi la plus enragée de nous deux, mais je me suis faite à l'idée que je ne te descendrais pas aujourd'hui. Et franchement, j'ai pas l'intention de pourrir ma soirée à échanger des insultes avec toi."

Elle regarda la piste. En temps normal elle se serait déjà bougée pour aller danser. Non pas qu'elle soit fan de disco, mais il y avait une jolie rousse qui se trémoussait de façon tout à fait charmante. Une amie de Christine, crut-elle se rappeller...

Elle lui rétorqua qu'il était aveugle, qu'il avait tort, qu'il n'avait aucun argument. Alors qu'il venait de lui parler d'immortalité. Il rétorqua donc aussitôt :

Et d'où me vient ce don d'immortalité, s'il ne m'a pas été donné par le Seigneur lorsque je lui ai fait le serment d'éradiquer les tiens ?

Percevant le signe de Nadja, il détourna le regard un instant pour constater que les mariés avaient ouvert le bal, suivis de nombreux couples très hétéroclites qui dansaient sur de la vieille musique. La témoin lui parla alors de mettre de côté pour un temps leur haine mutuelle, et lui demanda ce qu'ils feraient s'ils n'étaient pas en train de polémiquer. Était-elle en train d'insinuer qu'ils pourraient aller danser ? Que lui, prêtre confirmé et chasseur révolté, pourrait accepter de toucher cette hybride, et de danser avec le diable ? L'idée le révulsa profondément, et à cette pensée infâme il eut un rictus de dégoût.

Va donc profiter du mariage de ton ami si tu le souhaites. Pour ma part, je ne vais pas rester toute la soirée, j'ai d'autres occupations.

* Danse petit démon, va danser pendant que je m'occuperai d'abattre tes petits copains...*

Xander ne voulait rien entendre, Pas moyen de lui arracher le moindre mot gentil.

"Pffff ! T'es vraiment plus têtu qu'une mule yougoslave ! Au plaisir, alors."

Elle tira une dernière fois la langue au prêtre fou avant d'aller rejoindre ses amis. Finalement, elle s'amusa bien, elle ne repensa plus au chasseur durant la soirée. Elle dansa, discuta, rigola. Après une heure du matin, la fête commença à se calmer, vers quatre heures du matin il ne restait plus qu'une vingtaine de convives et à six heures et demie, Nadja rentrait chez elle. Elle s'écroula toute habillée sur son lit et s'endormit de suite. Avec le mariage, toute la compagnie avait eu une permission, Elle pourrait donc faire la grasse matinée.

(HRP : Pour moi c'est fini.)