Point de rupture. [ Sam ]

Cette dernière semaine aurait pu être ordinairement calme. Pourtant, alors que tout allait bien, il y avait un élément qui à lui seul faisait dérailler complètement le train-train de sa vie de vampire. Cela faisait un moment qu'elle n'avait plus de nouvelles de Maximilien. Au début, elle s'était simplement dit qu'il devait être occupé, donc elle avait attendu. Puis, elle avait fini par lui laisser un message sur son répondeur, lui demandant de ses nouvelles et le priant de la rappeler. Et l'attente était devenue plus longue. Voyant qu'il n'avait jamais rappelé, elle s'était mise à penser que peut-être il ne voulait plus la revoir. Mais elle s'était refusée à se faire à cette idée. Ce ne pouvait pas être ça. Et quand bien même ça l'aurait été, il ne l'aurait pas zappée comme un change maladroitement de chaîne en appuyant sur un bouton de télécommande. Non, il lui aurait expliqué ses raisons. Et elle aurait sûrement compris.
Alors un jour, elle était passée à son bureau, un peu avant l'heure à laquelle elle supposait qu'il irait déjeûner... Elle avait demandé s'il était là, on avait levé les yeux vers elle en lâchant un ‹‹ non ›› tout à fait banal. Elle avait insisté en demandant s'il était parti manger. Là, on lui avait répondu que personne n'avait de ses nouvelles en ce moment, qu'il avait certainement dû prendre des vacances à l'improviste. Elle avait tout de suite songé à son statut au sein des hybrides. C'était plausible certes, mais pourquoi ne donner aucune nouvelle ? Il devait bien avoir deux minutes pour au moins la prévenir et lui dire qu'il allait bien.

Elle était de plus en plus inquiète. Finalement, elle s'était rendue chez lui, du moins, à son appartement. Elle n'y avait trouvé personne. Bien décidée à le voir, elle avait attendu plusieurs heures dans l'espoir de le voir rentrer. Mais il n'était jamais venu. Se pouvait-il que du jour au lendemain il ait disparu ? Peut-être avait-il déménagé à cause d'une mission qui avait mal tourné ? Elle avait imaginé de nombreuses solutions. Et puis, tout s'était peu à peu éclairci, jusqu'à devenir orage...

Alors qu'elle abandonnait et s'apprêtait à rentrer chez elle, elle avait croisé Edouard, le chauffeur de Maximilien. Il avait reconnu la jeune femme et aussitôt, elle apprit que lui non plus n'avait pas de nouvelles, qu'il était inquièt car ce n'était pas dans l'habitude de son employeur. Et au fil de la conversation, sa crainte quant à la possibilité d'un des scénarios qu'elle s'était fait fut confirmée. Pour en être certaine, elle avait demandé à Edouard s'il était possible d'entrer dans l'appartement. Elle dut user de son charisme accru pour le convaincre, mais il accepta finalement de lui prêter le double des clés.

Quand elle ouvrit la porte, des miaulements rauques alarmants résonnèrent. Visiblement, le chat semblait lui aussi inquiet. Angie constata qu'il y avait de nombreux messages sur le répondeur de l'hybride, dont certains dataient de plusieurs jours, voire de deux semaines. La gamelle du chat était plus que vide, il n'y avait pas non plus d'eau laissée à son attention. De ce qu'elle se souvenait, il n'y avait pourtant rien qui avait changé de place. Aucun désordre apparemment. Après avoir nourri le chat, qui s'empressa de se ravitailler avant de s'échapper, elle vérifia les placards, ils étaient pleins. Elle se fit donc à l'évidence que Maximilien avait bel et bien disparu. Mais ce n'était pas une simple disparition...

Commissariat de l'Ile de la cité, 2h34.
Angeline était entrée en trombe. Visiblement ce soir, plus de deux personnes devaient s'être fait dérober quelque chose. Vol de portable certainement, ou de sac à main. Ce n'était rien comparé à son problème. Résignée à ne pas attendre plus longtemps, la vampire marcha rapidement jusqu'à l'accueil.

- Mademoiselle, faites la queue je vous prie, quelqu'un va s'occuper de vous, merci de patienter quelques instants.

- Faire la queue ? Vous vous fichez de moi ? dit-elle en éclatant en sanglots.

- Calmez-vous, qu...

- Comment voulez-vous que je me calme ? Il s'agit d'un enlèvement !

* Putain, deux heures trente du matin... *

Telle était la pensée du lieutenant Riggs, qui fixait l'horloge de son bureau, attendant que les heures passent.
Il n'aurait jamais dû bosser en pleine nuit. Il n'aurait jamais dû se trouver au commissariat en pleine nuit. Si seulement il avait pu éviter de traiter son patron de "petit con arrogant", au moment où le dit-patron passait justement derrière lui, il ne se serait pas retrouvé à faire les permanences de nuit pendant un mois. Le mois de septembre allait être trèèèèèès long...

Bon. Pause pipi, puis pause clope. De toute façon, à cette heure là et en cette saison particulièrement calme, il n'y avait pas foule de "clients" dans le commissariat, à part quelques personnes venues se plaindre de vols, et ça, c'était pas de son ressort.
Les toilettes étant à côté de l'accueil, il entendit distinctement une voix de femme hurler à propos d'un enlèvement.

* Et merde... *

Ca allait être pour lui. Probablement encore une stressée de la vie qui appelait les flics dès que son copain rentrait deux heures trop tard. Il poussa un profond soupir, zippa la fermeture éclair de son treillis et sortit des toilettes. Il n'eut pas le temps de faire deux pas que le grouillot à l'accueil l'interpella.

Lieutenant !

Riggs ne répondit pas, commença à retourner vers son bureau, il pouvait faire mine de n'avoir pas compris qu'on s'adressait à lui...

Lieutenant Riggs !

* Et merde... *

Résigné, après un nouveau soupir, il fit demi-tour vers l'accueil. On lui expliqua que la demoiselle venait pour une affaire d'enlèvement. Il leva les yeux vers la demoiselle en question.

* Wouhou, jolie ! *

Finalement, ce ne serait peut-être pas si désagréable que ça. Il lui sourit, et se présenta :

Lieutenant Riggs, à votre service mademoiselle ! Si vous voulez bien me suivre, je vous emmène dans mon bureau...

Angie reprit son self-contrôle lorsqu'elle entendit qu'on faisait appel à un lieutenant. Elle fit un gros effort pour contenir les autres larmes qui ne demandaient qu'à déverser le chagrin dont elle était éprise sur son visage pâle. Ainsi, au moment où le lieutenant en question, qu'on appela par deux fois avant qu'il ne vienne, fit son entrée, ne restaient que des tâches humides sous ses deux émeraudes.
Elle posa son regard sur lui alors qu'il se présentait.

‹‹ Lieutenant Riggs, à votre service mademoiselle ! Si vous voulez bien me suivre, je vous emmène dans mon bureau... ››

Il avait dit cela en souriant. Bien qu'elle se sente rassurée par son accueil, et bien qu'elle n'ait pas vraiment le coeur à sourire, ses lèvres s'étirèrent quand même en une esquisse finement reconnaissante. Elle le suivit donc jusqu'à son bureau.

- Je m'appelle Angeline Rossi, je vous remercie de me recevoir Lieutenant, je ne savais pas vers qui me tourner...

Et elle espérait avoir fait le bon choix en venant signaler l'enlèvement de Maximilien. Elle savait que ces cas étaient difficiles à gérer, et qu'on se contentait simplement d'abord d'établir un avis de recherche. Mais elle attendait beaucoup plus de cette intervention. Il fallait qu'il la croie, il fallait envoyer des troupes à sa recherche, avant que cela ne finisse en drame.

Elle jeta un coup d'oeil sur l'écriteau de la porte du bureau. Affaires criminelles, ce semblait être ça son domaine. Tant mieux, elle était donc entre de bonnes mains, et son histoire ne passerait normalement pas dans l'oreille d'un sourd.

Elle s'installa sur le siège qu'il lui avait indiqué, légèrement anxieuse. Par où allait-elle devoir commencer ? Surtout qu'elle n'était pas certaine de la date à laquelle il avait disparu.

‹‹ Alors... Racontez-moi ce qui vous amène à cette heure de la nuit ? ››

Il semblait pourtant à Angeline qu'il avait compris qu'il s'agissait d'un enlèvement. La façon dont elle s'était exprimée en arrivant, plus l'information que son collègue lui avait donnée. Enfin, elle ne releva pas, ce ne devait être qu'une question de formalité.

- Un de mes ... amis, a disparu.

Elle le regarda s'allumer une cigarette. Elle n'était pas étonnée parce qu'il allumait une cigarette sans savoir si cela la dérangerait, mais plutôt surprise parce qu'il était dans un lieu public couvert. Ce n'était pas interdit par la loi ça ? Enfin bon, puisqu'il fumait dans son bureau, peut-être pouvait-elle se permettre d'en faire autant. Elle sortit une cigarette du paquet de son sac, la tenant entre son index et son majeur.

- Je peux ? demanda-t-elle simplement par courtoisie.

Puis elle entama son récit :

- Il s'appelle Maximilien Chevalerie, je ne sais pas depuis quand exactement il a disparu, mais je suis certaine qu'on l'a enlevé, qu'il lui est arrivé quelque chose. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis plus de deux semaines. A son travail, personne n'a de nouvelles non plus, ils pensent qu'il est parti en vacances mais... je suis persuadée que ce n'est pas le cas.

Elle regarda le panneau d'interdiction qu'il venait de pointer du doigt. Effectivement, c'était interdit. Et elle n'eut pas besoin de sa seconde remarque pour comprendre qu'il se fichait de l'interdiction que suggérait la cigarette barrée du rond en plastique.

Elle alluma donc la sienne avec le briquet qu'il lui tendit, le remerciant avant de le reposer sur le bureau.

‹‹ Hum. Et qu'est-ce qui vous en persuade ? ››

Elle tira une bouffée sur le tube de tabac avant de répondre :

- Ce n'est pas son genre. Il a un statut haut placé qui ne lui permet pas de disparaître sur un coup de tête.

Par statut haut placé, elle parlait d'abord de son travail en tant que PDG de TF1, mais elle avait également songé à son grade d'Ancien des hybrides aquatiques, fait dont elle ne pouvait pas faire part au lieutenant puisqu'elle ignorait totalement de quelle branche il était. Elle laissa un trait de fumée s'échapper de ses lèvres avant de reprendre :

- Je suis passée chez lui, son domestique ne sait pas non plus où il est, et il n'a pas pris le temps de faire garder son chat. Les messages sur son répondeur n'ont pas été écoutés depuis une semaine.

‹‹ Un domestique ? Sans déconner, ça existe encore de nos jours ? ››

La vampire fut légèrement surprise de sa réaction, et ne la comprit que quand elle répéta les mots qu'elle avait dit dans sa tête. Effectivement, le terme de ‹‹ domestique ›› avait de quoi surprendre. C'est là qu'elle comprit à quel point sa disparition la bouleversait, car ce n'est pas le mot qu'elle avait voulu employer.

- Ah non, excusez-moi, ce n'est pas ce que je voulais dire, dit-elle en se passant la main sur le front. C'est plus son chauffeur attitré, il habite dans le même immeuble que lui, expliqua-t-elle.

A la première question énoncée, elle n'eut aucun mal à répondre :

- C'est le directeur de la chaîne TF1.

Quant à la seconde question, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle devait dire. Quelles étaient exactement ses relations avec lui ? Elle savait simplement qu'elle était assez proche de lui pour être au courant de son statut alors qu'elle ne faisait pas partie des siens. Alors elle opta pour la solution la plus plausible :

- Je vous l'ai dit, c'est un ami.

‹‹ C'est pas assez précis. Le terme "ami", dans la bouche d'une femme, ça peut signifier de la personne qu'on a croisé une fois à celui avec qui on a des relations extra-conjugales. Vous êtes plutôt de quel côté ? ››

Alors qu'elle écrasait son mégot dans le cendrier, elle releva ses yeux sur lui en suspendant son geste. Qu'est-ce qu'il voulait dire exactement, qu'elle avait l'air de faire partie de ces femmes qui corrompent les hommes mariés ?

- Vous insinuez quoi là ? Que je ne peux être soit qu'une simple connaissance, soit qu'une maîtresse ? Je ne suis pas l'un de vos suspects, Lieutenant.

Elle reprit une position normale dans le siège sur lequel elle était assise, et fit dès lors abstraction de l'allusion qu'il avait faite, en reprenant calmement :

- Je ne suis ni de l'un, ni de l'autre. J'ai connu Maximilien en soirée, et comme nous nous sommes rapprochés, nous avons gardé contact. On s'appelle de temps en temps, et nous nous voyons quand nous en avons l'occasion. Je ne flirte pas pour autant avec lui, si c'est ce que vous vouliez savoir. Une amie, tout ce qu'il y a de plus commun à la définition qu'on trouve dans un dictionnaire.

‹‹ Il va me falloir une description précise. ››

- Il est brun aux yeux sombres, peau blanche, environ un mètre quatre-vingt-cinq. Vêtu le plus souvent de costumes. Et il n'est pas marié.

Certes, la dernière information n'avait rien à faire dans la description physique.

- Ah, attendez, je crois que j'ai une photo sur moi, dit-elle en fouillant dans son sac.