1 Janvier 1939 En ces heures où la guerre se rapprochait de la France, il existait encore du temps pour les bons moments.
Sur les flots de l'atlantique, un petit bateau voguait doucement.
-Père ! Père ! Je ne vois pas plus les côtes !
Un jeune garçon courrait sur le pont, le regard noir et vif tourné vers les vagues douces qui les menaient vers l'horizon. C'était un temps gris, froid, et Maximilien fêtait ses 9 ans.
-Verront nous des dauphins mère ? Bondissant il s'élança vers les jambes de sa mère, l'excitation se lisait dans ses prunelles juvéniles, si bien que Marie Chevalerie eut toute la peine du monde à le décevoir.
-Non mon petit Maximilien. Il n'y a pas de dauphin ici. Le petit garçon baissa les yeux, et eut une moue des plus attendrissantes qui motiva sa mère à changer de sujet.
-Alors, mon petit Maximilien –aujourd'hui encore il ce souvenait qu'elle l'appelait toujours "mon petit Maximilien"- que crois tu que tu vas être ?
Lui demanda-t-elle en relevant son visage vers le sien. Une étincelle pointa immédiatement dans les prunelles de son fils unique.
-Je serais … Un requin ! Lança-t-il avec conviction, en bondissant, sur excité.
-Un requin ? Vraiment. C'est vrai que tu en a les dents … Répondit sa mère faussement pensive.
-Mère ! Vous vous moquez ! Bougonna-t-il. Comme il ressemblait à son père quand il fronçait les yeux de cette façon…
Aussi surprenant que cela puise paraître, à 9 ans, Maximilien n'avait jamais fait sa première transformation. Ni même celle hybride.
Ses parents pourtant ne se faisaient pas d'inquiétude. Ils avaient déjà noté que leur fils avait une capacité étrangement paranormale à attirer l'attention quand il le voulait.
Il était comme eux, un hybride. Et aujourd'hui il vivait ce que la tradition nommait "le baptême de l'eau".
-Je pense mon fils, que tu seras un poisson rouge ! Ajouta son père qui maitrisait la barre. Evidemment il le taquinait. Mais le petit était bien trop susceptible et afficha un air paniqué devant cette possibilité.
-Ho non ! Pas un poisson rouge !!!Hugo et Marie partirent tous les deux dans un grand éclat de rire. Le bateau continua à s'éloigner des côtes.
Enfin, il s'arrêta. Il y avait de l'eau à perte de vue.
Maximilien frissonnait violement en tenu de bain. Son père s'agenouilla devant lui et posa une main sur son épaule.
-Fils. Quelque soit ton animal, ne soit pas déçu. La grandeur se trouve dans ton âme, non dans ton animal. Soit fière d'être de notre sang de notre rang et de notre famille.
Le garçon qui serrait ses bras autour de ses côtes et serrait la mâchoire pour ne pas claquer des dents hocha la tête gravement. Sa mère s'approcha de lui à son tour et le serra dans ses bras.
-Joyeux anniversaire mon petit Maximilien.Le petit s'avança ensuite vers l'eau. L'eau sombre qu'il devinait glaçait… Mais il n'eut pas peur. Elle était son élément. Un dernier regard vers ses parents qui l'encouragèrent d'un signe de tête, et il plongea…
Les eaux se refermèrent immédiatement sur lui. Le glaçant jusqu'aux os. Saisit, il se laissa couler en recrachant tout son air. Il essaya d'ouvrir les yeux, mais il n'y parvenait pas. Ou du moins il ne distinguait rien. Juste le liquide lourd qui l'emmenait toujours plus profond…
Il ferma les yeux, et se répéta ce que son père avait dit : "notre sang, notre rang, notre famille". Il coula toujours.
Il laissa le calme se faire et enfin ouvrit la bouche pour hurler.
-PREND MOI OCEAN, JE SUIS TON FILS !Une nuée de bulle avait noyé ses paroles et il avait définitivement épuisé son air… C'est alors que la transformation s'était faite. Il lui avait semblé que cela était le processus le plus naturel du monde. C'était plus naturel que le vélo. Plus simple que la lecture… Et il laissa l'animal se réveiller…
Sa peau était devenue noire, ses jambes avaient fusionnées l'un avec l'autre, et ses yeux étaient devenus capables d'assister à cette transformation. Il regarda ébahi et grisé son corps se muer en celui d'une Orque… Tout lui avait semblé plus léger. Tellement différent. La caresse de l'eau était la plus douce qu'il n'avait jamais connu… Il avait essayé de remonter, se dépêtrant avec ce nouveau corps, ces nouveaux muscles, cette nouvelle puissance animale.
Ses premiers mouvements avaient été grossier, mais bien vite il avait laissé l'instinct le guider, et s'était porté naturellement vers la surface. Déchirant les eaux de son aileron déjà grand même pour un baleineau, il avait avalé sa première goulée d'air par son évent. Et en nageant vers le bateau il avait vue des ses yeux d'orque les larmes d'émotion qui avaient roulé sur les joues de sa mère, et la fierté dans le regard de son père…
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Maximilien regarda encore longuement l'unique photo qui lui restait de ses parents. Une photo sans couleur, qui n'avait pas la précision pour reproduire la finesse et la délicatesse du portrait de sa mère. Il ferma les yeux gravement en glissant le vieux cliché dans une boite en bois. Il savait que cette photo ne lui rendrait pas le sourire de sa mère, ni même la couleur des yeux de son père… Mais cette photo était la seule chose qu'il le rattachait encore à eux…
Il avait oublié leurs voix. Leurs parfums. Et savait qu'un jour ces visages ne lui rappelleraient plus rien.