La belette ! La belette ! (Emily)

Je payai mon ticket et entrai au zoo. 5 euros la journée c'était cher payé, mais je n'avais pas trouvé mieux. Je me mis à arpenter le parc zoologique, mon carton à dessins sous le bras, mon sac à dos me chauffant les épaules. Il faisait chaud ce jour-là, je m'étais dont affublée d'une vieille casquette militaire et avais mis mes lunettes de soleil. Quel dommage que le noir retienne autant la chaleur, en tant que gothique je peux vous dire que je souffrais.
Je jetai un oeil aux enfants émerveillés devant les cages des grands fauves. Je passai devant sans m'arrêter, moi c'était les enclos des petits animaux que je cherchais. Hier, j'avais reçu ma première commande officielle. Une petite société de bricolage à domicile voulait que je lui dessine une mascotte. Allez savoir pourquoi, ils avaient choisi comme animal représentatif une belette. Ainsi, j'étais venue dans le seul endroit de Paris où je pourrais trouver des belettes susceptibles de me servir de modèle. Ce n'était pas de gaieté de coeur que je venais ici, mais qu'importe.
Je n'aimais pas les zoos. Tous ces pauvres animaux condamnés à la prison à pertétuité alors qu'ils n'avaient rien fait de mal... Non ! Pire qu'une simple condamnation à pérpette ! En plus de rester derrière des barreaux jusqu'à la fin de leurs jours, ils allaient devoir supporter tous les jours les regards abrutis d'une foule de crétins. étant moi-même en partie animale, je ne pouvais que compatir. à côté de moi, un gamin faisait des grimaces à un chimpanzé qui se reposait sur une branche, l'air fatigué de la vie. J'eus bien envie de foutre une torgnole à cet espèce de petit troll à lunettes, mais ce ne fut pas nécessaire. Alors que le sale gosse tirait la langue au singe, un autre surgit de nulle-part, passa son bras entre les barreaux et attrappa ses lunettes. Le gosse, surpris, recula vivement en poussant un cri et tomba sur les fesses. Le primate tordit les lunettes avant de les jeter à la figure se leur propriétaire, puis il croisa ses bras de façon bizarre. Pour un peu, j'aurais juré qu'il lui faisait un bras d'honneur. Dégoûté, le gamin ramassa ce qu'il restait de ses binocles et courut pleurer dans les jupes de sa mère.
C'est exlosée de rire que je repris ma marche. ça c'était une leçon d'humilité ! Certains humains à ma connaissance n'auraient pas réagi autrement s'ils avaient été à la place de ce singe. C'est en passant devant un enclos où sommeillaient une demi-douzaine de renards que j'eus une idée. Tout compte fait, les belettes pouvaient bien attendre un peu. Je jetai un oeil de droite à gauche pour vérifier que personne ne regardait dans ma direction, puis enjambai avec précaution la clôture de barbelés électrifiés. Les bêtes levèrent la tête en me voyant approcher, mais ne semblèrent pas effrayées par ma présence. Je les enjambai et allai m'isoler derrière un rocher. Je déposai là mes affaires de dessin, ainsi que mes vêtements. Lorsque je sortis de ma cachette, j'avais pris ma forme animale. Là, impossible de me différencier des autres renards. Si un gardien prenait la peine d'y regarder, il remarquerait peut-être qu'il y avait un animal en trop, mais d'ici-là j'aurais eu le temps de bien m'amuser.
J'allai me placer au plus près de la clôture me séparant des humains, guettant avec impatience l'arrivée du prochain visiteur.

Aujourd'hui, Emily était de service au zoo. Comme à son habitude depuis maintenant un an, elle venait s'occuper des animaux, en l'occurence donner un bon coup de main quand c'était nécessaire, et s'assurer que les bébêtes étaient toutes en bonne santé. Depuis neuf heures ce matin, elle avait inspecté un bon nombre d'enclos et de cages, les contrôles quotidiens se passaient toujours bien, et rien d'anormal n'était à signaler. Tout semblait aller pour le mieux. Du moins, pour le moment, après tout, elle n'avait inspecté qu'une partie des animaux du zoo.

D'ailleurs, elle risquait d'être servie en émotions aujourd'hui. D'après certains membres du personnel aide-soignant, plusieurs femelles du zoo étaient sur le point de mettre bas à leur portée. Parmi les futures mamans se trouvait une jolie renarde rousse. Et l'enclos suivant était le sien. Seulement une fois devant l'enclos, quelque chose la stoppa. Un bon nombre des renards semblaient s'amuser, mais l'un d'entre eux guettait le terrier avec un regard alarmant. Emy se pencha sur la rembarde pour tenter de comprendre. Le renard était anxieux, vraiment inquiet. Armée d'un talkie walkie qui lui permettait de garder contact avec les directeurs du zoo, elle appuya surl'engin et dit :

~ Monsieur, il faut fermer l'accès à la zone H4 pour le reste de la journée. Je crois que Lucy est sur le point d'accoucher.

Une dizaine de minutes plus tard, les alentours étaient déserts. Emily contourna l'enclos et entra par l'accès privé - auquel elle avait droit. Elle alla ensuite rejoindre les renards, mais elle n'avait plus forme humaine, elle s'était transformée en fennec et avait laissé ses affaires dans la petite salle de l'enclos. Sans prendre garde à l'intrusion de la renarde qui la regardait à présent, elle entra dans le terrier et en ressortit quelques minutes plus tard en trainant la femelle sur le point d'accoucher. Elle courut jusque dans la salle, se rhabilla une fois humaine, enfila des gants et attrapa son nécessaire de sage-femme, puis revint s'asseoir auprès de la renarde affaiblie. Dès lors, elle était prête à l'aider. Tout en caressant doucement son ventre, elle s'adressa à l'intruse :

~ Tu as de la chance que la caméra de cette zone ne donne pas sur cet enclos, tu aurais pu avoir de gros problèmes sinon.

Un doux sourire flottait sur ses lèvres, et elle avait parlé d'un ton étrangement calme.

Je ne comprenais pas. Une jeune femme était entrée dans l'enclos en se changeant en fennec. Elle était entrée dans le terrier qui occupait le fond de l'enclos et en était ressortie en traînant une renarde qui semblait malade. Elle s'éloigna, reprit forme humaine et se rhabilla avant de s'agenouiller à côté de la renarde.

"Tu as de la chance que la caméra de cette zone ne donne pas sur cet enclos, tu aurais pu avoir de gros problèmes sinon."

J'allai me cacher derrière le rocher et en ressortit dans ma forme hybride, enveloppée dans mes vêtements alors trop grands.

"Méeuh ! Comment t'as su ?!"

"Méeuh ! Comment t'as su ?!"

Emy s'arrêta un instant pour faire face à la renarde qui avait pris sa forme hybride. Lui adressant un sourire doux et malicieux, elle répondit :

~ Je connais cet endroit par coeur. Et puis, j'ai senti ton air alarmé quand je suis arrivée.

Encore une fois, l'empathie se révélait être un pouvoir efficace. Oh bien sûr elle aurait quand même remarqué qu'il y avait un intrus si elle n'avait pas eu cette faculté, elle aurait seulement eu un peu plus de mal à trouver quel renard s'était incrusté c'est tout.
Elle se reconcentra sur la femelle allongée à ses genoux, lui versa un peu d'eau dans la gueule à l'aide d'un biberon, puis prépara une seringue pour lui redonner un peu d'énergie, nécessaire au bon déroulement des opérations qui allaient suivre.

~ Comment tu t'appelles ?

Je baissai les yeux, regardant le bout de mes pattes. Ce n'était pas un vent que je venais de me prendre, c'était une tempête.

"Je...je m'appelle Alicia. J'voulais juste rigoler. C'st pas si grave, non ?"

Je remarquai alors les oreilles de la jeune femme.

"Bah...c'est quoi ça ? C'est ta forme hybride ou... ?"

Son regard valsait entre la jeune hybride et la renarde qui reprenait peu à peu des forces qui allaient lui servir d'ici quelques minutes normalement. Sa voix prit un ton sérieux.

- Judiciairement parlant, tu pourrais aller en prison pour avoir franchi ces barrières.. Mais je ferai comme si je n'avais rien vu. Fais attention tout de même si l'envie te prend de revenir, tu pourrais te faire prendre. Ou même te mettre en danger face au mal dominant.

Emy lui adressa un sourire bienveillant. Puis quand Alicia fit allusion à ses oreilles, elle répondit :

- Ca, c'est ma forme humaine.. J'ai un léger problème de transformation, c'est dû à mon enfance.

Je repris forme humaine, remplissant mieux mes vêtements, et enfilai mes chaussures.

"Mais comment ça se fait, ça ? Tes oreilles restent vraiment toujours comme ça ? Et ça ne t'attire pas d'ennuis ? Tu sais ? Avec ces types, là, les chasseurs."

Ma dernière rencontre avec un chasseur m'avait laissé un souvenir désagréable.

Encore une fois, ses oreilles attiraient l'attention. Alicia était assez curieuse, mais c'était compréhensible.

- Je suis restée bloquée sous ma forme animale pendant un long moment, quand j'ai enfin réussi à redevenir humaine, mes oreilles étaient toujours là.
Oui c'est assez problématique parfois, mais je fais attention, et je ne me ballade jamais sans quelque chose sur la tête. Regarde.

A ces mots, elle enfila la casquette qu'elle prenait pour quand elle allait au zoo. Une fois posée sur sa tête, cela dissimulait très bien ses oreilles, elle passait facilement inaperçue.

"Jolie casquette ! Alors ça, je savais pas qu'on pouvait rester comme ça si on restait transformé trop longtemps... Ou plutôt si, je le savais."

Comment lui confier mes vieilles angoisses ? J'étais le genre de personne qui n'avait de secrets pour personne, mais ce point-là était délicat.

"J'ai toujours eu peur si je prenais ma forme animale de ne plus pouvoir redevenir humaine. La forme hybride ça va, parce que même si j'étais coincée comme ça je pourrais encore tenir un crayon. Mais passer toute ma vie sans rien pouvoir faire..."

En plus, cette fille confirmait en partie mes doutes.

"C'est arrivé comment ?"

- Ce n'est pas une question de temps, je ne trouvais pas le moyen de revenir à ma forme humaine c'est tout.

Emily comprenait tout à fait l'angoisse de la renarde, elle-même avait longtemps eu peur, et beaucoup de mal à s'adapter.

- J'ai passé trois ans sous ma forme animale.. Par chance quand c'est arrivé, j'étais aux abords du désert saharien en Afrique, donc j'ai pu vivre avec les autres fennecs. Et puis tu sais, on finit par s'y habituer malgré tout.

De toute manière, on n'a surtout pas le choix. Soit on apprend à vivre avec, soit.. on met fin à ses jours. En l'occurrence, elle avait choisi la manière douce et avait donc évolué en compagnie des renards du désert.

- C'est arrivé pendant un voyage en Afrique avec mes parents, lorsque j'avais dix ans. On ignorait encore que j'étais une hybride. Et d'un seul coup, je ne sais pas comment, je me suis transformée en fennec.

J'écoutai attentivement ses paroles. Il fallait dire aussi que d'une certaine façon, ma forme de renarde m'évoquait la mort. Ma mère avait reprit cette forme juste avant que son cancer n'ait raison d'elle. N'empêche, trois ans à vivre comme ça...

"Et tes parents ? Ils ont vécu ça comment ?"

A la question d'Alicia, de nombreux souvenirs revinrent en sa mémoire. Un sourire faible naquit sur ses lèvres. Elle se souvenait parfaitement de la culpabilité qu'avait éprouvé son père, c'était notamment grâce à celle-ci qu'elle avait pu se retrouver à Paris.

- Ma mère est restée avec moi en Afrique durant ces trois ans, et mon père a fait de nombreux allers-retours entre l'Australie et là où l'on se trouvait.

Inutile de mentionner que son père s'était senti coupable, ça l'avait déjà assez embêté comme ça.

Je hochai la tête pensivement. Puis je portai un peu mon attention sur la renarde en train de mettre à bas.

"Alors tu es vétérinaire ?"

Question un peu idiote, mais là je ne savais pas trop de quoi parler pour meubler le silence. J'achevai de lacer mes rangers et pris mon sac à dos et mon carton à dessins.

"Tu...tu veux peut-être que je sorte."

Emily restait concentrée à la fois sur la renarde, et sur la jeune hybride. Elle avait cette faculté de pouvoir assurer plusieurs choses à la fois.

- Oui, j'ai un cabinet dans Paris, et je porte aussi souvent de l'aide au zoo, ou encore aux ménageries qu'il peut y avoir dans Paris. Et toi, que fais-tu ?

Elle se permit un regard en direction d'Alicia en l'entendant.

- Eh bien, tu peux rester si tu en as envie, ça ne me dérange pas.

Elle ne la gênait pas du tout à vrai dire. Elle se mit alors à encourager la renarde en train de mettre à bas d'une voix douce et tendre à la fois, puis s'exclama :

- Oh, j'en ai oublié de me présenter, pardonne-moi. Je m'appelle Emily, Emily Stanford.

"C'est vrai ? Je peux rester ? Ah ben c'est gentil !"

Je m'accroupis à côté d'elle et observai la renarde. C'était la première fois que j'assistais à la naissance d'un animal. Et franchement, c'était moins dégueu que la naissance d'un bébé humain.

"Emily ? J'aime bien. Tu viens d'où ? Américaine ? Anglaise ?"

- Ni l'un ni l'autre, je suis australienne. Et toi, française je présume ?

Deux petits renards étaient déjà sortis. Emy palpa avec précaution le ventre de leur mère, puis lui fit une deuxième injection pour lui insuffler l'énergie nécessaire à la naissance du troisième et dernier renardeau.
La mise à bas fut finalement terminée, et l'animal put enfin souffler.

- Et voilà, deux femmelles et un mâle !

"Euh...bah...ouais. C'est si évident ? Ah ouais ! moi c'est Alicia Mercier."

Je regardai les bébés renards, luttant contre l'envie de les caresser. Je risquerais de m'attirer les foudres de leur mère, et peut-être aussi de la jeune vétérinaire.

"Qu'ils sont meugnons !"

- Ca s'entend à ton accent ! Et puis ton prénom le confirme.

Emy voyait bien qu'Alicia s'obliger à résister à l'envie de toucher l'un des renardeaux. Alors il lui vint une idée. Elle fouilla dans sa malette de vétérinaire et en sortit une paire de gants stérils qu'elle lui tendit.

- Tiens, mets ça.

Après quoi, elle prit soigneusement l'un des petits dans ses mains, et le tendit avec précaution à la jeune française.

- Là, tout doucement.

"Quoi ? Mais c'est pas moi qui ai un accent, c'est..."

Je pris les gants et les enfilai, sans comprendre ce que la vétérinaire avait derrière la tête. Ce n'est qu'en la voyant me tendre un des bébés renards. Là dessus, je ne pus résister et le pris dans mes bras. Il était vraiment adorable, tout duveteux, les yeux encore fermés. Pour un peu je l'aurais léché.

"Qu'il est mignon ! Pourquoi les bébés animaux sont-ils si beaux et les bébés humains tout moches ?"

Emy rigola de bon coeur. c'est vrai que c'était plutôt elle qui avait un accent vu qu'elle n'était pas dans son pays, mais elle entendait parfaitement l'accent français. Et Alicia devait elle aussi avoir distingué son accent australien.
Elle la regarda faire, c'était amusant et touchant à la fois. Sa question lui arracha un nouveau sourire.

- Eh bien, je pense que c'est une question de point de vue. Ca ne peut pas plaire à tout le monde.

Dix minutes passèrent, quand elle reçut un appel radio. On lui demandait de se rendre au plus vite dans le secteur des lions, apparemment il y avait un des jeunes lions qui boitait.
Emy se releva alors, se mit à tout ranger, ramena les petits auprès de leur mère, puis dit à Alicia :

- Je suis désolée, mais je dois y aller. J'espère te revoir un de ces jours. Mais n'oublie pas, fais attention si tu décides de revenir dans l'enclôs des renards.