Un bel oiseau perdu au milieu des fleurs... [ Jenny ]

Toujours s'éloigner du monde urbain. A la moindre occasion.
Une excursion au Jardin des Plantes ferait sans doute partie d'une nouvelle intrusion intéressante dans un autre point de la capitale. Petit à petit, son corps et son esprit s'habituaient à cet environnement qui lui était peu familier. De plus, ces longues journées passées à ne rien faire lui permettait de regarder en arrière, de faire déjà un premier bilan de sa vie.

* Si faire ça à trente piges c'est pas malheureux... *

Marchant au milieu des roses, de la glycine, des lys et d'autre beautés de la nature, Ian sentait sa peine s'apaiser encore un peu plus. Ses mains ne tremblaient plus lorsqu'il pensait à Bridgess. Ses yeux ne brillaient plus de larmes naissantes lorsqu'il songeait à Duncan. Ses doigts se tendirent et caressèrent le pourtour d'une orchidée, d'une blancheur parfaite. Il sourit. C'était la fleur préférée de sa défunte épouse.
Et si sa tristesse s'en allait pour faire place à la résignation, son besoin de vengeance, lui, ne s'éteindrait pas avant un moment.

Ses pas avaient pris l'étrange habitude de le conduire à l'endroit le moins peuplé, où qu'il aille. Comme si son corps refusait toujours l'acclimatation à la ville. Cela l'amusait plus qu'il ne le contrariait. Relevant les yeux, l'homme aperçut alors une chevelure blonde, à moitié dissimulée par des hautes plantes exotiques dont il ne connaissait pas le nom. Lentement, en silence, il s'approcha encore, curieux de savoir à qui pouvait appartenir de si beaux cheveux... qui lui rappelait la seule femme qu'il avait jamais aimée.

Invité

Jenny se trouvait dans le Jardin des Plantes et fixait les magnolias avec une certaine nostalgie. A Saint-Tropez ; chez elle, comme elle disait parfois ; on en voyait partout. C'était entourée de cette senteur enivrante qu'elle avait appris tout ce qu'elle savait. Ce qui n'était pas grand-chose. Oh, bien sûr, elle savait lire, écrire et compter. Le reste relevait plus de la survie. Malgré tout...elle était fière. Contrairement à ces gamins qui passaient leurs journées derrière des tables, elle était libre. Soudain, elle se figea. Il y avait quelqu'un qui l'observait, elle en était persuadée. Juste de l'autre coté des espèces de bambous bizzaroïdes. Elle sentait ce genre de trucs. La jeune fille se retourna brusquement, ses cheveux blonds volant avec légèreté derrière elle. Elle fit face à l'homme. Il semblait avoir la trentaine, ses yeux étaient bleus. Elle le sonda. Il ne semblait en rien menaçant. Elle se détendit, s'autorisa un discret sourire.

-C'est moi que tu regardes comme ça?

Elle ne connaissait pas vraiment le principe du vouvoiement. Pour elle, "vous", c'était plusieurs personnes. On lui avait peut-être dit, un jour. Mais elle ne s'en rappellait plus, si tel était le cas. Elle tendit la main. Elle était d'humeur bavarde.

-Moi, c'est Jenny Angel. Ou Jen. Dépend des gens. Et toi?

Il ne put reprimer un sourire amuse en s'apercevant qu'elle l'avait surpris. Dans un elegant mouvement de tete, les meches blondes avaient renvoye de puissants eclats face a la lumiere du soleil. Il n'avanca pas plus et se contenta de rester immobile, faisant simplement courir ses yeux sur toute la surface du corps de la demoiselle. Jeune. Tres jeune. Tres belle egalement. La jeune fille semblait aureolee, placee ainsi. Son apparence physique faisait immediatement penser a un ange. Ses yeux, d'un bleu rares, etaient comme un puits sans fond, dans lequel on aurait voulu se perdre. Ce fut la premiere personne que le marin rencontra et qui produisait un effet d'attendrissement sur lui... depuis longtemps.

-C'est moi que tu regardes comme ça?

Tutoiement ? Pourquoi pas. Cela accentuait la simplicite dont semblait faire preuve sa vis-a-vis. Pas d'excentricite. Ils ne se connaissaient pas, et pourtant elle s'adressait a lui comme si ils etaient amis. Etrange sensation, mais pas desagreable. Surtout par rapport a son propre temperament, peu favorable aux politesses interminables et bavardages insipides.
Alors, ouvertement, l'homme offrit un de ses rares sourires a la gamine qui lui faisait face, lachant un leger :

" Il faut croire. "

Une main delicate se tendit vers lui. Encore une fois, la spontaneite de la petite faisait plaisir a voir. Enfin une personne de la gent feminine qui se liberait de l'engoncement de ce qu'on appelait si pompeusement les 'bonnes manieres'...

-Moi, c'est Jenny Angel. Ou Jen. Dépend des gens. Et toi?

Alors, pour lui faire honneur autant que par malice, il prit cette main si fine qu'il aurait pu la broyer dans sa large paume, aux mains abimees, afin de la porter a ses levres, frolant le dos de sa main a la peau de soie.
Il lui fit un clin d'oeil chaleureux avant de la liberer et de repondre promptement :

" Ian Englehorne... Pour la plupart des gens. "

Invité

Il y avait des gens que cela énervait, qu'elle surprenne sistématiquement ceux qui se trouvaient autour d'elle. Lui, cela avait l'air de l'amuser qu'elle l'ait surpris. Si Jenny fut surprise qu'il lui fasse un baisemain, elle qui s'attendait à ce qu'il lui serre la main, elle n'en laissa rien paraître. Elle eut un sourire radieux quand il lui fit un clin d'oeil. Son visage en semblait illuminé. C'était peut-être dû au fait qu'elle souriait peu.

-Qu'est-ce que j'ai de si spécial pour que tu m'observe de la sorte?

Elle ne semblait en rien irritée, plutôt...amusée. Et curieuse. Elle avait toujours été curieuse. Mais elle savait quand tenir sa langue, la plupart du temps. Elle aurait pu le savoir sans poser la question, en se servant de son pouvoir, mais elle trouvait ça grossier et indiscret. Elle ne s'en servait que pour sentir si les gens en avaient après elle. Ce n'était pas le cas, elle avait vérifié à l'instant même où elle s'était retournée.

Oh, ce sourire enfantin. Lui qui avait si peu l'habitude de ces mines de marmots, confrontes le plus souvent a une bande de brutes au langage lexical ordurier plus riche qu'en vocabulaire de la langue francaise, tombait toujours sous le charme de pareilles creatures lorsqu'il en percevait un denuement total de faussete et d'hypocrisie. C'etait les manieres qui l'agacaient par-dessus tout, que la femme fut belle ou non. Celle-ci, bien que sans doute encore pucelle, etait par son innocence, encore plus resplendissante en beaute et trouvait donc parfaitement grace a ses yeux. Il fallait dire qu'elle ressemblait tellement a Bridgess...

-Qu'est-ce que j'ai de si spécial pour que tu m'observe de la sorte?

Joueuse, la gamine. Aucun probleme. Il rentrerait dans son jeu, avec toute la subtilite et le peu de delicatesse que la vie lui avait apprise au fil des annees.

" A vrai dire, je ne m'attendais pas a denicher une si splendide petite fille dans un endroit lui-meme charmant. Peut-etre est-ce l'eclat de ta chevelure qui a attire mon regard... il faut dire que ce n'est point difficile... Et puis..."

Ses yeux prirent un eclat legerement nostalgique.

" Tu me rappelais quelqu'un... Quelqu'un que j'aimais beaucoup. "

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# Petite fille? Petite fille? Peuh! Heureusement que je suis de bonne humeur et que j'ai pas envie de m'énerver pour ce genre de broutilles! Surtout que c'était pas pour me vexer. # Jenny ne laissa rien paraître de sa silencieuse rebuffade.
Elle préféra se concentrer sur le reste des paroles de Ian. Splendide...sans se l'avouer _ par modestie _ elle le savait. D'ailleurs, il lui arrivait de s'en servir...pour se procurer ce qu'il lui fallait. Mais, ce jour-là, elle n'avait besoin de rien.
Elle lui rappelait quelqu'un? Elle aurait aimé savoir qui, mais elle était trop délicate pour lui poser la question alors que cela semblait l'attrister. Et elle se refusait à faire usage de son pouvoir. C'était surprenant, paradoxalement, qu'une fille qui volait des gens se gêne pour l'intimité d'autres gens. Mais elle ne voyait pas les choses comme ça. Pour elle, voler, ce n'était pas "mal", dans la mesure où elle prenait ce qu'il lui fallait à des gens qui n'en avaient pas besoin. En revanche, elle trouvait malhonnête de se mêler de la vie privée des gens par curiosité. Il faut comprendre ; pour elle, la notion de "malhonnête" était tout à fait relative. Elle n'avait jamais eu une mère qui l'avait prise entre quatres yeux pour lui faire le discours du "il faut/il ne faut pas". Mais elle sentait que ce n'était pas bien d'être trop curieuse, et qu'il valait mieux laisser aux gens leur jardin secret. Elle n'osa donc l'interroger.

Le silence n'était dérangé que par les oiseaux qui piaillaient chacun à qui mieux mieux, ambiance caractéristique de tous les jardins des plantes du monde. Cette gentille mélodie berçait ses pensées et atténuait le mal-être qui était le sien, pour le conduire à se concentrer uniquement sur le fruit de cette rencontre peu banale. Il ne voulait pas mettre la gamine mal à l'aise par son comportement, et elle n'avait certainement pas à subir ses sautes d'humeur tout comme ses crises de lunatisme.
Poussant un soupir et enfouissant ses mains dans les poches, l'homme se posa alors la question suivante : que faisait donc cette jolie demoiselle ici ? On n'était ni en week-end, ni en vacances, et toutes les filles de son âge devaient aller en cours, non ? Etant de nature à aimer satisfaire rapidement sa curiosité, il demanda avec aménité :

" Mais dis-moi... tu ne devrais pas être en cours à l'heure qu'il est ? Tu me parais encore bien jeune pour avoir arrêter les études, non ? "

Cela ne le regardait absolument pas, mais c'était la seule solution à ses yeux pour se débarrasser de l'ambiance pesante qu'il avait installé entre eux en s'abandonnant un court instant à la nostalgie. Et puis, elle lui plaisait décidemment bien, cette fille-là. Cachée derrière un masque de beauté incontestable et de tranquille obéissance et savoir vivre, on devinait un tempérément fort, sinon malicieux, et qui ne paraissait pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Il aimait ces personnes, celles qui résistaient et se gardaient bien de rejoindre la masse. En bref, il aimait ceux qui savaient se distinguer sans pour autant apparaître comme d'insupportables et banal marginaux.

Invité

" Mais dis-moi... tu ne devrais pas être en cours à l'heure qu'il est ? Tu me parais encore bien jeune pour avoir arrêter les études, non ? "

# C'est pas vrai! Décidément, les gens sont vraiment curieux dans cette ville! Deux fois qu'on me demande si je ne vais pas en classe en moins d'une semaine! #

-Je...j'ai déjà eu le brevet, je suis en seconde... sauf que je suis des cours par correspondance parce que, en fait, je suis actrice...

C'était presque la vérité. Elle était venue dans cette ville pour tourner dans un film, après tout. Même si elle avait démissionné lorsque le scénario avait changé. Elle n'était pas obligée de le préciser. Pour faire bonne mesure, elle ajouta :

- C'est normal si tu ne m'as pas encore vue au ciné ; c'est mon premier film. Mais comme on fait une pause dans le tournage, je me balade.

Jenny savait qu'elle s'en était bien tirée. C'était d'ailleurs le système que le producteur _ qui ne savait pas qu'elle n'allait pas en cours _ lui avait proposé. C'était donc réaliste.

-Je...j'ai déjà eu le brevet, je suis en seconde... sauf que je suis des cours par
correspondance parce que, en fait, je suis actrice...

* Voyez-vous ça... *

Ian tira un paquet de cigarettes et en fourra une dans sa bouche avant de l'allumer et d'en tirer une bouffée, songeur. Actrice si jeune. Il se demanda en souriant intérieurement combien de temps cette gamine survivrait dans l'univers impitoyable du cinéma. Toutes ces étoiles aux vies écourtées : ces suicides, meurtres et autres accidents si facilement évitables. L'homme se disait qu'il serait dommage de perdre une si ravissante créature.

- C'est normal si tu ne m'as pas encore vue au ciné ; c'est mon premier film. Mais comme on fait une pause dans le tournage, je me balade.

Hochant d'un air dubitatif la tête, Ian répondit d'une voix qui se voulait dénuée de moquerie :

" Ma p'tite demoiselle... La dernière fois que j'ai du mettre les pieds dans un cinéma, tu ne devais pas être encore née. "

Regardant autour de lui en tirant des volutes de fumée, il poussa un soupir avant de sourire, un brin de tendresse aux lévres en regardant cette chevelure blonde. Lâchant ce simple murmure, il souffla :

" Tu ressembles vraiment à Bridgess... "

» Jenny (Fini!)
» Quand la louve vole chez l'oiseau (ADEL <3)